«En environnement, les fermes industrielles ne sont pas plus mauvaises»
INTERVIEW
Jean-Louis Peyraud, chercheur à la direction scientifique de l'Inra
La "ferme des 1 000 vaches", symbole de l’industrialisation de l’élevage en France, suscite de nombreux débats à la veille de la fin des quotas laitiers. Entretien avec Jean-Louis Peyraud, chercheur à la direction scientifique de l’Inra et président du Groupement d’intérêt scientifique «Elevage de demain».
La "ferme des 1 000 vaches" est entrée en activité le 13 septembre. En quoi cette ferme est-elle si différente des élevages français ?
Sur la "ferme des 1 000 vaches", il y a plusieurs choses frappantes. La première chose, c’est la taille du troupeau. An Allemagne, il y a beaucoup d’exploitations de 2 000 ou 3 000 vaches. Je ne dis pas que ce sont des modèles à suivre. mais en France, cela reste des modèles marginaux. Et ce n’est pas parce qu’une ferme le fait, que le modèle sera promu.
La seconde chose, c’est l’origine de l’investissement. il vient d’un entrepreneur du BTP : c’est complètement hors-norme en France.
Le projet a-t-il des points positifs ?
On vante souvent le modèle de polyculture-élevage. C’est très intéressant d’avoir des animaux et des cultures sur un même territoire. Et dans un territoire comme la Somme, l’élevage est en train de disparaître. Au départ, ce sont six éleveurs qui avaient chacun une centaine de vaches. Est-ce que ce type de projets n’est pas une façon de maintenir de l’élevage dans certains territoires ? On peut se poser la question.
Economiquement, le projet des 1 000 vaches est-il solide ?
Le promoteur fait tout pour, et avec des investissements forts. Le gros avantage de cette ferme, c’est qu’elle devrait être très réactive aux signaux du marché après 2015, contrairement à certaines fermes familiales. Par exemple, en modifiant la ration des animaux, elle peut considérablement augmenter ou diminuer la production totale de lait car le nombre d’animaux est élevé. De plus, une ferme de cette taille a un poids non négligeable pour négocier les aliments du bétail, mais aussi vis-à-vis de l’industrie pour vendre le lait. Ce sont des points économiques positifs à ne pas négliger.
Après, les économies d’échelle ont des limites. En élevage intensif avec de tels troupeaux, il faut faire de gros investissements dans les bâtiments. La marge réalisée par litre de lait est très faible. Leur objectif est donc de produire en quantité pour être économiquement rentable. Mais il suffit qu’il passe en marge négative, même proche du zéro, et ils ne sont plus rentables. Le moindre écart technique peut coûter cher. Le modèle est risqué.
«Faire de l’environnement» est-il possible dans des élevages de taille industrielle ?
Une ferme comme la "ferme des 1 000 vaches" peut être aussi efficace d’un point de vue environnemental qu’une autre ferme. Tout est contrôlé dans le bâtiment. On peut imaginer qu’il y aura un spécialiste responsable des rations, un spécialiste pour gérer les effluents d’élevage… L’exploitation peut tout-à-fait répondre aux normes de la directive nitrates, voire faire plus. Une exploitation industrielle n’est pas plus mauvaise qu’une exploitation extensive. elle peut même être meilleure car elle rejette très peu. Le méthaniseur permet de rejeter moins de gaz à effet de serre, la maîtrise de l’alimentation permet de limiter les rejets d’ammoniac. Pour les cultures, ils auront les appareils qui permettent d’injecter le lisier directement dans le sol ce qui évite les problèmes d’odeurs et limite les émissions de gaz dans l’air. Mais la pollution des eaux peut arriver autant dans ce type d’exploitation que dans une exploitation extensive.
Pour résumer, les systèmes extensifs arrivent à de bonnes performances environnementales naturellement. Les exploitations intensives peuvent y arriver, mais avec beaucoup d’investissements matériels, de l’ordre de millions d’euros.
Quelle est la principale limite du modèle de la "ferme des 1 000 vaches" ?
Elle est sociétale. Pour les citoyens, les animaux doivent être élevés en extérieur. Développer une ferme comme cela, ça met les vaches dans une position de monogastrique (poulet, porcs) : à l’intérieur toute l’année. Ce type d’élevage n’est pas acceptable pour les citoyens.
Les opposants au modèle industriel expliquent aussi que ce dernier crée moins d’emplois que de nombreuses exploitations petites et moyennes.