«Plus d’un tiers des accidents sont liés aux activités d’élevage chez les exploitants agricoles»
Analyse de l’accidentologie au travail dans le monde agricole avec Laurent Ducarroz, responsable du service santé et sécurité au travail, à la MSA de Picardie.
Quelles sont les statistiques des accidents de travail dans le milieu agricole en Picardie ces dernières années ?
Avant de donner ces chiffres, il faut avoir à l’esprit que ceux-ci englobent à la fois les accidents de travail et les maladies professionnelles telles que les troubles musculo-squelettiques provoqués par des gestes répétitifs sur les chaînes de production.
En 2015, sur une population globale de 41 572 actifs agricoles, dont 15 833 exploitants agricoles et 25 739 salariés agricoles, 2 982 accidents de travail ont été déclarés, soit 7 % d’accidents, dont 376 chez les exploitants agricoles et 2 606 chez les salariés agricoles.
En 2014, il y en a eu 3 401, dont 470 chez les exploitants et 2 931 chez les salariés. En 2013 se sont produits 3 703 accidents de travail, dont 448 chez les exploitants et 3 255 chez les salariés. En 2012, enfin, nous avons enregistré 3 795 accidents, dont 561 chez les exploitants et 3 234 chez les salariés.
Le premier constat est que les accidents de travail baissent au fur et à mesure des années.
Quelles sont les statistiques nationales ? Et, au vu de ces statistiques, y-a-t-il une différence entre l’accidentologie en milieu agricole à l’échelle nationale et celle à l’échelle picarde ?
En 2015, 95 287 accidents de travail en milieu agricole ont été enregistrés, dont 24 533 chez les exploitants et 70 753 chez les salariés. L’année précédente, le chiffre était de 101 382, dont 27 783 chez les exploitants et 73 599 chez les salariés. La moyenne nationale est de 7,9 % alors que celle de la Picardie est de 7 %. Si l’on poursuit les comparaisons, celle du Nord-Pas-de-Calais est de 6,7 %. Autrement dit, en termes d’accidentologie, la Picardie ne se démarque pas vraiment par rapport aux autres départements ou par rapport à la moyenne nationale. La seule différence notoire est que la baisse des accidents enregistrée entre 2014 et 2015 est de l’ordre de 20 % chez nous alors qu’elle est, à l’échelle nationale, de 6 % seulement.
A quoi attribuez-vous cette baisse des accidents de travail ?
L’une des raisons principales est la prise en compte de plus en plus de la santé au travail dans les exploitations agricoles. Que cela soit lié ou non à la crainte de la judiciarisation des situations accidentelles sur le lieu de travail, peu importe, l’essentiel est que la santé au travail est de plus en plus au cœur de la démarche des agriculteurs sur leurs exploitations. Par ailleurs, il y a eu des avancées législatives conséquentes telles que la nécessité de remplir le document unique comprenant l’évaluation des risques professionnels. L’amélioration du matériel agricole entre aussi en ligne de compte, ainsi qu’une meilleure protection dans l’utilisation des produits phytosanitaires. Enfin, il ne faut pas oublier que la santé au travail est désormais enseignée dans les établissements scolaires agricoles. Etant sensibilisés au cours de leur scolarité, ces jeunes, qui seront les futurs exploitants ou salariés agricoles, auront d’entrée les bons réflexes par rapport à cette problématique.
Quelle est la nature des accidents au travail ?
Plus d’un tiers des accidents sont liés aux activités d’élevage chez les exploitants agricoles, et principalement des activités en bovins. Il peut s’agir d’accidents survenant dans la salle de traite, lors de la manipulation des animaux, lors de leur embarquement, lors de leur alimentation, etc. Sinon, les autres accidents sont en lien avec le transport, notamment la chute lors de la montée ou de la descente des engins agricoles.
Chez les salariés agricoles, les accidents sont plus divers. Mais 80 % de ces accidents sont dus à des problèmes d’organisation en raison, par exemple, de la précipitation dans les actions ou bien de la non-préparation en amont des actions à accomplir.
Comment expliquez-vous que les salariés soient plus exposés aux accidents de travail que les exploitants ?
Il y a une raison simple à cela : ils sont bien plus nombreux que les exploitants. Par ailleurs, il est aussi fort possible qu’il y ait une sous-déclaration des accidents de la part des exploitants agricoles.
Est-ce que la taille des entreprises joue un rôle dans les accidents de travail ?
Les petites exploitations sont incontestablement plus exposées, et d’autant qu’il y a de moins en moins de salariés sur les exploitations et les salariés sont de plus en plus des travailleurs isolés. Dans les plus grandes exploitations, les accidents concernent surtout la main-d’œuvre temporaire ou saisonnière.
Qu’en est-il des accidents de travail mortels ?
Quatorze décès ont été déclarés en 2015. Pour l’heure, neuf ont été reconnus comme accidents de travail mortels. Quatre concernent des salariés, cinq des exploitants. En 2014, sur les douze déclarés, un a été refusé. Sept concernaient des exploitants et quatre des salariés. En 2013, sur les neuf reconnus sur dix, tous concernaient des salariés. En 2012, sur les quatre reconnus sur cinq, tous, là encore, n’ont touché que des salariés. Tout cela pour vous dire que les accidents de travail mortels concernent autant les exploitants que les salariés.
Parmi les accidents de travail mortels les plus recensés se trouvent les problèmes cardio-vasculaires, les accidents de circulation et les accidents provoqués avec les bovins. Dans tous les cas, une enquête administrative et technique est réalisée par les contrôleurs de la MSA, à laquelle s’ajoute le travail du service santé au travail. Nous vérifions que l’accident s’est bien produit sur le lieu du travail et que le travail accompli s’est réalisé dans les règles de l’art.
Le suicide sur le lieu du travail peut-il être reconnu comme un accident de travail mortel ?
Le suicide peut faire l’objet d’une déclaration d’accident de travail. Une fois cela dit, c’est au cas par cas. Il peut être reconnu, comme ne pas l’être. Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte. Dans tous les cas, le contrôle médical est déterminant dans la définition de l’accident de travail.
Quel est le coût des accidents ?
Les coûts sont de plus en plus élevés. Bien que l’on ait de moins en moins d’accidents de travail, ils sont de plus en plus conséquents financièrement, car les personnes sont arrêtées plus longtemps et le coût de la médicalisation est de plus en plus cher. A cela, il faut ajouter le coût indirect que supporte l’exploitant agricole qui doit faire appel, par exemple, à un service de remplacement pour que le travail se poursuive en son absence ou celle de son salarié.
Quelles sont les aides financières mises en place par la MSA dans le cadre de la prévention des accidents du travail ?
On a une politique d’aides financières simplifiées pour les exploitants sur une opération. A titre d’exemple, on peut les aider financièrement sur l’acquisition de certains matériels de sécurité allant au-delà de la réglementation. Avant d’accorder notre aide, nous nous assurons cependant que la personne est à jour de ses cotisations sociales, qu’elle a fait son évaluation des risques professionnels sur son exploitation, et qu’elle est bel et bien engagée dans cette démarche de prévention. Systématiquement, un contrôle est fait pour s’assurer de tous ces paramètres. Outre le fait que notre budget est dédié et contraint, on ne fait pas ce que l’on veut avec cet argent, car c’est de l’argent public.
L’autre type d’aides financières est le contrat de prévention pour les exploitants agricoles. Cela concerne généralement les exploitations de grande taille. L’exploitant s’engage pour un, deux, voire trois ans, pour améliorer les conditions de travail sur son exploitation.
La MSA a élaboré son Plan santé sécurité au travail 2016-2020. Quel est son contenu et sa déclinaison picarde ?
A l’échelle nationale, l’objectif est de s’attaquer à la prévention première. Nous avons défini trois niveaux de prévention : le premier, c’est aller à la source, soit anticiper avant l’accident de travail ; le second, c’est aller sur le lieu de travail après l’accident et mettre en place des actions correctives ; le troisième, c’est réparer. L’objectif est de travailler le premier niveau.
En Picardie, nous avons dégagé un certain nombre de priorités par rapport à l’objectif national. Parmi nos priorités, il y a le risque animal (bovin, hippique-équin), les troubles musculo-squelettiques, la chute de hauteur, les risques psycho-sociaux, le risque chimique, l’employabilité des actifs agricoles et les exploitations forestières. Ce sont sur ces thématiques que nous devons travailler pour développer la prévention.
Ce Plan implique l’ensemble de l’équipe pluridisciplinaire de la MSA, à savoir les conseillers en prévention, les médecins du travail et les infirmières de santé au travail.