Action syndicale : pas de terre aux enchères !
Depuis quelques semaines, la FDSEA de la Somme et
les Jeunes agriculteurs se sont mobilisés sur tous les fronts au sujet d’une adjudication judiciaire, composée essentiellement de terres agricoles occupées.
Le sujet de la vente aux enchères est tabou en matière agricole, puisqu’il est redouté comme un facteur déclencheur de la hausse des prix des terres agricoles libres ou occupées avec, parfois, l’arrivée d’agriculteurs tiers ou d’investisseurs de capitaux extérieurs à l’agriculture, et même étrangers. Dans les faits, un exploitant agricole de l’est du département se voit confronté à cette situation. Plus d’un tiers de sa surface agricole utile, à savoir une cinquantaine d’hectares exploités aujourd’hui par bail rural, était au cœur de la vente aux enchères qui s’est tenue mardi dernier, devant le Tribunal de grande instance d’Amiens.
Le créancier, un établissement bancaire, intervenait, quant à lui, pour apurer la dette du propriétaire des terres. L’adjudication était décomposée en dix-neuf lots, à savoir seize lots de terres agricoles occupées, un lot composé d’un corps de ferme inoccupé et un lot constitué d’un ancien camping.
Eviter toute spéculation foncière !
Si la FDSEA de la Somme et Jeunes agriculteurs de la Somme sont hostiles à toute forme d’adjudication judiciaire concernant des terres agricoles, c’est qu’on risque le fait que le preneur en place ne puisse suivre les enchères, et que le nouvel acquéreur des terres les reprenne à terme, afin de les cultiver en faire valoir direct. Ce type de vente de terres agricoles libres ou occupées, par adjudication judiciaire, vient contrer la stabilisation du marché foncier agricole, et le bon fonctionnement des outils opérant autour du marché, à savoir, le contrôle des structures, le droit de préemption de la Safer et le statut du fermage. En effet, si le fermier en place et la Safer ont bien un droit de préemption, c’est obligatoirement au niveau de la dernière enchère ! Ces méthodes de vente ne vont clairement pas dans le sens du modèle agricole défendu et de l’économie locale, et elles fragilisent la stabilité des exploitations agricoles. Avec plus de 75 % des terres cultivées par les agriculteurs en fermage, c’est donc une pratique dangereuse qui, si elle avait abouti mardi dernier, aurait pu avoir tendance à se généraliser.
De multiples démarches
Dans la continuité des démarches engagées, la FDSEA de la Somme, avec la FRSEA Hauts-de-France, a rencontré, vendredi dernier, un conseiller de la garde des Sceaux lors de la visite des ministres de l’Intérieur et de la Justice, à Amiens. Lors de cette rencontre, les représentants agricoles ont exposé les conséquences de la vente forcée sur le marché agricole et examiné dans quelle mesure le ministère public pouvait intervenir dans le dossier, et favoriser une issue amiable. Dans le même temps, les services de la préfecture et de la DDTM ont, de leur côté, cherché aussi les moyens de faire émerger une discussion amiable. Afin d’éviter la tenue de l’adjudication, après étude des lots mis à la vente, la Safer Hauts-de-France s’était rendue en capacité de formuler une proposition d’acquisition amiable, avec une offre cohérente avec le marché du foncier, et les attentes ou besoin du créancier. Néanmoins, cette offre est restée sans réponse, le propriétaire demeurant injoignable. La vente allait donc avoir lieu.
Action syndicale
Faute d’aboutissement de toutes ces démarches, la FDSEA et les Jeunes agriculteurs ont donc lancé un appel à mobilisation syndicale sur le dossier. La difficulté était d’intervenir au bon niveau, pour que ce ne soit pas encore plus défavorable. C’est ainsi que près de quatre-vingt exploitants agricoles du département se sont rassemblés devant le Tribunal de grande instance d’Amiens, mardi après-midi, afin d’assister à la vente aux enchères et montrer leur opposition, en portant un T-shirt floqué «Pas de terre aux enchères» (cf. page 2). Une délégation de dix d’entre eux a pu se rendre dans l’enceinte de la salle. En leur présence, les enchères se sont déroulées, et ce, dans le calme : manifestement bon nombre d’acquéreurs potentiels avaient finalement décidé de ne pas s’y rendre, compte tenu de la tension prévisible. Du coup, la vente ne s’est pas emballée sur les terres agricoles, et le niveau de la dernière (et souvent seule) enchère ne sera pas impossible à atteindre pour que la Safer ou le fermier puisse préempter à ce niveau. L’issue est heureuse au sortir de l’action, ce qui a réjoui les agriculteurs mobilisés. De surcroît, le niveau atteint par les enchères est même resté en deçà de ce qui aurait pu faire l’objet d’une négociation amiable.
Si l’affaire de mardi dernier semble s’être soldée favorablement, il demeure indispensable de protéger le marché des terres agricoles des ventes par adjudication judiciaire, soit par l’interdiction pure et simple de la vente aux enchères en matière agricole, soit par la possibilité d’accorder à la Safer le droit de réviser le dernier prix de la vente aux enchères, comme pour les ventes de terres classiques. Ce travail législatif sera à relayer auprès des parlementaires dans les semaines à venir, en vue de la prochaine loi agricole. Autant traiter le dossier à la racine tant que le sujet est «chaud» dans les têtes de tout le monde…