Eleveurs et coopératives, des liens à renouer avec la fin des quotas
Tout au long de la période des quotas laitiers les éleveurs se sont désinvestis des décisions prises au sein de leurs coopératives. Un constat que fait aussi bien le syndicat majoritaire des producteurs de lait (Fnpl) que celui des coopératives laitières (Fncl).
La mise en place des quotas, il y a une trentaine d’années, a distendu les liens entre les éleveurs et leurs coopératives, des liens à recréer pour mieux résister à la volatilité des cours annoncée avec la fin des quotas. André Bonnard, trésorier à la Fédération nationale des producteurs de lait, le confirme : «Avec l’instauration des quotas, les éleveurs ont totalement délégué à leur coopérative», s’occupant uniquement de la production. Durant cette période, «ils ont adhéré à une coopérative souvent par héritage. Ils étaient juste propriétaires de parts sociales».
Un constat partagé par Dominique Chargé, président de la Fédération nationale des coopératives laitières (Fncl) : «Les éleveurs se sont désinvestis !» et, dans le même temps, l’esprit coopératif s’est un peu perdu. Par ailleurs, l’interprofession laitière permettait également de définir le prix du lait en accord avec l’ensemble des membres de la filière. Volume, prix, tout était encadré.
La contractualisation, rendue obligatoire par la Loi de modernisation agricole en 2010, a changé la donne. Censée préparer la fin des quotas, elle devait permettre de renforcer le pouvoir des producteurs face aux regroupements des acteurs de l’aval (industriels, coopératives, distributeurs). En effet, ces regroupement ont mis «les agriculteurs en situation de plus grande faiblesse dans la négociation de la cession de leurs produits et dans la capacité de conserver la valeur ajoutée générée», selon la Fnsea.
Un droit coopératif oublié des producteurs
Des contrats de droit privé ont donc été établis entre éleveurs et industriels privés, avec des formules de prix permettant de calculer un prix du lait. avec les coopératives, les éleveurs, également adhérents, ont passé des contrats avec, «plus ou moins, des formules pour calculer le prix du lait, sachant que, quoi qu’il arrive, le conseil d’administration décidera du prix du lait à appliquer», explique André Bonnard.
Pour autant, le conseil d’administration, composé d’éleveurs élus par leurs pairs, est censé agir dans l’intérêt des adhérents. Reste que ce n’est pas toujours le cas, sachant que les adhérents se sont fortement désinvestis des décisions.
Par ailleurs, explique André Bonnard, «une coopérative ne peut jamais licencier son adhérent [à l’inverse d’un industriel privé qui peut rompre son contrat avec le producteur, ndlr]. C’est une excuse pour les coopératives pour payer moins cher le prix du lait puisqu’elles sont dans l’obligation de récolter tous le lait de tous leurs adhérents» du fait d’une clause d’apport totale ; à elles ensuite de trouver les marchés pour le vendre.
La clause d’apport total, spécifique à la coopération, oblige la coopérative à prendre tout le lait du producteur. En échange, le producteur est fortement incité à s’approvisionner auprès de sa coopérative. Une manière d’intégrer la production qui se manifeste de plus en plus, selon André Bonnard. «Nous trouvons cela dangereux. Le droit coopératif, quoi qu’on en dise, donne le droit aux producteurs», relève-t-il.
"Putschs" démocratiques
Les coopératives ont également défini trois catégories de prix. «Pour la dernière catégorie (catégorie C), le producteur devrait pouvoir avoir le choix de vendre son lait ailleurs», estime André Bonnard. Au final, les industriels privés fixent un prix dans leur contrat et jouent sur les volumes, tandis que les coopératives ont un volume et jouent sur les prix. en compétition face à une grande distribution de plus en plus dure, bon nombre sont tentés de ne pas respecter leurs contrats pour proposer un prix toujours plus bas à l’aval, au détriment des éleveurs.
D’où la démarche de la Fnpl aujourd’hui : faire prendre conscience aux éleveurs de leur pouvoir au travers des coopératives. Le syndicat organise dans ce sens des sessions de formation en région sur le droit coopératif. «Objectivement, le contrôle du pouvoir est archi-démocratique dans une coopérative. Les éleveurs doivent réinvestir les coopératives», reconnaît André Bonnard. Il envisage d’éventuels «putschs», effectués démocratiquement par les adhérents. Les directeurs et conseils d’administration en place ont donc tout intérêt à ouvrir le dialogue.
Dominique Chargé, également président de la coopérative Laïta, l’a d’ailleurs bien compris puisqu’il revendique «le retour des éleveurs dans la vie de leur coopérative». Il cite en exemple sa coopérative où une consultation des 3 750 adhérents a permis d’estimer la demande d’augmentation de la production de la part des éleveurs à 14% d’ici à 2020.