Se regrouper, une nécessité pour les producteurs de fruits
Réunis en congrès à Tulle, les producteurs de fruits ont réfléchi aux moyens d’action pour leur filière en difficulté.
Les campagnes fruitières 2014 n’ont pas été bonnes pour les producteurs de fruits français qui ont subi les assauts d’une concurrence européenne féroce, parfois déloyale, et les effets de l’embargo russe. Face à la chute des prix et le poids des opérateurs de la grande distribution qui en sont aussi à l’origine, les arboriculteurs veulent renforcer leur organisation collective. Le thème faisait l’objet de la table-ronde du congrès de la Fédération nationale des producteurs de fruits (Fnpf) le 29 janvier, à Tulle.
On compte 280 organisations de producteurs (OP) pour le secteur des fruits et légumes, représentant 50 % de la production, le reste étant éclaté entre les producteurs. Face aux quatre centrales d’achat de la grande distribution, l’atomisation de l’offre se ressent dans la négociation des prix. «A priori, le regroupement n’est pas pour le moment l’état d’esprit de nos producteurs» constate Luc Barbier, président de la Fnpf.
Droit de la concurrence
Au-delà de cette volonté, les possibilités de regroupement pour négocier les prix sont limitées par le droit de la concurrence, particulièrement en France où les règles européennes sont très strictement appliquées. A cet égard, l’affaire des endiviers du Nord de la France est emblématique : en 2012, l’Autorité de la concurrence a jugé illicite l’entente entre plusieurs OP pour fixer les prix. La cour d’appel de Paris, saisie par la suite par les producteurs, a en revanche considéré cet accord comme conforme aux règles de la concurrence européenne puisqu’il s’inscrit selon elle dans les objectifs poursuivis par la PAC. La Cour de cassation, saisie à son tour, doit rendre son avis dans les mois à venir. «Si elle donne raison à la cour d’appel, ce sera une gifle cinglante donnée à l’autorité française de la concurrence, qui devra complètement revoir ses critères» et ce, pour toute l’agriculture, explique Jean-Christophe Grall, avocat spécialisé en droit de la concurrence.
Selon lui, les producteurs agricoles sont «enfermés dans un carcan qui à l’origine n’était pas fait pour [eux]», puisqu’ils ne sont pas en mesure, à l’inverse d’entreprises comme Google ou Amazon, de mener un lobbying puissant et permanent auprès des différentes instances concernées pour défendre leurs intérêts.
La seule façon pour les producteurs de fixer les prix entre eux est de le faire au sein d’une organisation de producteurs, à laquelle ils transfèrent la propriété de leur production.
Valorisation des produits
Le prix n’est cependant que l’aboutissement d’un processus de négociation. Avant cela, les producteurs peuvent s’entendre entre OP pour «la préparation d’une campagne, évaluer la pertinence d’un marché, fixer un cahier des charges», explique François Lafitte, président de la Gouvernance économique des fruits et légumes (GEFel). Des associations entre AOP produit permettraient de mieux valoriser la qualité de la production et au final, d’influer sur les prix.
Une possibilité sur laquelle les producteurs souhaitent travailler, mais qui ne leur ôtera pas le sentiment d’être défavorisés par rapport à la distribution.
Divorce prononcé entre le ministère et les producteurs de fruits
«Tant qu’il n’y aura pas le ministre, c’est moi qui ferai la conclusion du congrès», déclare Luc Barbier, à la fin du congrès de la Fédération nationale des producteurs de fruits (Fnpf) qu’il préside. Face à lui, Hervé Durand, directeur général adjoint de la Dgpaat (Direction générale des politiques agricoles) venu intervenir au nom de Stéphane Le Foll, s’étonne de cette entorse aux conventions. Son malaise aura été de courte durée puisque l’arrivée sur l’estrade de producteurs brandissant des pancartes «ruinés», «abandonnés», «humiliés» dès les premiers mots de son discours ont provoqué le départ du préfet.
Les producteurs de fruits ne cachent pas leur amertume vis-à-vis d’un ministre de l’Agriculture, qualifié d’«omni-absent» par Luc Barbier. Les griefs sont nombreux, après une campagne 2014 difficile : les imports de fruits espagnols à bas prix ont plombé les revenus, juste avant l’embargo russe et une récolte de pommes pléthorique qui ont engorgé le marché. «Nous avons demandé une année blanche bancaire», rappelle le président de la Fnpf. Un sentiment d’abandon renforcé par les coupes budgétaires - suppression du financement du Ctifl, suppression du budget dédié à la promotion...
Ecophyto et agro-écologie
La sémantique utilisée par le ministère n’est pas non plus de nature à apaiser les producteurs. «Quand j’entends le ministre dire partout «produire autrement», ça veut dire qu’avant, je faisais de la m…, j’empoisonnais mes congénères, je m’empoisonnais moi-même ?» s’indigne Luc Barbier qui se dit «blessé en tant qu’homme, en tant que producteur et en tant que responsable professionnel».
Même amertume vis à vis d'Ecophyto 2 : «nulle part n’est relevé le travail que les paysans ont fait en matière de produits phytosanitaires ces trente dernières années», en réduisant par deux les quantités utilisées. «Dans nos secteurs d’activité, le biocontrôle, on n’a pas attendu le ministre Le Foll et le député Potier pour le faire», tempête encore Luc Barbier. Pour la Fnpf, il faut que la plus-value environnementale se traduise aussi par une plus-value économique, dans un contexte de marché libéralisé où les règles ne sont pas toutes les mêmes entre les partenaires.
La communication positive est une piste d’action pour valoriser le savoir-faire français. «Il faut qu’on soit fiers de ce que l’on fait... La qualité sanitaire, elle est chez nous», clame le président de la Fnpf, assurant que les producteurs de fruit sont en première ligne pour l’adoption de nouvelles techniques de production.
Le ministre réagit
Réagissant aux incidents qui ont marqué ce congrès, Stéphane Le Foll assure dans une lettre au président de la Fnpf, qu’il considère les e fruitière «comme une filière d’avenir, pourvoyeuse d’emplois et au cœur de l’alimentation équilibrée et diversifiée demandée par la société». Rappelant les mesures prises en 2014 d’allègement des charges, le ministre évalue à 25 millions d’euros sur 2015 les exonérations de prélèvements obligatoires sur la filière arboricole tandis que «4 M€ ont été maintenus au budget de FranceAgriMer pour permettre à la profession d’investir». Il rappelle aussi que «l'arboriculture est un secteur d’avant-garde pour la mise en œuvre de la protection intégrée».