Cher pétrole peu cher !
Le pétrole a connu bien des hauts et des bas depuis sept ans. Et encore plus depuis un an. Décryptage et tour d’horizon.
Le pays des montagnes russes, s’il existait vraiment, pourrait tout à fait convenir au pétrole, cette matière première fossile qui a été et qui demeure le socle de la consommation d’énergie dans le monde.
En juillet 2008, au plus fort de la crise financière, son cours atteignait 144 dollars le baril pour le pétrole américain (référence WTI) et 133 dollars pour le Brent, référence européenne. Il a ensuite beaucoup reculé avant de connaître une nouvelle flambée.
Puis entre le début de 2014 et mai 2015, il est passé de 125 dollars à 50-60 dollars. Le Brent est passé de 83 dollars en juin 2014 à 58 dollars en mai 2015.
Baisse passagère ? Pas sûr ! Récemment, le Qatar a déclaré qu’il fallait oublier l’idée d’un baril à 100 dollars et plusieurs experts des marchés du pétrole excluent un retour vers la barre des 100 dollars à court terme.
Un marché inversé
Traditionnellement, le monde vivait avec une offre et une demande en perpétuelle augmentation avec des pays producteurs qui avaient la main sur l’offre et donc étaient en mesure de contrôler les prix au gré de leurs intérêts. Avec la crise économique, tous ces paramètres se sont modifiés. L’offre reste importante et la demande a ralenti notamment sous les effets de la crise économique générale et du fait aussi du ralentissement de la progression de l’économie chinoise.
Mais les besoins de cette économie chinoise sont tels, avec ceux — dans une moindre mesure — d’autres pays émergents, que le marché pétrolier est moins contrôlé par les producteurs.
L’apparition et la montée en puissance de nouveaux producteurs non-membres de l’Opep a aussi limité les capacités de cette dernière à intervenir efficacement sur le marché pour réguler les cours. Dans ce contexte, la baisse des cours du pétrole pourrait octroyer un surplus de croissance mondiale de 0,3 % à 0,7 % en 2015.
Et maintenant ?
Évidemment, pour les pays consommateurs de pétrole afin de faire tourner leur économie et pour le consommateur final, la baisse des cours de l’or noir est une bonne nouvelle : baisse des coûts de production pour les premiers, baisse des dépenses pour les seconds (aux Etats-Unis, la baisse 2015 pourrait redonner 90 dollars par mois de pouvoir d’achat aux ménages).
Il n’y a pas lieu de douter, sauf évènements exceptionnels (catastrophes, guerres, El Niño…), de la prolongation d’un marché du pétrole plutôt bas pour les mois à venir.
La Banque de France, dans ses projections macroéconomiques de juin 2015, fait l’hypothèse d’un baril de pétrole Brent à 63,80 dollars en moyenne pour 2015, 71 pour 2016 et 73,1 pour 2017. Le cabinet d’études Xerfi calcule une moyenne de 53 dollars pour 2015.
D’autres études évoquent un plafond de 70 à 80 dollars dans les prochains mois, parfois 89 dollars, pas plus. Aux Etats-Unis, le cabinet KPMG a interrogé les producteurs américains de pétrole : la moitié d’entre eux estime que le baril restera sous les 60 dollars d’ici fin 2015.
Preuve, cependant, de la capacité du marché à supporter des amplitudes de cours importantes, le FMI prévoit des fourchettes très larges de fluctuations entre mi-2015 et début 2016 : de 35 à 110 dollars (avec une probabilité que le cours se situe dans cette fourchette de 95 %) à 43 - 81 dollars (avec une probabilité que le cours se situe dans cette fourchette de 68 %).
Les marchés à termes (futures en américain) tablent sur une progression de 55 à 65 dollars sur cette période. Quant à l’Agence internationale de l’énergie, elle propose un point bas de 55 dollars et une remontée progressive vers les 75 d’ici à 2020.
Le hic pour les pays producteurs
Donc, même si les fluctuations peuvent être importantes, le cours du pétrole devrait rester plus bas qu’auparavant, et en tout cas en dessous des 100 dollars pour quelques temps encore.
Le problème se trouve plutôt du côté des pays producteurs et des compagnies pétrolières. Quelques chiffres pour illustrer cette problématique : «pour la Russie, le pétrole, c’est 25 % du PIB et 70 % de ses exportations ; pour les pays africains, c’est entre 40 et 80 % du PIB ; en Amérique latine, la dépendance des dépenses publiques aux recettes pétrolières est de 30 à 50 %» peut-on lire dans le dernier rapport Cyclope sur les matières premières ; en Algérie, le pétrole constitue 96 % des recettes extérieures du pays et 60 % du budget de l’État sont financés par ce secteur. Or, entre janvier et avril 2015, les recettes issues du pétrole ont fondu de 43 % dans ce pays.
Une autre manière d’approcher l’importance de cette filière est de considérer le prix du baril pour que les investissements, souvent effectués par les États eux-mêmes, deviennent rentables : en Algérie, en dessous de 100 - 110 dollars le baril, l’État perd de l’argent et au Nigeria le seuil se situe du côté des 119 dollars, au Venezuela à 121 et en Iran à 140.
Autre élément : en dessous de 70 à 80 dollars, il n’est plus intéressant de produire des pétroles de schiste.
Même si certains États producteurs ont mis en place des fonds de compensation (en Algérie, il est passé de 73 milliards de dollars fin 2013 à 44 milliards fin 2014, ce qui signifie qu’à ce niveau de cours, le fonds sera épuisé avant deux ans), la situation d’un pétrole «bas» ne fait pas leurs affaires. Ils ne resteront pas sans rien faire si la situation perdure.
Pour les compagnies pétrolières, ce niveau de cours largement en dessous des 100 dollars rogne bien sûr les marges et bénéfices mais surtout affaiblit leur capacité à préparer les investissements de demain. En clair, si la croissance mondiale repart de façon soutenue, elles seront dans l’incapacité de répondre correctement à la demande. Ce qui contribuera à une potentielle hausse des cours.
Géopolitique
Plusieurs points seront à surveiller dans les mois à venir. Si les sanctions sont levées, on sait que l’Iran veut redevenir un acteur de premier plan sur le marché mondial du pétrole, ce qui signifie une potentielle influence baissière sur le marché. Les résultats de la COP 21 de décembre seront également à disséquer à la loupe en fonction de la force contraignante et des incitations à aller vers une transition énergétique «décarbonisée».
La géopolitique peut aussi s’inviter.
Les intérêts des uns et des autres ne concordent pas forcément et les forces en présence sont nombreuses : l’Opep bien sûr, bien que moins influente aujourd’hui et qui pourrait attendre 2020 et après pour reprendre la main ; les producteurs non-Opep qui ont le vent en poupe avec un pétrole plus abordable pour les pays consommateurs ; les États-Unis avec leur pétrole de schiste mais aussi une production globale en baisse ; la Russie et un allié potentiel en la personne de l’Iran. Pour les experts de Cyclope, «l’heure de vérité viendra en 2016 voire en 2017 pour les prix du brut».