Brexit : les éleveurs britanniques entre inquiétude et pragmatisme
A la veille d’une nouvelle échéance cruciale pour l’avenir des relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne, les éleveurs britanniques redoutent la perspective d’accords de libre-échange avec des pays tiers.
Comme l’ensemble de leurs compatriotes, les éleveurs britanniques ont vécu ces dernières semaines au rythme des rebondissements chaotiques de la sortie prévue de leur pays de l’Union européenne. La difficulté des autorités britanniques à s’accorder sur un scénario de sortie, réclamé par les dirigeants européens d’ici le 12 avril, est accueillie avec un certain fatalisme. «Nous nous sentons tout à fait impuissants face aux évolutions politiques actuelles», reconnaît John Gould, éleveur de reproducteurs bovins et de brebis à Faversham, dans le Kent, à la pointe sud-est du pays.
Sa ferme, qui s’est construite une belle réputation pour la qualité de sa génétique bovine, commercialise de plus en plus de taureaux et femelles Angus en Europe, y compris en France, à la faveur de l’engouement des consommateurs pour cette race. «J’espère que la qualité de notre production et le courant favorable pour ce type d’animaux nous permettront de poursuivre l’activité», confie John Gould, dont le flegme peine à masquer l’inquiétude.
Les élevages comme ceux de John Gould sont nombreux au Royaume-Uni à dépendre de l’exportation vers l’Union européenne. Si le pays est aujourd’hui importateur net de viande bovine (800 000 t produites pour 1,2 Mt consommées), le bœuf britannique de qualité a retrouvé des couleurs hors de ses bases depuis la crise de l’ESB. Les exportations bovines britanniques ont ainsi progressé de plus de 8 % l’année dernière vers l’Union européenne d’après les douanes, avec pour principaux clients l’Irlande, les Pays-Bas… et la France.
Mais c’est en matière d’élevage ovin que les éleveurs britanniques sont les plus tournés vers le continent. Territoire du plus gros cheptel européen avec près de quinze millions de brebis reproductrices, le Royaume-Uni est aussi le plus gros exportateur de viande ovine, avec plus de 100 000 t expédiées hors de l’île chaque année sur une production totale de 300 000 t environ. Ses deux principaux clients sont la France (près de 45 % du total), et l’Allemagne (19 %).
37 000 exploitations élèvent des ovins
Autant dire qu’une sortie de l’Union européenne sans accord, synonyme d’imposition de tarifs douaniers élevés, constituerait une très mauvaise nouvelle pour les 37 000 exploitations où sont élevés des ovins au Royaume-Uni. «C’est effectivement sur cette production que repose nos plus grosses inquiétudes», reconnaît Verity Holdstock, qui pilote les élevages d’une grande ferme familiale de polyculture près de Canterbury, toujours dans le Kent. «Une partie de nos agneaux partent à l’export, et je n’ai aujourd’hui aucune idée des conséquences commerciales qu’aurait une fermeture partielle des frontières sur les échanges et sur les prix.»
Dans un pays où la politique fait traditionnellement peu de cas des intérêts agricoles, la crainte de l’éleveuse anglaise est que le gouvernement ne sacrifie, à terme, l’élevage, bovin comme ovin, sur l’autel des prix bas. «La tentation actuelle des autorités est clairement de négocier des accords de libre-échange avec les Etats-Unis et d’autres pays pour maintenir des prix de la viande acceptables par les consommateurs, développe Verity Holdstock. Dans le contexte actuel, il serait assez déloyal de nous imposer des produits d’importation ne répondant pas du tout aux mêmes normes environnementales et de bien-être animal.»
Selon elle, en revanche, les autorités régionales ou nationales seraient disposées à compenser au moins partiellement la perte des aides européennes par le financement de mesures agri-écologiques. Mais elles ne suffiront sans doute pas à absorber le choc économique d’une sortie brutale de l’Union européenne.
Un impact aussi côté français
La perspective d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne aura des conséquences indirectes sur la promotion de la viande d’agneau en Europe et, singulièrement, dont les campagnes collectives sont largement cofinancées par les Britanniques. «Compte tenu de l’importance de l’origine britannique dans la consommation française, les opérateurs commerciaux des deux côtés de la Manche feront cependant tout pour maintenir un courant important d’échanges, quel qu’en soit le prix», estime cependant Rémi Fourrier, le directeur d’AHDB France, l’organisme de promotion de l’agriculture britannique. Depuis deux ans, professionnels et autorités anticipent les conséquences du Brexit sur les exportations de viande en visant l’ouverture de nouveaux marchés export en Asie, Amérique du Nord et au Moyen-Orient.