Sécheresse : comment s'adapter au réchauffement ?
Sur quels indicateurs agro-climatiques pourrons-nous nous baser dans les années à venir
pour conduire les exploitations ? Le livret ClimA-XXI de la Chambre d’agriculture de la Somme et d’UniLaSalle Beauvais offre une projection dans le futur.
Le récent rapport du Giec est formel : même si on peut tenter de limiter le réchauffement climatique, il existe bel et bien, et on ne pourra pas le stopper définitivement. En région aussi, les conséquences sur l’agriculture seront fortes. «Elles ne seront pas forcément mauvaises, relativise Philippe Touchais, chef de service productions végétales à la Chambre d’agriculture de la Somme. Elles pourraient même ouvrir des possibilités, avec des cultures de soja, ou de tournesol, par exemples !»
Pour les cultures traditionnelles du département, l’enjeu est de connaître les évolutions pour pouvoir s’adapter. Le livret ClimA-XXI a été élaboré conjointement avec la Chambre d’agriculture de la Somme et UniLaSalle, à Beauvais, pour définir les indicateurs climatiques et agro-climatiques jusqu’à la fin du XXIe siècle, à Abbeville, Estrées-Mons et Glisy.
L’étude confirme la tendance mondiale : «sur l’ensemble des trois sites étudiés, on constate une augmentation de 1,2°C au milieu du XXIe siècle et de 2,3°C à la fin du XXIe siècle», est-il écrit dans le livret. Il précise que «le réchauffement d’ici la fin du XXIe siècle est un peu moins marqué à Abbeville (+2,2°C), en raison de sa situation plus proche du littoral». Une année considérée comme chaude à la fin du XXe siècle (ex : 10,7°C à Estrées-Mons) sera même plus fraîche qu’une année considérée comme froide à la fin du XXIe siècle (ex : 11,1°C à Estrées-Mons).
Les jours de gel se feront de plus en plus rares chaque année. «En valeurs médianes, le nombre de jours de gel est réduit d’environ de moitié pour les trois sites, entre la fin du XXe et la fin du XXIe siècle, tandis que les maxima se réduisent de vingt à trente jours sur la même période.» A Estrées-Mons, alors qu’au moins cinquante-cinq jours de gel par an étaient comptés à la fin du XXe siècle, ce chiffre ne sera presque plus jamais dépassé à la fin du XXe siècle.
Même constat pour la pluviométrie : «on constate une diminution du cumul annuel des précipitations au cours du XXIe siècle : en valeur médiane, ces cumuls diminuent d’environ 25 mm entre la fin du XXe et le milieu du XXIe siècle, et de 100 à 120 mm entre la fin du XXe et la fin du XXIe siècle».
Les précipitations seront en fait réparties différemment. A Abbeville, par exemple, les écarts entre les mois s’accentuent. Au milieu du XXIe siècle, on constate une diminution des précipitations pour les mois de mai et juillet à septembre (cumul égal à 65 mm) ; une hausse des précipitations en février et novembre (cumul égal à 20 mm), une diminution des précipitations d’avril à décembre (cumul égal à 180 mm) ; et une hausse des précipitations de janvier à mars (cumul égal à 40 mm).
Impact sur les cultures
Parmi les indicateurs agro-climatiques relevés sur le livret, en voici quelques exemples. Sur les trois sites étudiés, on observe, au cours du XXIe siècle, une nette diminution du nombre de jours où TN (température minimale moyenne) est inférieur à 5°C, du 16 mars au 15 juin. «Cette diminution des jours froids au printemps impactera notamment la vernalisation de la betterave.» L’utilisation des variétés à moindres besoins en froids devrait donc être de mise. La plante devrait aussi souffrir d’une augmentation marquée du nombre de jours chauds entre le 16 mai et le 15 juillet, qui se traduira par une accélération de la dévernalisation de la betterave.
L’avancement de la date de dernière gelée sortie hiver d’onze à seize jours entre la fin du XXe siècle et le milieu du XXIe, elle, impactera le risque de gel des céréales à paille aux stades précoces (épi 1 cm, méïose).
Entre le milieu et la fin du XXIe siècle, on remarque ensuite que le nombre de jours échaudants du 1er mai au 30 juin s’accroît nettement, avec un maximum qui atteint trente jours à Estrées-Mons, soit un jour échaudant sur deux. «Le blé tendre et l’orge sont concernés par cette évolution, avec un impact sur le remplissage des grains et le rendement. On considère qu’un jour échaudant durant le remplissage du grain entraîne la perte de 1,5 q/ha de rendement pour le blé tendre.» Trois voies sont envisageables pour limiter cet impact négatif du changement climatique : l’avancement des dates de semis, le recours à des variétés plus précoces, et l’utilisation de variétés résistantes au stress thermiques (encore à l’étude).
La somme de températures du 20 avril au 15 octobre devrait augmenter. «Pour les valeurs médianes, l’accroissement est de 190 à 230°CJ base 6°C entre la fin du XXe et le milieu du XXIe siècle, puis de 280 à 320°CJ base 6°C entre le milieu et la fin du XXIe siècle». Cet accroissement de la disponibilité thermique amène à réviser les choix de précocité en maïs grain ou fourrage. «Dans les zones à contexte hydrique non limitant, le recours à des variétés plus tardives peut être envisagé, donnant accès à des potentiels de rendement plus élevés. Dans les zones à contexte hydrique limitant, des stratégies d’esquive (avancement des dates de semis et variétés plus précoces) doivent être envisagées, ayant pour objectif d’éviter les stress hydriques de fin de cycle cultural.»
Les conséquences du changement climatique sont parfois positives : l’augmenation du nombre de périodes d’au moins cinq jours consécutifs sans pluie entre le 1er avril et le 30 juin offrira un accroissement des jours disponibles pour travaux. Mais cela engendrera également une baisse de l’humidité des sols au printemps.
Mise à l’herbe avancée
L’élevage est aussi concerné par ces changements. La date de mise à l’herbe devrait être nettement avancée : «pour les valeurs médianes, de six à sept jours entre la fin du XXe siècle et le milieu du XXIe, puis de neuf à dix jours entre le milieu et la fin du XXIe». Cet avancement impacte la gestion du pâturage et la conduite des troupeaux en interagissant avec : la portance qui peut être insuffisante si les sols ne sont pas ressuyés, le choix des espèces cultivées pour favoriser la qualité fourragère, l’avancement des dates de mise bas pour les bovins allaitants, la production de stock pour l’été, si la baisse de production estivale se confirme.