Les ZNT refont sortir les tracteurs
Pour la FRSEA des Hauts-de-France et ses syndicats départementaux, la mise en place des zones de
non-traitement (ZNT) dans un délai contraint et sans moyens participe autant à une perte de compétitivité de l’agriculture
régionale qu’à l’agribashing.
Battre le fer tant qu’il est chaud. Après avoir promis des manifestations suite à la mise en place des zones de non-traitement par le gouvernement en fin d’année dernière, la contestation s’est poursuivie vendredi 17 janvier, à Amiens (80), à l’initiative de la FDSEA et JA bientôt rejoints par la FRSEA et l’USAA. Soixante-dix agriculteurs et une dizaine de tracteurs ont investi les abords de la Direction régionale de l’agriculture et de la forêt (Draaf) des Hauts-de-France pour tenter d’obtenir des explications de la part de son directeur, Luc Maurer, et exiger un moratoire sur la mise en œuvre de ces ZNT. «Nous ne sommes pas contre la protection des riverains, bien au contraire, mais nous sommes contre la méthode proposée pour y parvenir», rappelait Laurent Degenne, en préalable à un échange avec Luc Maurer et Samuel Caron (SRAL). «Les ZNT systématiques ne sont pas la bonne solution. S’accorder sur les usages aurait été une meilleure approche. La décision de mise en œuvre de distances n’est que politique, il n’y a pas de référence à la science ni à la réglementation des usages», a-t-il poursuivi.
Une question de calendrier
D’abord, pourquoi une manifestation le 17 janvier ? La veille, une rencontre entre la ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne et la profession agricole devait se tenir à Paris ; réunion au cours de laquelle il a été question de la date de mise en œuvre des ZNT (cf. encadré). Pour Éric Thirouin, secrétaire général adjoint de la FNSEA, il est hors de question que les textes actant la création des ZNT soient mis en place «avant que les choses soient calées». Lors de leur entrevue avec le directeur régional de l’agriculture, le 17 janvier, les représentants de la profession agricole ont réitéré la demande : «Nous contestons le délai de mise en œuvre dans la précipitation : les listes de produits ne sont pas connues, les chartes ne sont pas encore mises à jour, les outils de protection (haies, murs...) ne sont pas listés et reconnus. On n’a pas laissé le temps à la science de s’exprimer sur la question», a ainsi regretté Laurent Degenne.
Rassurant sans convaincre
Concernant la mise en place même des ZNT, «cela ne veut pas dire systématiquement un arrêt de production. Il faut étudier ce qu’on peut y mettre dessus», a défendu M. Maurer. Pour ce qui est du délai de mise en œuvre, et de la période dans laquelle elle a été annoncée, le représentant de l’État affirme qu’il s’agit d’une obligation, fixée par un arrêt du Conseil d’État. Et de rappeler ensuite que les «emblavements déjà effectués ne sont pas concernés». «Un accompagnement financier à travers le PCAE existe déjà pour permettre aux agriculteurs de s’équiper», a-t-il ensuite défendu. Pour Charlotte Vassant (USAA) qui l’a sollicité sur le sujet, «c’est évidemment trop peu quand on voit le montant des investissements nécessaires». D’autres questions émanant d’agriculteurs ayant pu participer aux échanges sont également restées sans réponses : «Quelles sont les bonnes pratiques à suivre et quelle réglementation appliquer pour les semis d’orge de printemps des prochains jours ? Comment va s’appliquer le statut du fermage ? Quelle indemnisation attendre des surfaces perdues ?» Telle qu’elle a été décidée, la mise en place des ZNT représenterait un manque à gagner pour l’agriculture régionale de 200 millions d’euros. Au-delà des aspects pratiques, la mise en œuvre à la hâte des ZNT - c’est la manière dont celle-ci est ressentie par le monde agricole -, participerait également selon Jean-Yves Bricout (USAA) au phénomène d’agribashing : «Au travers de ce type de réglementation, l’État participe à l’agribashing alors même que les chiffres de la MSA sur les agriculteurs en détresse sont préoccupants.» Pour Édouard Brunet, président des JA80, le sentiment est le même : «L’État devrait chercher à connaître les pratiques des agriculteurs un peu plus avant de réglementer aveuglément.»
Le ton pourrait se durcir
Mercredi 22, c’est à Lille qu’une nouvelle mobilisation devait avoir lieu. À l’heure où nous bouclons ces lignes, les annonces faites par les représentants de l’État, ministres ou administrations, ne semblent pas satisfaire la profession agricole. «L’agriculture doit répondre immédiatement alors qu’on se laisse le temps pour l’urbanisme. C’est le cas dans beaucoup d’autres réglementations», a dénoncé Laurent Degenne.
Comme il l’avait fait devant la préfète de la Somme, lors des vœux du monde agricole, Denis Bully (FDSEA80) a, pour sa part, une nouvelle fois regretté la pratique du «deux poids, deux mesures» par l’État : «chez les agriculteurs, c’est l’incompréhension. On a, d’un côté, des matières actives autorisées dans des produits à usage domestique, sans aucune limitation à l’achat ni aucune formation à l’utilisation et, de l’autre, des produits utilisés dans les maisons alors que pour certains, il y a une interdiction de les utiliser dans les champs, ou à 20 m des maisons...»
Pour le président de la FRSEA, de nouvelles actions pourraient donc être envisagées, ainsi qu’un durcissement de ton, dans l’hypothèse où la profession ne serait pas entendue : «Nous avons toujours été constructifs, mais nous saurons nous montrer beaucoup plus dur dans nos actions si les choses ne s’arrangent pas. Si l’État veut monter les citoyens les uns contre les autres, les agriculteurs aussi fermeront le dialogue...»
Didier Guillaume dit «ne pas avoir la main» sur les ZNT
Le gouvernement est-il en capacité d’appliquer un moratoire sur les ZNT ? Non, d’après le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume : «Nous n’avons pas la main», a-t-il plaidé le 14 janvier, lors de la conférence de presse du Salon de l’agriculture. C’est le Conseil d’État, la plus haute juridiction administrative, qui impose selon lui la création des ZNT, et non le gouvernement. «Nous n’y pouvons rien. Nous les avons mises en place. Cela représente 1 % de déprise agricole, je souhaite que ça devienne des surfaces d’intérêt écologique (SIE).» Un chiffre confirmé par son cabinet, qui précise que «1 % de la SAU française serait concernée par les ZNT».
«C’est vrai que le gouvernement a été enjoint par le Conseil d’État à modifier la réglementation sur la protection des riverains pour le 26 décembre 2019, reconnaît Éric Thirouin (FNSEA). Mais sur la manière de le faire, le gouvernement avait plusieurs choix possibles. Nous, nous ne sommes pas d’accord avec la manière dont les choses sont construites.» Et d’ironiser : «Ce n’est pas la première fois qu’on entend des politiques nous dire qu’ils ne peuvent rien faire...»
Élisabeth Borne ouvre la porte à une négociation de calendrier
À l’occasion de ses vœux à la presse le 17 janvier, Élisabeth Borne, ministre de la Transition écologique, a indiqué, concernant les zones de non-traitement (ZNT), qu’il sera nécessaire de repréciser «comment va se dérouler le calendrier à partir de maintenant, le temps qu’on ait des chartes au niveau local qui, par définition, n’existent pas encore». Cette déclaration intervient à la suite d’un rendez-vous avec la FNSEA le 16 janvier. Lors de cette réunion, le syndicat majoritaire a réitéré sa demande que les textes n’entrent pas en application «avant que les choses soient calées, c’est-à-dire pas avant la fin de campagne 2019-2020», comme l’a souligne Éric Thirouin, secrétaire général adjoint du syndicat. À l’écoute des contraintes de la profession durant cette même réunion, Élisabeth Borne se serait également montrée favorable à la réciprocité des ZNT dans les constructions nouvelles, en intégrant ces zones dans les plans locaux d’urbanisme.