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L’agriculture au féminin

Longtemps sans statut, les femmes en agriculture se sont battues pour trouver leur place. Des combats demeurent, mais pour Jacqueline Cottier, présidente de la commission nationale des agricultrices, c’est grâce à la reconnaissance du travail des femmes et des hommes, qu’ensemble, ils y parviendront.

Aujourd’hui, un chef d’exploitation sur quatre est une femme.
Aujourd’hui, un chef d’exploitation sur quatre est une femme.
© D. R.

Aujourd’hui, près d’un quart des chefs d’exploitation ou co-exploitants sont des femmes contre 8 % en 1970. En 2017, elles étaient 110 300 cheffes d’exploitation ou d’entreprise agricole, une proportion globalement stable depuis plus de dix ans. Autre chiffre marquant : près de 30 % des exploitations ou entreprises agricoles comptent au moins une femme dans l’équipe dirigeante. Pourtant, il y a à peine cinquante ans, la place des femmes dans le monde professionnel agricole, si elle était indéniable, ne tombait pas sous le sens. À l’époque, l’agriculture est une affaire d’hommes, une activité transmise de père en fils. Dans l’esprit général, les femmes ne travaillent pas, elles aident leur mari. Et ce n’est que dans les années 60 ans, avec le développement des mouvements féministes que les lignes bougent.

Des années de luttes
Ainsi, le mot «agricultrice» apparait dans le dictionnaire en 1961 et la création des Gaec en 1962 apporte une première réponse juridique. Toutefois, deux époux ne peuvent toujours être seuls associés. Ce n’est qu’en 1980, que le statut de co-exploitante, permettant aux femmes de gérer la partie administrative de l’exploitation, est créé. Et c’est cinq ans plus tard, en 1985, qu’elles obtiennent une véritable reconnaissance de leur activité au sein des exploitations et entreprises agricoles avec la création de l’EARL. Cette dernière forme sociétaire permet aux conjoints de s’associer en individualisant leurs tâches et leurs responsabilités. En 1999, la loi d’orientation agricole crée le statut de conjoint collaborateur, les agricultrices disposent enfin d’un accès à une protection sociale (retraite). En juillet 2010, la loi de modernisation agricole autorise la constitution de Gaec entre époux, qu’ils soient mariés, pacsés, concubins. Le travail des conjoints dispose enfin d’un réel statut juridique dans une exploitation agricole. Le 1er janvier 2019, la durée minimale d’arrêt pour les congés maternité passe à huit semaines pour les exploitantes agricoles. Il ne fait alors aucun doute : grâce à l’engagement de femmes (et d’hommes) la place, les conditions de vie, voire même la visibilité, des agricultrices se sont beaucoup améliorées. Pour autant, des combats doivent encore être menés.

D’autres à venir
Comme pour toutes les catégories socio-professionnelles les revenus professionnels agricoles annuels moyens des cheffes sont inférieurs de 29 % à ceux des hommes. Concernant les pensions de retraites des anciennes cheffes d’exploitation, elles sont inférieures de près de 15 %. Sur le plan du statut aussi les choses devraient encore évoluer. Jacqueline Cottier, éleveuse en Maine-et-Loire et présidente de la commission nationale des agricultrices (CNA) depuis 2014 (ndlr : Jacqueline Cottier est également l’une des deux seules femmes au bureau de la FNSEA avec Christiane Lambert) explique : «en janvier 2019 une loi stipule que toutes les agricultrices qui n’ont pas de statut seront réputées de fait salariées. Le décret devrait bientôt sortir. L’obligation ne fait jamais plaisir, mais elle a le mérite de faire réagir. En effet, ne pas avoir de statut est un mauvais choix qui a d’importantes conséquences, notamment en termes de couverture sociale ou encore de droit à la retraite.» La présidente de la CNA espère également voir le statut de conjoint collaboratrice changer : «ce statut doit être transitoire. À la CNA, nous souhaitons qu’il soit limité dans le temps, à trois ans en début de carrière. Nous, les femmes sommes plus nombreuses à embrasser le métier plus tardivement. Ce statut doit permettre de voir si les choses sont possibles avant de sauter le pas !»

Osons, ensemble !
Pour permettre aux jeunes femmes de s’orienter vers l’agriculture encore faut-il que certains clichés soient abolis. «Il existe encore beaucoup trop de freins pour trouver un stage par exemple. Elles s’entendent trop souvent dire qu’elles ne vont pas y arriver», déplore l’éleveuse de 59 ans qui élève des vaches laitières et allaitantes et des volailles label. Alors pour aller vers davantage d’égalité, Jacqueline Cottier le clame haut et fort : «c’est ensemble, hommes et femmes, que nous y arriverons. Nous ne sommes pas là pour prendre leur place, mais bien travailler avec eux. Les femmes doivent oser. Nous devons nous bousculer. Davantage de femmes doivent s’engager syndicalement, politiquement notamment pour les prochaines élections municipales. Nous sommes des agriculteurs comme les autres qui faisons face aux mêmes problématiques : sécheresse, agribashing, Ceta…», conclut Jacqueline Cottier qui rappelle que pour y arriver il faut donner les moyens aux femmes de s’investir en les soulageant notamment de la charge familiale. Un autre combat à mener.

TEMOIGNAGE

Françoise Verchère, éleveuse de charolaises à Cours (Rhône).
«Nous avons toute notre place»

Pour Françoise Verchère, éleveuse de charolaises à Cours, les agricultrices ont aujourd’hui toute leur place. «C’est un milieu très masculin, mais les choses ont beaucoup évolué et les lignes devraient encore bouger avec les nouvelles générations», souligne l’éleveuse de 46 ans associée du Gaec du Pont Gauthier aux côtés de son époux et de sa sœur. Françoise a commencé sa carrière professionnelle loin de la ferme familiale. Pourtant, l’envie de revenir à la terre où elle évolue depuis son enfance la tiraille. «Mon père a pris sa retraite en 2005. C’est à ce moment-là que l’idée de rejoindre l’exploitation familiale a germé.» Déterminée, Françoise décide de se former, «je ne connaissais pas le métier d’éleveur, mais souhaitais me former pour améliorer mes compétences pour la gestion de l’exploitation et approfondir mes connaissances techniques en matière d’élevage». Un an après, en janvier 2007, elle s’installe et s’occupe avec ses associés des 450 animaux, dont 160 vaches allaitantes, «nous sommes naisseurs, engraisseurs» et cultive 193 ha. Aujourd’hui, comme son mari et ces homologues masculins, l’éleveuse conduit le tracteur, livre les bêtes au marché, aide au vêlage, andaine, surveille les animaux, s’occupe de la part administrative, prend part aux décisions… bref Françoise est chef d’exploitation au même titre que son mari. «Nous sommes très complémentaires avec mes associés. Je ne suis pas là pour faire de la figuration. Avant, les femmes n’avaient pas les mêmes statuts. C’est le combat qu’ont mené certaines de nos aïeules qui nous ont permis que l’on reconnaisse notre place… Aujourd’hui, si nous, les femmes, voulons prendre notre place, nous l’avons. Ici, nous voyons beaucoup de filles d’exploitants qui reviennent sur l’exploitation familiale pour s’y installer», se réjouit Françoise Verchère qui reconnait tout de même qu’il faut avoir du caractère pour s’imposer et surtout avoir l’envie et la passion pour son métier. «Aujourd’hui, ce n’est pas notre place en tant que femme qui nous inquiète, mais bien plus la conjoncture qui est défavorable. Éleveurs, éleveuses, nous sommes tous inquiets pour notre métier !»

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