Ceta : des réelles distorsions de concurrence
Si le gouvernement n’a eu de cesse de rassurer les Français juste avant la ratification du Ceta par l’Assemblée nationale, les disparités entre les modes de production canadiens et européens existent bien. Revue de détail.
En vigueur à titre provisoire depuis deux ans, le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada devait passer devant l’Assemblée nationale pour ratification le 17 juillet (à l’heure où nous bouclons, nous n’avons pas le retour des échanges, ndlr). Cette échéance, juste après la conclusion d’un accord entre l’Union européenne et les pays du Mercosur le 28 juin, a ravivé les inquiétudes des filières agricoles françaises, qui ont rappelé les différences importantes entre les normes de production européennes et canadiennes.
Le cas des farines animales
L’utilisation des farines animales en est un exemple frappant. Ainsi, si le gouvernement, par la voix de plusieurs ministres (notamment le secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Lemoyne), mais aussi sur son site Internet, affirme que le Ceta ne favorise pas l’importation de bovins nourris aux farines animales, car «l’importation de viande issue de bovins nourris aux farines animales est interdite», et que le Canada a interdit l’alimentation de son bétail par des farines animales issues de viandes bovines, la réalité est plus complexe.
Certes, l’utilisation des farines de viande et d’os, et de cretons de ruminants est interdite pour l’alimentation des bovins, conformément à ce qui est nécessaire pour obtenir, de la part de l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale), le statut de «risque maîtrisé» à l’égard de l’ESB. Néanmoins, la réglementation de l’OIE ne dit rien en ce qui concerne les protéines animales transformées issues de ruminants et les sous-produits transformés issus de non-ruminants.
Et si l’Union européenne a interdit l’utilisation de farines animales et de protéines animales transformées (à base de porc ou de volaille) pour l’alimentation des animaux (sauf pour les poissons), les éleveurs canadiens ont, eux, le droit d’utiliser les protéines animales transformées dont les consommateurs européens ne veulent pas. Pour la DGAL (Direction générale de l’alimentation), l’utilisation de ces protéines ne présente aucun risque sanitaire pour le consommateur européen. Les services du ministère de l’Agriculture estiment d’ailleurs que le sujet pourrait revenir sur le devant de la scène au niveau européen, puisque ces protéines animales transformées ont des avantages nutritionnels, qu’elles pourraient permettre de réduire les importations de protéines végétales, et qu’elles réduisent également le gaspillage.
Les antibiotiques comme accélérateurs de croissance
L’utilisation des antibiotiques comme accélérateurs de croissance est une pratique courante pour les éleveurs canadiens, alors qu’ils sont interdits depuis 2006 au sein de l’Union européenne. Lors des contrôles aux frontières de l’Union européenne, la recherche d’antibiotiques n’est réalisée que pour la viande d’agneau et de cheval. La réglementation européenne prévoit d’interdire cette pratique, pour la viande importée, d’ici le 1er janvier 2022 au plus tard, face aux problématiques de résistance aux antibiotiques et aux enjeux pour la santé humaine.
Du côté de la DGAL, on précise néanmoins que des Limites maximales autorisées (LMR) sont définies pour éviter les risques sanitaires, et des plans de surveillance et de contrôle des résidus existent, agréés par l’Union européenne. Cependant, le Canada a signé, avec d’autres pays, notamment le Brésil, mais aussi l’Australie et la Nouvelle-Zélande, un texte dénonçant à l’OMC les normes européennes qu’ils apparentent, selon eux, à du protectionnisme.
Pesticides
Outre les interdictions relatives aux antibiotiques, ces pays dénoncent également les interdictions de nombreux produits phytosanitaires. Le rapport Schubert, sur l’évaluation de l’impact du Ceta d’un point de vue de l’environnement et de la santé, et remis au gouvernement en septembre 2017, fait ainsi état de quarante-six substances interdites dans l’Union européenne et autorisées au Canada. Pour la DGAL, cela ne présente pas de risques sanitaires pour les consommateurs…
Cependant, ces produits ont un impact très négatif sur l’environnement, et l’on peut regretter les exigences françaises très fortes au niveau national, alors qu’elles autorisent l’importation de produits agricoles issus de modèles de production moins vertueux. Le bien-être animal est d’ailleurs l’un des grands absents du traité. A noter qu’en 2018, les Français étaient bénéficiaires nets du commerce franco-canadien, mais pour les produits agricoles, ceci ne fait que poursuivre la tendance historique. Seules 119 t de viande bovine ont été importées. Néanmoins, après ratification de l’accord, cette proportion devrait augmenter au fur et à mesure que les élevages canadiens s’adaptent à la production sans hormones, seule véritable exigence de l’Union européenne, au final, quant à l’importation de viande canadienne.