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Les capteurs vont révolutionner l'élevage laitier

De moins en moins chers, de plus en plus performants, les capteurs se multiplient et produisent une masse de données de plus en plus importantes. L’ère des big-datas, les méga-données, se profile en élevage et laisse entrevoir de nombreuses applications, explique Philippe Faverdin, directeur de recherche à l’Inra.

© DR + Franck Mechekour

L’ère des méga-données, des big datas, est-elle arrivée en élevage ?
Il y a actuellement une révolution dans les capteurs. Ils sont de plus en plus performants et bon marché. Dans la recherche, les données issues de capteurs nous intéressaient pour faire du phénotypage (description des caractères observables d’un être vivant, ndlr). Jusqu’ici, elles étaient ponctuelles et chères. Les nouvelles technologies nous offrent des données en continu et beaucoup moins chères. Des données biologiques (température, pH, composition biochimique du lait ou de l’urine), comportementales (couchage, activité, rumination, interactions entre animaux, alimentation) et morphologiques (conformation arrière, taille au garrot, trayons...). Nous saurons plus de choses sur les animaux et les éleveurs vont pouvoir faire du monitoring.

En quoi consiste le monitoring en élevage ?
Le monitoring permet la surveillance des animaux pour détecter la survenue d’évènements (reproduction, santé). L’un des les plus anciens en élevage, c’est la détection des chaleurs à l’aide de podomètres qui existe depuis plus d’une dizaine d’années. Aujourd’hui on dispose d’accéléromètres en trois dimensions plus performants, plus précis que les anciens podomètres. Cela tombe bien, parce qu’avec l’augmentation de la productivité des vaches, les chaleurs sont de moins en moins nettes.
Au delà du monitoring, il y a l’aide à la décision, voire l’action automatique. Le constructeur de matériel de traite Lely commercialise un système appelé DLM, qui permet d’optimiser l’utilisation du concentré en fonction des réponses individuelles des vaches et des éléments de prix. On peut aussi imaginer, en cas de trouble de santé détecté par les capteurs, des changements automatiques d’alimentation ou d’ambiance, pour faire de la prévention. Dans le futur, l’éleveur fixera des règles, mais en déléguera l’application à des automates.

Est-on capable de construire une étable sans éleveur ?
Il y a eu des expérimentations en Nouvelle Zélande à Dairy NZ avec le projet Greenfield à partir de 2001 dans lequel des chercheurs avaient organisé un accès automatisé à différents paddocks autour d’un robot de traite pour minimiser le travail. Comme ils ont peu de problèmes sanitaires avec leurs vaches faibles productrices, une fois la période de reproduction passée, il y a peu d’interventions.
Les éleveurs néozélandais n’ont cependant pratiquement pas développé ce système pour l’instant. Je ne crois personnellement pas à un élevage sans éleveur, mais l’élevage de précision peut renforcer l’attractivité du métier d’éleveur. L’agrandissement des exploitations va inciter les éleveurs à utiliser l’aide de capteurs, de systèmes automatisés, pour ne pas rater des évènements importants dans la conduite du troupeau. C’est d’abord une diminution de la charge mentale qui est appréciée. La limite, c’est que plus vous mettez de robots, plus il faut du temps pour les entretenir, surveiller le matériel.

Peut-on imaginer que cette maintenance soit à moyen terme entièrement sous-traitée ?
Les systèmes intègrent souvent une surveillance de maintenance des dispositifs. Ce que l’on observe aujourd’hui dans les exploitations à plusieurs associés, c’est qu’il y a souvent un des agriculteurs qui devient plus spécialisé dans le robot, qui devient alors le seul à pouvoir intervenir rapidement sur la machine quand elle a des alertes. Avec le développement des capteurs, il faudra être expert dans le traitement de toutes les informations fournies.

À un niveau plus large, disons national, quels pourraient être les usages des big datas ? On pense à la génétique, au sanitaire...
Il se passe déjà des choses. Les grands industriels qui développent des capteurs, des données et les centralisent, vont les valoriser en se rapprochant des organismes de sélection. Ce croisement va permettre avec la sélection génomique de faire émerger de nouveaux critères de sélection ou d’améliorer ceux qui existent. On devrait voir émerger les critères «reproduction» ou «boiteries». Quand nous aurons tous les paramètres de reprises de cyclicité, nous aurons une évaluation plus précise de la fertilité d’une vache, que celle que l’on mesure avec l’intervalle vêlage-vêlage.
Concernant les épizooties, nous ne les éviterons pas, mais nous pourrons mieux les comprendre et mieux intervenir. A l’échelle d’un élevage, on peut penser que demain, un certain nombre de pathologies sévères pourraient être soignées plus précocement en élevage afin d’en limiter les effets, comme les mammites colibacillaires, par le suivi de la température que permettent les thermobolus ou d’analyses de postures par tapis sensibles ou imagerie pour les boiteries. Ces informations peuvent également servir ensuite à des programmes de sélection génétique.

La réglementation bien-être s’oriente vers plus d’obligations de résultats. On imagine que les capteurs auront un rôle important dans ces dispositifs.
Beaucoup de pays, l’Allemagne, les Pays-Bas par exemple, se posent la question de mettre dans les élevages des capteurs sensibles aux états de stress des animaux, afin que les éleveurs prouvent qu’ils sont compatibles avec le bien-être animal. En élevage laitier, on voit, dans les cartons, apparaître des projets sur la « vocalisation », la détection audio de la communication de souffrances ou de stress, mais aussi sur la fréquence cardiaque, l’amaigrissement... On peut imaginer que ces indicateurs pourraient demain servir à évaluer le bien-être au sein d’un troupeau.

Quels sont les freins aujourd’hui à l’utilisation de ces données à grande échelle ?
Ces données présentent une valeur potentielle pour ceux qui les détiennent, et elles ne sont de fait pas toujours facilement accessibles. Cela se justifie également pour des problèmes de confidentialité et de coût d’acquisition. Les fabricants cherchent à offrir une gamme de services compatibles, mais qui rendent leurs systèmes relativement fermés. Si vous êtes doté d’un robot de traite d’une marque donnée, vous aurez accès à de nombreuses informations de cette marque, mais le dispositif d’un autre équipementier communiquera difficilement avec celles-ci. La limite de ce raisonnement, c’est que beaucoup de ces données n’auront pas de valeur si elles ne sont pas partagées, car il faut pouvoir les valoriser. Des progrès ont cependant été réalisés et les données des robots de traites devraient aujourd’hui remonter dans le système national d’information génétique français. Mais le traitement massif des données n’est pas simple, il faut y investir du temps et des moyens pour bien valoriser ce capital.

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