Les producteurs de porcs face à une crise sans précédent
Les sections porcines du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme ont
tenu leur assemblée générale commune à Saint-Pol-sur-Ternoise
dans un contexte économique très difficile.
mais le renouvellement des générations est inexistant, on perd 300 élevages par an et la production a dévissé de 10 %».
Ils est entouré de Jeff Trebaol et Caroline Tailleur.
La situation dramatique que vivent les éleveurs de porcs ne trouvera de réponse que dans un changement profond des pratiques au sein de la filière. Nicolas Mannessiez, Xavier Théron et Olivier Fagoo, respectivement présidents des sections porcines du Pas-de-Calais, de la Somme et du Nord, en sont persuadés.
À l’occasion de leur assemblée générale commune, ils ont invité les représentants nationaux de la Fédération nationale porcine (FNP) à faire part de leur analyse et présenter les actions menées au niveau national. La rencontre a eu lieu au sein du site industriel de transformation d’Herta à Saint-Pol-sur-Ternoise.
Le sanitaire : clé d’entrée sur les marchés
Jeff Trebaol, vice-président de la FNP, a présenté le nouveau dispositif de surveillance de la trichine. Ce ver parasite fait partie de la famille des nématodes, et est colporté par les rongeurs ou la faune sauvage. Bien que le risque d’infestation en France soit considéré comme nul par l’Anses, les exigences sanitaires européennes imposent que tous les élevages soient indemnes et qu’un plan de surveillance soit mis en place.
En effet, depuis le 1er janvier, tous les pays importateurs de viande porcine peuvent exiger un certificat sanitaire européen d’absence de trichine, et refuser la viande en cas d’absence de ce document. La FNP a bataillé ferme pour que les mesures mises en place ne représentent ni un coût, ni une contrainte supplémentaire pour les éleveurs.
Au final, le plan prendra la forme d’un examen de l’élevage réalisé dans le cadre de la visite sanitaire annuelle classique, réalisée par le vétérinaire habituel. Ce dernier vérifiera, entre autres, l’absence de contact des porcs avec la faune sauvage ou domestique, la présence d’un plan de lutte contre les rongeurs, ainsi que d’autres points basés sur les bonnes pratiques d’hygiène. La grille d’analyse sera envoyée à la DDPP et l’élevage sera reconnu indemne (ou pas) de trichine. Pour les éleveurs non reconnus indemnes, il y aura une année de transition pour atteindre le niveau.
Peser sur l’organisation commerciale en France
Caroline Tailleur, chargée de mission de la FNP, est revenue sur la situation du marché du porc et ses perspectives. La demande mondiale dynamique, en particulier en Asie, a permis de réduire l’impact de la fermeture du marché russe. Mais le retour à la croissance de la production en Europe pèse sur les cours et les prévisions pour 2015 ne sont pas optimistes pour les prix. La hausse des cheptels reproducteurs dans l’Union européenne à 15, le probable retour des opérateurs américains en Asie avec la maîtrise de la DEP et la poursuite partielle de l’embargo russe pourraient entraîner une baisse des cours de l’ordre de 10 à 15 %. Paul Auffray, président de la FNP et éleveur de porcs dans les Côtes-d’Armor, a présenté la stratégie de la FNP pour sauver le revenu des éleveurs français dans ce contexte mondial perturbé. Pour lui, «nous sommes dans une crise structurelle et non plus conjoncturelle. Il est fini le temps où les bonnes années permettaient de passer le cap des mauvaises et d’investir afin d’entrevoir l’avenir avec confiance. Depuis 2007, on ne gagne plus d’argent. Les éleveurs français sont reconnus pour leur performance et leur technicité, mais le renouvellement des générations est inexistant, on perd 300 élevages par an en France et la production a dévissé de 10 %».
Imposer le porc français
La FNP a engagé un tour de France des grandes surfaces et des entreprises de transformation pour alerter tous les acteurs sur la situation catastrophique des éleveurs et demander une mise en application immédiate de mesures pour sauver la filière.
Tout d’abord, protéger le marché national en rendant obligatoire l’inscription de l’origine des produits sur les barquettes. À ce sujet, le Parlement vient de voter un texte dans ce sens pour les produits frais et transformés. Il reste à passer devant la commission pour rentrer en application.
Ensuite, imposer le porc français dans les produits transformés. Les dernières opérations «coup de poing» en magasin et les échanges francs avec Herta ou les autres industriels montrent que la marge est énorme. Le porc français ne représente même pas la moitié des volumes utilisés en industrie. «Cela se travaille avec la Fédération des industriels de la charcuterie, et ce n’est pas simple» a-t-il ajouté.
Troisième point, il faut travailler les relations commerciales et contractuelles avec les distributeurs et revoir les politiques du fond de rayon et de promotion. «On ne peut accepter des promotions en permanence à 1,50 €/kg, et du porc moins cher que la viande pour chiens !». Il a également fait part de la réflexion en cours sur un modèle contractuel pour faire coexister sur un élevage le cadran et la plus-value.
La nouvelle grille de poids
Depuis 18 mois, des négociations sont en cours entre entreprises d’abattage et éleveurs afin de faire évoluer la grille de poids. Pour Paul Auffray, «alors que certaines structures s’en sont affranchies, le but du travail est de retrouver un outil commun à tous». Un accord est en passe d’être entériné avec un passage de la gamme 82-102 kg à 85-105 kg. Cela permettra de reclasser une partie des P4 à une plus-value constante. Cette évolution sera mise en place le 30 mars 2015, et l’ensemble des éleveurs vont recevoir un courrier de l’interprofession à ce sujet.
«C’est la survie des éleveurs qui est en jeu»
En allant à l’usine Herta de Saint-Pol-sur-Ternoise, les responsables professionnels et les agriculteurs ont souhaité échanger avec les équipes de l’entreprise sur les enjeux de la filière porcine en France et dans la région, plus particulièrement. Chaque année, l’usine de Saint-Pol transforme 68 932 tonnes de viande de porc. 25 % des volumes sont transformés en jambon, 41 % en saucisses Knacki, 24 % en lardons et 10 % en traiteur (croque-monsieur).
Paul Auffray, a interpellé les responsables d’Herta sur la provenance de la viande transformée dans l’usine. D’après Régis Dabert, directeur du site, la proportion dépend des périodes et des opportunités mais, en moyenne, il estime qu’elle provient à 40 % de France et à 60 % d’Espagne. «Les éleveurs français sont compétitifs, note Philippe Garrachon, directeur industriel d’Herta France, mais la différence de coûts se fait sur l’abattage et le désossage».
Concernant l’approvisionnement en viande de porc régionale, la proportion reste faible, bien qu’elle soit en progression : elle est passée de 1 500 à 3 500 t en 3 ans, soit 5 % de l’approvisionnement total. Une goutte d’eau qui ne satisfait pas totalement les producteurs qui font le constat d’une fragmentation de la filière porcine. «Elle est en train de dévisser, prévient Paul Auffray. C’est la survie des éleveurs qui est en jeu actuellement». Et d’ajouter : «Il y a urgence à reconstruire des liens entre les différents maillons de la filière. Nous, les producteurs, avons besoin de l’industrie de la transformation et de la distribution pour valoriser nos produits».
Du côté d’Herta, Philippe Garrachon s’est voulu rassurant en rappelant que 70 millions d’euros ont été investis sur le site ces quatre dernières années.
Il a assuré que l’entreprise souhaitait maintenir son implantation territoriale et travailler davantage sur la notion de filière.
V.CH.