L'agriculture samarienne dans le brouillard de Lubrizol
Depuis l’incendie de l’usine rouennaise, les mesures de restrictions s’accumulent sur l’agriculture. Entraînant parfois plus de questions que de réponses.
«Une énorme tuile dont on se serait bien passé». Voila en résumé le ressenti du monde agricole en Seine Maritime, dans la Somme et les Hauts-de-France au lendemain de l’incendie de l’usine Lubrizol, le 26 septembre dernier. Car les flammes n’étaient pas encore maîtrisées que le devenir du panache de fumées était déjà dans toutes les têtes. Et les restrictions tombaient les unes après les autres. Dès vendredi, en Seine Maritime, alors que dans la Somme la Préfecture appelait à la prévention, puis par des restrictions sur les activités agricoles dimanche soir.
Après avoir, durant le week-end, recensé et fait vérifier des signalements de dépôts, la Préfecture de la Somme avait identifié trente-neuf communes touchées par un dépôt ayant atterri lors du passage du nuage de particules. Ces communes sont les suivantes : Agenville, Ailly-Le-Haut-Clocher, Airaines, Autheux, Bellancourt, Bertangles, Boufflers, Bus-lès-Artois, Conteville, Courcelles-au-Bois, Domesmont, Domléger Longvillers, Épécamps, Famechon, Frise, Gueschart, Hervilly, Hescamps, Hiermont, Le Mesge, Louvencourt, Mailly-Maillet, Maison Ponthieu, Marlers, Meigneux, Motonvillers, Neuilly-le-Dien, Offignies, Oneux, Péronne, Picquigny, Pozières, Saint-Acheul, Sainte Segrée, Soues, Surcamps, Vauchelles-les-Domart, Vauchelles-les-Quesnoy, Vitz-sur-Authie.
Des restrictions évolutives
Sur ces communes, les restrictions sont tombées immédiatement : interdiction de collecte et consignation du lait (sauf en principe dans le cas d’une absence totale de consommation de fourrages exposés depuis le 26 septembre), des œufs plein air, du miel, et de poissons. Sur les productions végétales, interdiction de récolte de toutes les productions végétales, et d’enlèvement des silos extérieurs exposés depuis le 26 septembre ; non consommation des fourrages récoltés depuis le 26 septembre, etc. Bref, tout ce qui aurait pu être exposé aux retombées ne doit pas se retrouver dans la chaîne alimentaire, dans un vaste principe de précaution. Après le premier arrêté préfectoral paru, calé en grande partie sur celui de Seine Maritime, les questions n’ont eu de cesse de s’enchaîner : le pourquoi du zonage, la difficulté de différencier le lait «hors sol», la responsabilité de l’agriculteur. Lundi matin, les responsables de la DDTM et de la DDPP étaient réunis avec la chambre d’agriculture, la FDSEA et les OPA qui l’ont pu. Des précisions ont été données, mais aussi des difficultés remontées, qui ont été prises en compte. En effet, à l’heure où nous bouclons ce numéro, les lignes bougent : un arrêté modificatif est paru ce mercredi, et intègre des nouveautés : d’abord, les récoltes vont pouvoir reprendre, à condition d’isoler les volumes récoltés : ne pas mélanger le maïs ensilé avec celui de l’an dernier, ou celui ensilé jusqu’au 25 septembre, et garder les silos de pommes de terre ou betteraves en bout de champ. Par ailleurs, l’article qui précisait que la remise en commercialisation était sous contrôle de l’agriculteur a été supprimé dans la nouvelle version. De même sur la notion de lait «hors sol» a été précisé.
La suite ?
La situation est très évolutive : des prélèvements ont été réalisés dans la Somme a intervalles réguliers sur des productions végétales et animales. Il faut attendre les retours d’analyses de résidus, et que ceux-ci soient inférieures aux limites et en stabilisés pour pouvoir lever les contraintes. Le pas de temps est de plusieurs jours. D’ici là, les consignations et destructions de marchandises vont se poursuivre pour les producteurs concernés, avec l’espoir d’une indemnisation fiable et rapide. Pour le lait, le Cniel a mis en œuvre un système d’avance, en attendant le relai de l’État qui n’a pas encore décliné ses modes d’indemnisation. La Préfète Muriel Nguyen projetait mercredi soir de rencontrer les éleveurs ce jeudi, et les acteurs de l’ensemble des filières pour faire le point de situation, des restrictions, des mesures d’accompagnement. Si chacun est dans l’espoir de voir les choses évoluer favorablement à l’heure où nous bouclons, le flou reste total sur l’évolution à court et moyen terme de la situation. La profession est mobilisée 24h/24 et suit heure par heure, avec les autorités administratives, l’évolution de la situation.
Les questions qui se posent après le passage du nuage Lubrizol
Mes parcelles de maïs sont sur un territoire concerné par l’arrêté préfectoral. Puis-je récolter ?
Vous pouvez ensiler votre maïs mais le stocker séparément du maïs récolté avant le 26 septembre, date de l’incendie. Il ne peut être pas pour l’instant être donné aux animaux, et ce jusqu’aux nouvelles consignes préfectorales liées aux résultats des analyses effectuées en Seine Maritime et dans le département.
Je suis éleveur de poules pondeuses bio. Que faire de ma production collectée depuis le 26 septembre ?
Comme tout éleveur de poules pondeuses de plein air, vos œufs ne peuvent être pour le moment commercialisés. Mais votre industriel peut vous les collecter et les stocker séparément des autres lots. Il assurera ainsi la consignation en attendant (espérons-le) la levée des interdictions.
Peut-on récolter pommes de terre ou betteraves ?
Vous pouvez à présent les récolter, mais il faut les laisser soit en silo jusqu’à la levée (espérons-le) des interdictions de commercialisation, soit en stockage séparé si vous les ramenez à la ferme.
Je suis maraîcher avec une production sous serre. Suis-je concerné par l’arrêté ?
Si votre production est sous serre «non ouverte», et seulement dans ce cas précis, elle peut être commercialisée. Ce n’est pas le cas pour les serres semi ouvertes.
Ma laiterie ne veut pas me collecter, que dois-je faire de mon lait ?
Votre lait ne peut être effectivement commercialisé. À l’heure actuelle, chacun veut garantir que le lait des communes en observation est retiré de la chaîne alimentaire et que le retrait n’ait pas de conséquence sanitaire. La profession a demandé à ce que la responsabilité du retrait ne soit pas à la charge de l’éleveur. Pour l’heure, l’État n’a pas mis en place de solution collective. La moins mauvaise solution imaginable à l’heure actuelle est de le jeter à la fosse à lisier, et d’épandre par la suite sur des parcelles visées par l’arrêté pour que si un quelconque risque existe, il reste cantonné. Prenez avant une photo du volume de lait dans le tank. Cela servira éventuellement de justificatif pour les indemnisations. Si ce n’est fait, vous pouvez aussi vous rapprocher de votre laiterie pour la démarche à faire attestant le volume jeté. Une attestation de perte de volume peut être demandée et fournie. Comme pour les autres productions touchées et pertes possibles, nous vous conseillons aussi de prévenir votre assurance.
Je suis éleveur de vaches allaitantes sur une des communes listées dans l’arrêté. Qu’est-ce que cela change pour moi ?
La production de viande bovine n’est pas à ce jour concernée par l’arrêté, même si vos animaux pâturent sur une parcelle d’un territoire visé par le texte préfectoral. La potentielle bioaccumulation est à ce jour mise de côté. De même pour les vaches laitières de réforme.
Je vends ma production directement en GMS ou sur les marchés… Suis-je concerné ?
Les producteurs en vente directe sont également tenus de respecter les mesures de l’arrêté. Avant de commercialiser votre production, tout danger sanitaire doit être écarté. Un contrôle est donc nécessaire pour lever l’interdiction de commercialisation.
Qu’en est-il de l’indemnisation ?
L’État s’est engagé à indemniser via le FMSE (Fond national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental) les producteurs ayant subi des pertes, par exemple obligés de jeter leur lait. Rapprochez de votre acheteur pour les éléments justifiant les volumes et valeurs des pertes. Les dispositifs d’aide d’État ne sont pas encore connus et opérationnels. Sur le cas précis du lait, le Cniel a travaillé sur une avance de trésorerie en attente des indemnisations, pour laquelle le formulaire est paru ce mercredi. Il est disponible auprès de nombreux interlocuteurs, notamment sur le site www.fdsea80.fr
J’ai de la main-d’œuvre qui ne peut pas travailler du fait des restrictions, que faire ?
Il y a naturellement les premières mesures que sont les prises de congé qui peuvent être décidées par l’employeur. On peut envisager des mesures d’activité partielle (plus connue sous le nom de chômage partiel ou chômage technique). Le caractère exceptionnel de la situation fait que l’on peut déroger au principe d’une demande préalable auprès de la Direccte et régulariser sa situation sur le site https://activitepartielle.emploi.gouv.fr (un article complet est disponible sur le site www.action-agricole-picarde.fr).
Comment avoir de l’information régulière et fiable ?
La DDPP a ouvert un numéro vert 0805 010 580. La FDSEA a un numéro d’assistance également au 03 22 53 30 33. Si vous êtes adhérent FDSEA, vous recevez régulièrement des SMS et mails d’info depuis vendredi dernier. Si vous n’en recevez pas, transmettez vos coordonnées au 03 22 53 30 31.