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La loi Egalim, un an après

Un an après sa publication le 1er novembre, la loi Agriculture et Alimentation (Egalim) n’est qu’en partie appliquée et l’ensemble de ses effets tardent encore à se faire sentir.

Si la filière viande bovine est parvenue à établir des indicateurs de coût de production, elle reste prudente 
avant de les diffuser.
Si la filière viande bovine est parvenue à établir des indicateurs de coût de production, elle reste prudente
avant de les diffuser.
© Emilie Durand

Si la plupart des filières sont désormais dotées d’indicateurs de coût de production, quelques interprofessions (lait, vin) tardent à les publier formellement, par souci notamment de sécurité juridique. C’est le round de négociations commerciales entamé depuis octobre qui permettra de savoir, d’ici la fin de l’hiver, si les agriculteurs bénéficieront de la fin de la déflation amorcée en 2019 par la hausse du seuil de revente à perte (SRP) et l’encadrement des promotions. On sait déjà que les effets de la réforme dépendront du taux de contractualisation dans les filières, de leur exposition aux marchés mondiaux et de la bonne volonté des acteurs. Le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a lui-même bien du mal à assumer le bilan pour le revenu des agriculteurs de la loi Egalim, un texte porté par son prédécesseur Stéphane Travert, et qui fut promulgué deux semaines après sa nomination. «Le compte n’y est pas, déclare à l’envi le ministre. Il n’est plus possible que les agriculteurs soient rémunérés à un prix inférieur à ce que cela leur revient.» La première cause est connue : le calendrier. L’intégration des coûts de production n’a pas pu se faire lors des négociations commerciales pour 2019, faute de temps suffisant pour les élaborer ou les diffuser. Un an après, les interprofessions ont eu le temps nécessaire pour les diffuser auprès des acteurs de leurs filières, et il est attendu que leur effet se fasse sentir dans le round qui débute. «Peut-être que les coûts de production dans certaines filières sont arrivés un peu tardivement», constatait le ministre, en sortie du Conseil des ministres le 21 octobre. «Mais désormais ils sont là. Donc maintenant, tout le monde sait à quoi s’en tenir.» Avec les indicateurs, c’est l’ensemble du premier volet de la loi Egalim qui peut désormais s’appliquer avec, en vue, l’objectif annoncé d’une «construction en marche avant des prix agricoles».

La nécessité d’un contrat
Rappelons-en la mécanique : les contrats devront être à l’initiative des producteurs ; ces contrats devront prendre en compte leurs coûts de production. L’aval de la filière devra ensuite les intégrer en cascade, jusqu’à la distribution. L’idée serait que ce ne soit plus seulement la grande distribution qui donne le «la» de la répartition de la valeur, mais aussi le coût de production des agriculteurs. Une telle mécanique demande deux préalables : un contrat et un indicateur de coût de production. La filière lait de vache est la seule dans laquelle la contractualisation est obligatoire. Une situation exceptionnelle, rendue possible par les dérogations européennes du Paquet lait (2012). Dans les autres filières, la contractualisation est donc volontaire, entraînant des situations extrêmement disparates entre les secteurs. Parmi les bons élèves de la contractualisation, on compte notamment la filière des fruits et légumes destinés à la transformation et son taux de 100 % de production vendue sous contrat. En œufs, ce taux avoisine les 70 %. Parmi les derniers de la classe : les filières bovine (à peine 2 %), porcine ou ovin, mais aussi les fruits et légumes frais.

Des indicateurs même en filière bovine
On le voit, les indicateurs auront des effets plus différents selon les filières. Mais toutes les interprofessions interrogées sont parvenues – bon gré mal gré – à établir des indicateurs, même si certaines attendent encore un feu vert de Bruxelles pour les diffuser. Même Interbev y est arrivée. La filière bovine a dû faire appel au médiateur des relations commerciales et les discussions ont abouti à l’élaboration d’une méthode de calcul d’indicateurs de prix de revient, développée par l’institut de l’élevage, qui tient compte de la rémunération des producteurs à hauteur de deux Smic. Pour autant, aucune valeur n’est pour le moment officiellement diffusée par l’interprofession. Les instituts techniques ont été largement mis à contribution. Comme en bovin, les filières ovines et laitières se sont appuyées sur l’Idele, pour établir des indicateurs basés sur la notion de prix de revient. Les filières volaille de chair, œuf et cunicole ont fait appel à l’Itavi pour diffuser des indicateurs de coûts de production reflétant principalement le coût de l’alimentation.

Degrés de complexité
Le lait et l’ovin sont allés jusqu’à livrer des indicateurs par typologie d’exploitation. Et le Cniel (interprofession laitière) a poussé l’exercice jusqu’à créer un «observatoire maison» pour rendre l’indicateur plus réactif. Pour éviter tout contentieux, l’interprofession laitière a préféré s’assurer de sa compatibilité avec le droit de la concurrence et attend un accord de Bruxelles pour les diffuser publiquement. La filière vin connaît la même insécurité juridique. D’autres filières, notamment végétales, ont plutôt choisi de faire simple pour se conformer aux demandes de la loi Egalim. La filière fruits et légumes transformés a décidé de se baser sur des indicateurs annuels uniquement. Ils proviennent de l’Insee, des douanes ou de données internes à la filière. Les filières fruits et légumes frais et céréales se contenteront des indices des prix d’achat des moyens de production agricole (Ipampa), déjà bien connus des acteurs. Les céréaliers ont, un temps, envisagé d’utiliser l’indicateur calculé par l’institut technique Arvalis sur la base de comptabilités analytiques d’exploitations. Mais le risque vis-à-vis du droit de la concurrence européen a découragé les acteurs.

Formalisation des contrats
Comme l’affirme Didier Guillaume, toutes les filières se sont donc dotées d’indicateurs de coûts de production. Mais ils seront très diversement valorisés auprès des transformateurs. Pour les filières les plus avancées, ils sont déjà intégrés dans des contrats-types, avec des effets variables. Pour les moins contractualisées, ils figurent au mieux dans des «guides de bonne pratique».
Dans la filière des fruits et légumes transformés, l’interprofession des légumes en conserve et surgelés (Unilet) a modifié son guide des bonnes pratiques contractuelles pour «faire référence aux indicateurs». Le guide prévoit que «les indicateurs les plus pertinents doivent être repris dans le contrat», explique Delphine Pierron, représentante des producteurs au sein de l’interprofession. Dans cette filière où la quasi-totalité de la production est contractualisée, «ce qui va changer, c’est qu’ils sont sur la table de manière formelle et, qu’aujourd’hui, tout le monde sera un peu obligé d’y faire référence», estime-t-elle. À ce titre, les organisations de producteurs auraient «une occasion de s’affirmer un peu plus» dans les négociations commerciales à venir.
Le constat est assez similaire en volailles de chair où la contractualisation est déjà très forte. «La quasi-totalité des producteurs ont un contrat. Pour ce qui est de la contractualisation, rien n’a changé avec la loi Egalim», assure Anne Richard, directrice de l’interprofession des volailles de chair (Anvol). En lait de vache, la mise en conformité des contrats laitiers pour qu’ils intègrent les coûts de production «prend plus de temps que prévu» de l’aveu du médiateur des relations commerciales. Toutes les discussions entre OP et laiteries ne sont pas finalisées à ce jour.

Pas de contrat, pas d’inversion
Bien que très peu contractualisées, les filières viande se sont dotées de guides de bonnes pratiques. Interbev a publié, en avril 2019, un guide de la contractualisation en filière bovine. Ce document «non contraignant» vise à aider les professionnels à rédiger des contrats. Il précise les mentions obligatoires et propose plusieurs modalités de fixation de prix. En viande ovine, Interbev, met à disposition un «guide de contractualisation volontaire» et un «exemple modifiable de trame pour un engagement contractuel entre l’éleveur et son acheteur».
En fruits et légumes frais où la contractualisation écrite n’est pas obligatoire, «il n’y a pas, à ce jour, d’application réelle de la loi Egalim. Dans les faits, on reste avec la pratique antérieure», estime Daniel Sauvaitre, secrétaire général d’Interfel, l’Interprofession des fruits et légumes frais. «Au-delà de faire un peu de prosélytisme auprès des opérateurs pour qu’ils s’en servent, la réponse que l’on a, c’est que la réalité vécue au quotidien est très au-delà de tout cela», avance-t-il. Dans le marché mondialisé des céréales, «on ne s’est jamais fait d’illusion : ce n’est pas Egalim qui apportera un meilleur revenu au producteur», déplore Cécile Adda, responsable durabilité chez Intercéréales.

Les négociations s’ouvrent
Pour les analystes, le bilan sera difficile à tirer, même à l’issue des négociations commerciales. «Il est un peu tôt pour tirer un bilan de la loi Egalim, estime le médiateur des relations commerciales, Francis Amand. Mais tous les outils se mettent en place petit à petit. Nous verrons si les parties prenantes se sont saisies de l’état d’esprit de la loi, à défaut d’en mobiliser tous les outils.»
Pour Nicolas Genty, avocat associé au cabinet Loi et stratégies, «c’est la fin d’un cycle», une prise de conscience s’opère dans le secteur. «Mais intégrer cela dans une négociation qui est déjà compliqué, cela rend les choses encore plus complexes», estime ce spécialiste des relations commerciales. «L’objectif de la loi Egalim était que les prix soient fondés sur des données éco- nomiques objectives. Je pense que cela commence, se félicite Francis Amand. Les négociations se fondent plus souvent sur des considérations économiques que sur la force ou l’opportunisme».




En miel, pas d’indicateurs et des priorités «ailleurs»

Indicateurs de coût de production, construction du prix, accords-cadres : autant de préoccupations qui ne sont pas, pour le moment, dans les projets de la jeune interprofession des apiculteurs Interapi. «On n’en est pas là pour le moment, ce n’est pas la priorité», commente le président de l’organisation née en 2018, Éric Lelong. «Pour l’instant, nous travaillons sur le plan de filière, et notre financement par le secteur, via une contribution volontaire obligatoire», ajoute-t-il. Mais la problématique du prix «n’est pas vraiment le problème», dans ce secteur où la demande est largement plus forte que l’offre. Concernant les indicateurs, les apiculteurs ne partiront pas d’une feuille blanche. L’institut de l’abeille et FranceAgrimer ont «déjà travaillé sur le sujet». Mais «ce n’est pas suffisant pour approcher la réalité du marché». Aucun calendrier n’est instauré pour l’instant afin de doter la filière d’indicateurs : «on met notre énergie ailleurs», précise-t-il.

 

 

 

Relèvement du SRP et encadrement des promos ont produit leurs effets

Les deux autres mesures phares du premier volet de la loi Egalim étaient le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) et l’encadrement des promotions. Et elles ont déjà produit des effets, selon l’institut Nielsen, qui les cite comme les premières raisons du retour de l’inflation dans les grandes surfaces en 2019. Dans une étude dédiée à la «grande consommation», Nielsen annonce début octobre, la fin de «sept ans de déflation». La hausse concerne tous les types de marques et plus particulièrement «certaines des références les plus vendues [qui] ont vu leur prix augmenter de plus de 10 % en hypermarchés depuis février». Les alcools et des produits frais à base de matières premières peu transformées comme le beurre, les poissons et les viandes comptent parmi les catégories les plus inflationnistes. En 2019, le poids des ventes réalisées en promotion «retrouve son niveau d’avant la guerre des prix», ajoute Nielsen. Pour les produits alimentaires, 18,5 % des ventes ont été réalisées en promotion, soit une baisse de près d’un point. La générosité des promotions diminue également, à 23,1 % contre 25,2 % en 2018.

 

 

La séparation vente/conseil des phytos est pour 2021

L’interdiction des remises, rabais, ristournes lors de la vente des phytos s’applique depuis le 1er janvier 2019. Trop tôt pour jouer pleinement sur la récolte passée. «Au 1er janvier, la campagne d’approvisionnement est faite en grande partie, explique Anne-Laure Paumier, directrice des Métiers du grain à Coop de France. C’est pour la récolte 2020 que le changement intervient. Avec probablement une concurrence sur les prix beaucoup plus forte : exprimés en net, ils sont plus faciles à comparer.» Coop de France s’attend donc à une baisse des tarifs, dans un premier temps. La séparation de la vente et du conseil des phytos est moins avancée. Une ordonnance publiée en avril a fixé au 1er janvier 2021 l’entrée en vigueur de l’indépendance des activités de conseil et de vente des phytos. Les agriculteurs devront faire l’objet d’un conseil stratégique deux fois tous les cinq ans, avec des dérogations pour ceux engagés dans des démarches reconnues de réduction des pesticides. Contrairement à ce qui était prévu, le dispositif de CEPP (certificats d’économie) n’inclut aucune pénalité financière en cas de non-respect des objectifs de baisse des phytos. C’est l’agrément des entreprises qui est désormais ciblé : leur certification «tient compte des moyens mis en œuvre pour atteindre les obligations» fixées. En d’autres termes, les distributeurs sont tenus de déployer des actions pour réduire l’usage de pesticides. Un arrêté doit encore préciser le référentiel d’agrément des entreprises. D’autres textes d’application sont attendus en fin d’année. Reste à publier le décret sur le dispositif de CEPP, pour lequel la phase de consultation publique est achevée. Un autre est à venir sur la définition du conseil stratégique, après une première version du projet de texte soumise aux propositions du secteur.

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