Agriculteurs en difficulté : Agridiff fait peau neuve
Le ministère de l’Agriculture a décidé de modifier les modalités du dispositif Agridiff à la suite des bons résultats obtenus par le plan d’urgence.
Le dispositif Agridiff (aides aux agriculteurs en difficultés) aurait-il du plomb dans l’aile ? «Le dispositif a fait ses preuves», précise Jean-Luc Becel, responsable du service environnement et littoral à la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de la Somme. Preuve de son bon fonctionnement : les 27 000 € alloués pour le dispositif dans les Hauts-de-France ont été consommés et se sont même révélés insuffisants. Six dossiers ont été déposés dans la Somme en 2017 (moyenne normale selon le directeur du service, ndlr), contre quatorze en 2016, «qui fut une année exceptionnelle», dit-il.
Si le département de la Somme est celui qui est le plus engagé dans les Hauts-de-France dans ce dispositif, force est de constater que «les agriculteurs en ont tout de même peur. La plupart disent qu’il est plus difficile d’obtenir des emprunts de la banque si celle-ci sait qu’ils sont en Agridiff. Ce qui est illusoire puisque la banque dispose de tous les comptes de l’exploitation», relève Jean-Luc Becel. Mais le dispositif a bel et bien une mauvaise image de marque auprès des agriculteurs.«Quelque part, c’est montré que tu t’es planté. Du coup, les agriculteurs hésitent beaucoup à y venir», indique Isabelle Aslahé, chargée du dispositif Agridiff à la Chambre d’agriculture de la Somme.
Autre facteur d’explication : la prise en charge des intérêts bancaires uniquement sur ceux qui sont au-dessus de 2,5 %. «C’est peu incitatif pour les agriculteurs, car ces taux sont peu nombreux aujourd’hui», note Xavier Descamps, conseiller d’entreprise Cerfrance, dans la Somme. Dernier facteur : la préservation de l’anonymat au sein des CDOA (Commission départementale d’orientation de l’agriculture), dont certains agriculteurs doutent du fait de la présence des représentants politiques. Au vu de ces éléments et de la réussite du plan d’urgence pour l’agriculture lancé en 2016 par le Premier ministre d’alors, Manuel Valls, le ministère de l’Agriculture a décidé de revoir sa copie.
Nom de code : Area
Renommé Area (Aide à la relance des exploitations agricoles), ce dispositif comprend une aide au plan de restructuration et une aide au suivi technico-économique, ainsi qu’une aide à la reconversion professionnelle qui ne fait pas, pour l’heure, l’objet de modifications par rapport à ce qui existe déjà.
Concrètement, et comme par le passé, le dispositif comporte, dans un premier temps, une phase de diagnostic des exploitations en difficultés structurelles pour faire le bilan de la situation technique, économique, financière et sociale de l’exploitation. A la suite de ce bilan, un plan d’actions est enclenché, si l’exploitation est jugée viable. Deuxième volet du dispositif : le suivi de l’exploitation pour mettre en œuvre les conclusions globales de l’audit global de l’exploitation, ainsi que les mesures prévues dans le plan de restructuration. Ce suivi peut durer jusqu’à sept ans. Il est réalisé par un organisme agréé par le préfet.
Pour prétendre à ce dispositif, une fois déterminée l’incapacité de l’exploitation à assurer son redressement avec ses ressources propres, les autres conditions sont les suivantes : avoir une activité relevant de la production primaire de produits agricoles ; avoir une exploitation familiale dont la main-d’œuvre est constituée du chef d’exploitation, du conjoint et des aides familiaux (pour celles qui emploient de la main-d’œuvre salariée, celle-ci ne doit pas dépasser l’effectif de dix en équivalent temps plein) ; employer au moins une unité de travail familiale (UTH). De nouvelles modalités se rajoutent désormais : avoir fait réaliser un audit global de son exploitation ; être âgé, à la date du dépôt du dossier, de vingt et un ans au moins et être deux ans au moins à l’âge légal de départ à la retraite (sauf si succession assurée) ; être chef d’exploitation à titre principal ou à titre secondaire depuis au moins trois ans.
Comment s’y prendre
Concrètement, la DDTM va mettre en place un numéro vert que tout le monde pourra utiliser pour se signaler ou signaler un agriculteur en difficulté. Autre option : l’envoi d’une fiche de notification dans laquelle l’agriculteur, ou le conseiller, ou tout autre partenaire du dispositif (Cerfrance, Solidarité Paysans, chambre d’agriculture) indique quelles sont les difficultés rencontrées sans entrer dans les détails. «Il est demandé, par exemple, si la personne travaille seule sur son exploitation, si elle a des difficultés relationnelles, si elle dégage un revenu par son travail, si elle a des remboursements bancaires en retard, etc. A chaque question, la réponse se limite à oui ou non. Une case est ajoutée pour que la personne puisse écrire des commentaires si elle le souhaite», précise Isabelle Aslahé. La mise en place du numéro vert, comme de la fiche de notification en ligne, est l’affaire de quelques semaines. «En attendant, c’est toujours possible de nous appeler directement», précise-t-elle.
Ensuite, la fiche, dont l’anonymat est préservé, est présentée par la DDTM au sein d’une cellule d’accompagnement composée d’experts (DDTM, DDPP, DDSIP, conseil départemental, chambre d’agriculture, banques, MSA, centres de gestion, coopératives), qui ont tous signé un contrat de confidentialité et de neutralité. Il n’y a donc plus de représentants de la profession. De même, la DDTM se réserve le droit d’ajouter ou de retirer des membres. Une fois la cellule réunie, l’Etat demande un point sur la situation économique, financière, technique et sociale de l’exploitation avant d’arrêter son avis et de nommer un référent chargé de l’accompagnement de l’agriculteur vers les dispositifs existants.
Pour la conseillère chambre, le nouveau système va permettre plus d’anticipation. «On va pouvoir détecter les cas plus en amont et non plus intervenir en pompiers, comme c’était le cas avant. De fait, on arrivait souvent trop tard», considère-t-elle. De même, face aux remarques de nombreux agriculteurs sur la difficile confidentialité de leurs cas en raison de la présence de représentants professionnels, leur absence de la cellule présente plus de garanties. Reste que «pour garder le contact avec le terrain et avoir une approche globale du dossier, la présence des représentants professionnels était intéressante. Mais il est vrai que le problème de la confidentialité se posait», estime Jean-Luc Becel. Pour conclure, s’il fallait résumer le tout en une formule, elle pourrait être la suivante : la confidentialité en plus, les professionnels en moins. En clair, le principe du dispositif reste quasiment le même.
Aides financières attribuées
Détail des montants
Quant aux aides financières qui peuvent être attribuées, elles viennent d’être définies par l’arrêté du 26 mars 2018. L’aide au suivi a été fixée à 600 € pour les trois années d’assistance technique. Elle peut être complétée par une aide des collectivités locales, dans la limite de 100 % de la prestation. Les aides de prise en charge d’intérêts sont fixées, elles, à 10 000 € par UTH. On retrouve donc les mêmes montants que ceux définis dans le cadre des aides du dispositif Agridiff. Ce qui change, en revanche, c’est le montant du diagnostic, qui passe de 300 Ä à 1 000 €. Cette aide peut être complétée par une aide des collectivités territoriales, dans la limite de 100 % du coût de la prestation et d’un plafond de 1 500 €.
Dispositif du Département
Depuis 2011, le Département a mis en place un dispositif de soutien aux agriculteurs fragilisés dans la Somme. Celui-ci repose sur une plateforme unique d’examen et de suivi de la situation des agriculteurs en difficultés sur le plan technique, social et économique, qu’ils soient ou non bénéficiaires du RSA. Cette plateforme est composée de représentants de la chambre d’agriculture, de la DDTM, de la MSA et de Solidarité Paysans.
L’accompagnement est pris en charge par la Direction de la cohésion sociale et du logement pour les bénéficiaires du RSA (coût annuel autour de 20 000 €) et par la Direction du développement agricole et touristique pour les autres (coût annuel : 18 500 Ä pour Solidarité Paysans et 17 000 € pour la chambre d’agriculture).
Si la dimension du dossier est plutôt technique, c’est à la chambre d’agriculture qu’est confié le diagnostic de l’exploitation (autour de vingt par an). Si les éléments du dossier comprennent à la fois des caractéristiques économiques et sociales, il est confié à Solidarité Paysans, qui assure un suivi de l’agriculteur durant trois ans (quatre-vingt-cinq agriculteurs accompagnés dans la Somme en 2017). Si, après un point de situation, les difficultés sont plus d’ordre social, c’est le Département qui prend le relais ou la MSA.
Aujourd’hui, 48 agriculteurs sont bénéficiaires du RSA, «mais en fonction de la conjoncture agricole, de la volatilité agricole, de la volatilité des cours et des aléas climatiques, le nombre de demandes de RSA peut varier selon les périodes», précise Sophie Launois, responsable du service de la cohésion sociale et du logement. Ils sont suivis par la chambre d’agriculture et Solidarité Paysans. Les objectifs de l’accompagnement en sont les suivants : élaborer le contrat d’engagement réciproque (CER) à partir de l’évaluation des potentialités et besoins de l’allocataire ; aider la personne à lever les obstacles à la mise en œuvre de son projet professionnel et la guider dans ses démarches ; repérer, proposer et orienter la personne vers les actions les plus adaptées ; formaliser la prescription de ces actions dans le CER ; s’assurer de la continuité du parcours, veiller au respect du contrat, évaluer sa mise en œuvre et le réajuster si nécessaire ; évaluer l’atteinte des objectifs fixés au contrat pour préparer la sortie du dispositif.
Le budget alloué pour l’accompagnement des agriculteurs bénéficiant du RSA est de 31 250 € pour 2018.