Lait : s'y retrouver dans le dédale des démarches qualité
Pour les éleveurs comme pour le consommateur, il n'est pas toujours simple de s'y retrouver face à la multiplication des démarches de segmentation du lait. Le point avec le Cniel.
Elles portent sur 60 % du lait de grande consommation en France, contre seulement 26 % du lait collecté en Europe et un petit 14 % du lait collecté dans le monde. De quoi parle-t-on ? Des démarches de segmentation que l'on a vu fleurir depuis quelques années. économiste au Cniel, Benoît Rouyer est revenu sur ces démarches le 20 novembre à Saulty, lors d'une journée consacrée à l'élevage laitier organisée par la Chambre d'agriculture Nord-Pas-de-Calais et ses partenaires. Les démarches de différenciation du lait sont de deux types : d'une part, les démarches dites «officielles» (AOP, Bio, Label Rouge...) en face desquelles on retrouve les démarches «privées» que sont les marques nationales, les marques collectives, des marques de certification...
Le bio en haut de l'affiche
En admettant, comme le constate le Cniel, que les démarches publiques de différenciation sont «un levier important de création de valeur», une enquête réalisée sur le sujet montre que les SIQO (AOP, IGP, STG, Label Rouge, Bio) et mentions valorisations - lait de montagne, fermier et HVE - représentent 15 % du lait national. Parmi ces démarches, le lait bio est celui qui s'affiche largement en tête avec une progression de 11 % par an sur les douze dernières années. En 2018, la collecte de lait bio s'est portée à 848 millions de litres (+ 34 % par rapport à 2017) et représentait 3,5 % de la collecte totale de lait de vache. Dans les Hauts-de-France, la collecte de lait bio représentait 5 % de la collecte nationale quand la collecte de tous laits de vaches confondus représentait 10 %.
En 2009, on estime que la collecte de lait bio devrait progresser de 4 %, et concerne encore principalement le lait liquide. Fort de ce constat, «il y a donc des marges de progrès pour les autres types de produits, comme les fromages», avance Benoît Rouyer.
En parallèle aux démarches publiques, ces dernières années ont vu apparaître de nombreuses démarches privées, portées par des entreprises de transformation privées ou coopératives : lait de pâturage, lait bas-carbone, sans OGM, sans antibios... Apparues depuis 2009, leur nombre n'a cessé depuis de s'accroître, avec un nouveau pic de développement en 2017. Pour l'économiste du Cniel, si le phénomène est particulièrement visible en France, il est en revanche moins développé ailleurs en Europe. Deux exceptions semblent néanmoins se vérifier : le lait de pâturage, particulièrement apprécié aux Pays-Bas, et le lait sans OGM, plébiscité en Allemagne.
Des efforts invisibles
Si certaines démarches s'affichent clairement sur les emballages, d'autres sont en revanche plus discrètes. C'est le cas, par exemple, du lait sans antibiotiques. Il s'agit pourtant, selon le Cniel, d'une «démarche de progrès dans le cadre du plan de filière». Le but de cette démarche qui impose un contrôle de la présence d'antibios dans le lait à partir du 1er janvier 2020 est «de répondre aux attentes sociétales de sécurité alimentaire», poursuit l'interprofession laitière française. Des programmes et actions pour réduire l'utilisation des antibiotiques, un site d'information ou, encore, la recherche de traitements alternatifs aux antibiotiques sont en réflexion.
La démarche «lait bas-carbone» s'appuie, quant à elle, sur une approche collective et un outil de mesure de la performance : Cap'2ER. Dans ses engagements, la ferme laitière bas-carbone consiste à réaliser un diagnostic environnemental technico-économique, identifier des leviers d'action pour améliorer son empreinte carbone, construire avec l'éleveur un plan d'action adapté et, enfin, à communiquer positivement sur l'élevage et la filière laitière française.
D'autres démarches, enfin, détonnent parce qu'elles n'émanent pas d'un industriel de la transformation laitière ou d'éleveurs, mais de la grande distribution. En Allemagne, l'enseigne Aldi s'est associée en 2019 à une association de défense et de protection des animaux pour lancer un lait «Fair&Gut» qui garantit le respect de normes sur le bien-être animal. D'autres enseignes de grande distribution allemande pourraient lui emboiter le pas prochainement.
Dernières nées parmi les démarches qualité, les Block Chain promettent, quant à elles, aux consommateurs plus de transparence sur le procédé de fabrication du produit. Grâce à un QR-code posé sur la bouteille, le consommateur peut ainsi retracer le parcours du lait, de la vache qui l'a produit jusqu'à la mise en bouteille. Dans les Hauts-de-France, la primeur de la démarche revient à la coopérative Prospérité fermière qui l'a lancée en octobre 2019 avec un groupe d'une centaine d'éleveurs et 40 millions de litres de lait. Pour Benoît Rouyer, rien ne doit empêcher industriels et éleveurs d'être «proactifs» en matière de démarche qualité : «Si ce ne sont pas les professionnels qui le font, le risque est de voir apparaître des démarches qui vont vous être imposées.» Du côté des éleveurs, le souhait reste d'y voir un peu plus clair face à la multiplication des démarches. Un peu d'harmonisation ne serait pas malvenu.
Lait de pâturage et sans OGM, des pistes d'avenir ?
Alors que l'on assiste en France - cela est particulièrement vrai depuis 2017 - à une multiplication du nombre de démarches d'industriels proposant du lait de pâturage, le Cniel a établi un référentiel commun pour définir des règles minimales pour encadrer l'usage de la mention «pâturage». Aux Pays-Bas, le lait de pâturage est devenu une «référence» assure Benoît Rouyer, puisqu'il concerne plus de 80 % des exploitations laitières néerlandaises. Le cahier des charges y impose une durée de 120 jours par an à raison de
6 heures par jour de pâturage. -En France, la durée de pâturage minimum est également fixée à 120 jours par vache laitière, sur une surface de 10 ares, et une durée minimale de 6 heures par jour. Fonction des entreprises, la surprime accordée aux éleveurs engagés dans cette démarche est de l'ordre de 15 EUR/1 000 litres. Suffisant ou pas ? Pour le Cniel, «cela est correct pour un éleveur engagé dans un système herbager, avec un parcellaire regroupé. Dans d'autres situations, ce n'est pas intéressant». Si l'on se penche sur ces démarches, on constate d'ailleurs que chez la plupart des industriels, la mention «lait de pâturage» est associée à d'autres critères et, plus particulièrement, celle qui garantit l'absence d'OGM dans l'alimentation des animaux. En ce qui concerne cette dernière, du côté du Cniel, on affirme également travailler à la mise en place d'un cahier des charges harmonisé pour la démarche. Ce qui aurait pour effet de la rendre valorisable à l'export, mais qui ne résout pas encore la question de sa rentabilité et de l'autosuffisance protéique des exploitations françaises.
S'adapter à un changement climatique inéluctable
Conseiller énergie climat à la Chambre d'agriculture du Nord-Pas-de-Calais, Fabien Dutertre présentait lors de la journée de l'élevage laitier et du bâtiment à Saulty (62) les effets de changement climatique en agriculture en fonction de plusieurs hypothèses d'engagement à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). En l'état actuel des choses, plusieurs de ces effets sont d'ores et déjà constatés : avancée de la date de mise à l'herbe des troupeaux, risque accru d'une deuxième vague d'infestation du maïs par la pyrale ou, encore, gain d'une à deux semaines sur la faisabilité d'une récolte d'herbe... Une étude réalisée par Idele-Institut de l'élevage, dans le Boulonnais à partir de données collectées entre 1950 et 2014, montre que le nombre de jours de stress «léger» à «marqué» chez des bovins laitiers est resté relativement stable alors que des projections montrent un risque d'augmentation de ce phénomène s'il n'y a pas de mesures prises par les éleveurs, à l'horizon 2030-2050. Si d'aucuns peuvent trouver un certain nombre d'avantages au réchauffement climatique, Fabien Dutertre rappelle néanmoins que ses effets entraîneront plus d'instabilité et de variabilité qu'à l'heure actuelle. En France, on estime autour de 20 % la part de l'agriculture dans les émissions de gaz à effet de serre ; ce qui en fait la troisième source d'émission. Et le conseiller de la chambre d'agriculture de rappeler les démarches engagées par le monde agricole pour tenter de les diminuer : «En production laitière, l'outil Cap'2ER permet d'identifier différents leviers comme la recherche de l'autonomie alimentaire, la réduction de l'âge du premier vêlage, l'optimisation de la fertilisation... Demain, on pourra aussi travailler sur le stockage du carbone, puisque si le monde agricole est émetteur de gaz à effet de serre, il a aussi la capacité de stocker du carbone.»