Waide : une ancienne culture remise au goût du jour
L’Isatis tinctoria, appelée communément waide chez nous, a fait la renommée de la France et de la Picardie à une époque, avant de disparaître. Aujourd’hui, elle est à nouveau cultivée et commercialisée à petite échelle, y compris dans la Somme.
L’Isatis tinctoria a coloré toute l’Europe. Elle fait la fortune du Pays de Cocagne, de sa capitale Toulouse, et de celle de la Picardie, notamment d’Amiens, entre le XIIe et le XVe siècle. Ce nom ne vous dit rien ? Au sud, elle est plus communément appelée pastel des teinturiers, tandis que dans nos terres, elle est nommée waide. Certains disent aussi guède.
Il s’agit pourtant bien de la même plante : une herbacée bisannuelle, de la famille des crucifères, dont la floraison intervient entre les mois d’avril et de juin. Cette plante tinctoriale, d’aspect sauvage, possède des feuilles vertes et des fleurs jaunes. C’est de ses feuilles qu’est tiré le pigment bleu qui a fait sa renommée. L’arrivée de l’indigo d’Amérique au XVIIIe siècle mit fin à cet âge d’or. Mais le regain d’intérêt pour les produits naturels remet en lumière les qualités exceptionnelles de cette plante. Son activité reste une niche, mais les projets se multiplient et une filière refleurit, notamment dans les régions où la waide avait puisé ses racines.
La Coopérative agricole des plaines d’Ariège (Capa), dans l’Ariège, avait relancé sa production il y a une douzaine d’années. «Nous avons finalement mis en sommeil cette activité il y a deux ans et demi, explique Patrick Cazimir, en charge de cette filière pour la Capa. Les conditions économiques agricoles ne sont pas bonnes. Et, dans ce cas, ce sont toujours les petites productions qui en pâtissent.» La principale raison : des débouchés assez étroits, qui se résument aux petits commerçants, car les industriels exigent une qualité de production constante. Or, il était difficile de la standardiser. «Nous avons le savoir-faire, mais pas de filière organisée», ajoute-t-il.
La coopérative continue néanmoins la vente des semences pour maintenir en vie cette filière. Des producteurs privés du secteur, qui ont su créer leur propre débouché, poursuivent l’activité, «à hauteur d’un demi hectare par-ci, d’un hectare par-là. Le plus gros producteur cultive 2 ha».
Ces producteurs gèrent eux-mêmes l’extraction du colorant naturel. Comptez vingt-quatre heures d’extraction pour obtenir 2 kg de pigment pur, à partir d’une tonne de feuilles de pastel, soit environ 20 kg par hectare cultivé. A la différence des colorants de synthèse, la fabrication du pastel ne nécessite aucun solvant et ne produit pas d’effluent toxique. Les efforts en valent la peine : «Le pigment se vend en moyenne 250 € le kg», assure Patrick Cazimir.
Peintures et savons
Et les acheteurs ? On les compte sur les doigts de la main, mais l’activité semble solide. Les pots de peinture à base de pastel se vendent, paraît-il, comme des petits pains, à la Fleurée du Pastel, une boutique spécialisée toulousaine, rue de la Bourse. Il faut dire que dans la Ville rose, la dernière mode réservée aux maisons est un coup de pinceau bleu, 100 % naturel.
Graine de Pastel, qui élabore des produits cosmétiques à base d’Isatis tinctoria, a aussi multiplié les pieds à terre : Toulouse, Albi, Carcassonne, Montpellier, Paris… Et même à Séoul, en Corée du Sud. «Deux ans de recherche, à partir de 2003, nous ont permis de révéler les secrets de beauté de la plante : une composition extraordinaire des protéines de pastel en omégas 3, 6 et 9, des acides gras essentiels à la beauté de la peau. Nous voulions faire revivre un secret de beauté traditionnel dans des soins naturels, respectueux de l’environnement», expliquent Carole Garcia et Nathalie Juin, les créatrices de l’entreprise.
Dans la Somme, après la relance de l’activité par la famille Mortier, à Méharicourt, les Cottrel, à Salouël, ont aussi décidé de semer de la waide dans leurs terres. Un marché de niche, oui… mais qui, petit à petit, se (re)fait un nom.
L’histoire de l’or bleu de Picardie
La waide a fait, au Moyen-Age, la renommée du Santerre et de l’Amiénois. Elle aurait même permis de financer la construction de la cathédrale d’Amiens. Le soubassement de la façade occidentale de celle-ci est d’ailleurs décoré de fleurs de waide. Des statues, notamment sur le flan sud de la cathédrale, rendent hommage aux waidiers et à Saint-Nicolas, le patron des teinturiers.
Son secret ? Le pigment bleu extrait de ses feuilles, qui a fait la richesse des négociants waidiers amiénois de l’époque. Cependant, le processus de culture et d’extraction demande du temps. «La plante est d’abord cultivée à la campagne, les feuilles sont cueillies à la main et les feuilles fraîches broyées dans un moulin. Dès lors, la bouillie obtenue est mise à fermenter avec de l’eau et de l’urine humaine, puis retournée à l’aide d’une pelle toutes les quarante-huit heures pendant un mois», est-il précisé sur www.somme.fr. La pâte obtenue était de nouveau broyée au moulin et moulée sous forme de boules appelées «coques» que l’on faisait ensuite sécher. La quasi-totalité de la récolte était alors dirigée vers Amiens pour être exportée vers les villes drapantes de Flandre et d’Angleterre.
Mais les conflits qui opposèrent la France et l’Angleterre au XIVe et XVe siècles (guerre de Cent ans) vont mettre à mal les échanges commerciaux fructueux entre les deux pays. «Les Anglais vont contourner le problème d’approvisionnement en waide, en contribuant à développer la culture de cette plante dans le Sud-Oues et dans la région du Languedoc.»
Au XVIe siècle, la culture de la waide est définitivement supplantée par l’indigo, récemment découverte aux Amériques. Ce produit, moins cher et de moindre qualité, a raison du produit de luxe qu’est la waide. Il faut dire que le pigment bleu, de par sa rareté, coûtait particulièrement cher. Pour obtenir 1 kg de pigment, il fallait récolter 1 tonne de feuilles fraîches de waide.