InnovaFeed : des insectes voisins de l’amidonnerie Tereos
Après l’usine de Gouzaucourt (59), InnovaFeed, entreprise spécialisée dans la production de protéine d’insectes, annonce qu’elle s’implante à Nesle, au site industriel de Tereos. Un partenariat gagnant-gagnant, annoncent les acteurs.
Qu’est-ce que mange une truite à l’état sauvage ? Des insectes ! C’est de cette nature que s’est inspiré Clément Ray, président d’InnovaFeed, et son équipe de collaborateurs. Le concept : «Nous produisons une nouvelle source de protéine provenant de notre élevage d’insectes pour nourrir les poissons d’élevage». Une réponse au développement d’une aquaculture à faible impact environnemental, puisque les poissons d’élevage sont majoritairement nourris à base de farine de poissons sauvages.
Une usine est en fonction depuis septembre 2017 à Gouzeaucourt (59), près de Cambrai. Première expérience réussie, puisque ce 27 septembre, les dirigeants annonçaient la construction d’une nouvelle unité, «dix fois plus grande», voisine de l’amidonnerie Tereos de Nesle*. Le groupe sucrier a vendu une parcelle de 5 ha à InnovaFeed. Pas d’impact sur les terres agricoles, donc.
L’exploitation du site, prévue pour le dernier trimestre 2019, induira l’embauche de cent dix salariés, ingénieurs, techniciens et opérateurs.
Valorisation des coproduits
L’intérêt de ce partenariat est multiple. Pour l’usine locale Tereos, qui transforme 800 000 t de blé par an, soit environ 25 % du blé picard, «c’est le moyen de valoriser localement nos coproduits issus de l’amidonnerie. Aujourd’hui, ils sont expédiés vers la Bretagne, à destination de l’élevage bovin, car il y a une saturation de ce marché en Hauts-de-France, explique Yves Belegaud, directeur général Europe du groupe Tereos. InnovaFeed utilisera 20 % de nos coproduits pour nourrir leurs insectes».
La gourmande de coproduits répond au doux nom d’Hermetia Illucens : une mouche toute noire, aux ailes allongées, endémique d’Europe non pathogène, non invasive et identifiée comme sans risque par la commission européenne. 0,5 % est en fait élevé jusqu’à l’âge adulte, à l’état de mouche, pour la reproduction. Ses larves profitent de huit jours de vie avant d’être transformées en nourriture pour poissons.
Leur présence permettra à Tereos, grâce à la limitation du transport notamment, d’économiser 25 000 t
de CO2 chaque année. Innovafeed, elle, profitera de la station d’épuration de Tereos pour le recyclage de 35 000 m3 d’eau.
«Dans cette même logique vertueuse, les déchets organiques des insectes seront utilisés comme amendement naturel pour l’agriculture biologique locale», assure Clément Ray. De l’exploitation du blé par Tereos, à la fertilisation des terres bio, la boucle est bouclée.
Un cluster industriel
Tereos se targue ainsi de créer un «véritable cluster industriel prometteur entre partenaires». Car 2019 marquera aussi l’ouverture de Nigay, société de production de caramel, au site de Nesle. Celle-ci profitera d’une alimentation directe en glucose, par tuyauterie, qui reliera les deux bâtiments.
Ce type de partenariat pourraient être développé, «d’autant que le Canal-Seine Nord, qui passera à 1 km, et la construction d’une plateforme multimodale à proximité de notre site, renforceront les avantages de notre situation géographique», se réjouit Yves Belegaud.
InnovaFeed, elle, compte bien poursuivre son développement. «Cinq autres unités devraient être créées d’ici 2021», précise Clément Ray. Et les Hauts-de-France, «première région agricole de France», pourraient encore être une possibilité…
*L’implantation d’InnovaFeed à Nesle est soutenue par les services de l’Etat, la Région Haut-de-France, le Département de la Somme et la Communauté de communes de l’Est de la Somme.
Le déclencheur : un déficit en protéine
L’idée est en fait partie d’un constat : «Un déficit mondial en protéine se dessine à l’horizon 2030, explique Clément Ray, d’InnovaFeed. On estime une croissance de la demande mondiale de 40 %, soit 60 Mt de déficit en protéine.» Deux facteurs pour appuyer cette hypothèse : la croissance démographique et l’évolution des modes de consommation dans les pays émergeants.
Autre problématique : «70 % des protéines utilisées en Europe, essentiellement du tourteau de soja, sont importées.» La filière insectes est donc une réponse à ce déficit. Elle offre aussi la possibilité d’une nouvelle valorisation de coproduits végétaux via l’extraction additionnelle.