Le retour des variétés d’antan
Pissenlits blancs, chicorée tête d’anguille ou autres haricots princesse sont réhabilités par certains professionnels et
jardiniers amateurs. De bon augure pour le patrimoine légumier régional.
Ne les appelez plus les «oubliés du potager». Les légumes anciens sont à la mode. Dans les marmites de particuliers passionnés ou sur les tables de certains restaurants, ils font un retour gagnant. Issus de terroirs et de localités des Hauts-de-France, leur préservation présente des intérêts historiques et agronomiques.
«Le fruit d’un travail de longue haleine»
Les acteurs de la filière légumes sont unanimes : il y a bien un renouveau des variétés rustiques. «Portés par les consommateurs, quelques producteurs remettent en culture des souches locales, indique Richard Boucherie, spécialiste du Centre régional de ressources génétiques (CRRG) du Nord-Pas de Calais. Même si cela reste des initiatives de niche, il y a un regain d’intérêt.» Depuis 1985, le CRRG et les maraîchers unissent leurs efforts pour valoriser les variétés de légumes traditionnels dans le but de les réinscrire dans le catalogue officiel. À ce jour, 16 variétés des Hauts-de-France* peuvent être semées ou plantées. «C’est le fruit d’un travail de longue haleine et de partenariats», complète le responsable. Avant d’arriver dans les jardins, la conservation des variétés est orchestrée par le CRRG qui est en charge de les retrouver et de les sauvegarder. Il est épaulé par deux structures régionales : le Conservatoire botanique national de Bailleul où sont conservées au froid les graines, et le Pôle légumes région Nord (PLRN) à Lorgies (62) où sont réalisées les opérations de multiplication et d’évaluation. «Il est important de caractériser les plantes et de jauger leur comportement végétatif avant de les proposer à la vente», explique Dominique Werbrouck, en charge du PLRN.
Une fois la variété inscrite, il s’agit d’organiser une filière de production de semences incluant un agriculteur multiplicateur et une structure qui va battre et nettoyer ces semences. Actuellement, six exploitants produisent graines et bulbes. À ce stade a lieu la diffusion des variétés, c’est-à-dire la commercialisation. Pour les graines, elle est à ce jour faite par les Graines Bocquet à Moncheaux (59), les Graines Sabau à Bourbourg (59) et pour les bulbes, Artois Bulbes à Locon (62).
Exemples de réussite et perspectives
Souvent triées sur le volet par des générations de maraîchers qui les ont adaptées à leur contrée, les variétés anciennes ont une histoire pouvant remonter à plusieurs siècles comme la carotte «géante de Tilques» ou le chou frisé vert «grand du Nord». «Elles ont donc des qualités organoleptiques propres à notre région, insiste Richard Boucherie. Pour qu’elles vivent, il faut poursuivre leur réimplantation.» Ainsi, la coopérative Sipenord, située à Caestre (59), a largement vu augmenter ses surfaces de légumes anciens. «Certains adhérents ont choisi de se diversifier en pissenlits blancs, annonce Anne Ternynck, sa directrice. Cette production va représenter près de 10 % de notre chiffre d’affaires en 2017, contre 6 % l’année dernière». Des municipalités et agglomérations engagent également des démarches de valorisation de ce patrimoine (circuits courts, marchés, fêtes à thème…). La Communauté urbaine de Dunkerque (CUD) a par exemple lancé une campagne de promotion des légumes d’antan la semaine dernière. «Il s’agit de faire connaître aux habitants les variétés typiques des Flandres maritimes, informe Damien Carême, vice-président de la CUD. C’est un devoir de mémoire, un travail de transmission.» Autre élément symbolisant ce retour aux saveurs locales, le succès grandissant des légumineuses. «La culture de flageolets blancs de Flandre et de lingots du Nord est en expansion, avec l’arrivée de nouveaux producteurs, souligne Cathy Gautier, directrice du Groupement régional pour la qualité alimentaire. C’est une bonne nouvelle dans un contexte de changement des habitudes de consommation.» Dans l’optique de faire reconnaître leur savoir-faire et de le préserver, les producteurs de deux légumes - le haricot de Soissons et la carotte de Tilques - ont amorcé une démarche de certification IGP (indication géographique protégée). Parallèlement, la même réflexion est aussi menée pour un fruit : la fraise de Samer.
* Carotte géante de Tilques, échalote ardente, haricot princesse, laitue lilloise, navet de Péronne, oignon rouge d’Abbeville, poireau Leblond, ail gayant, échalote Lyska, échalote Primalys, haricot flageolet blanc de Flandre, flageolet vert Verdelys, laitue gotte de Loos, chicorée tête d’anguille, chou frisé vert grand du Nord et laitue grand-mère à feuille rouge.