Agro-écologie : en route vers la généralisation des pratiques
L’agro-écologie a fait l’objet d’une conférence le 30 janvier pour lancer «l’An 1» de son avènement. Objectif de cette année 2015 : un premier bilan, en vue de généraliser le projet agro-écologique cher au ministre. Mais le plan Ecophyto 2 ne fait pas l’unanimité chez les professionnels de l’agriculture.
Avec la conférence nationale «An 1 de l’agro-écologie», le ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll a souhaité faire un premier bilan de la mise en œuvre progressive de l’agro-écologie et de ses pratiques qui répondent à un double objectif : être plus respectueux de l’environnement sans impacter la productivité ni le revenu des agriculteurs. Avec un défi pour les années à venir, «faire en sorte que la majorité des exploitations soient engagées dans l’agro-écologie d’ici 2025», ce qui sous-entend «un objectif de diffusion et de généralisation des connaissances», explique le ministre.
Les agriculteurs déjà au travail
Bien que les résultats encourageants du sondage BVA commandé par le ministère de l’Agriculture, indiquent que 45 % des exploitants interrogés se sentent engagés dans une démarche agro-écologique et que 13 % envisagent de s’y atteler (deux fois plus chez les moins de 35 ans), réticence et scepticisme semblent demeurer au sein du monde agricole. Ainsi, 42 % des agriculteurs interrogés déclarent ne pas être engagé dans un tel processus et ne pensent pas le faire à l’avenir.
Pourtant, cette réticence pourrait ne s’appliquer qu’au concept et à la sémantique, puisqu’au niveau des pratiques mêmes, 76 % disent limiter l’utilisation d’intrants, 72 % prendre soin des sols, 62 % limiter les ressources en eau et 51 % s’attacher à favoriser le rôle de la faune auxiliaire. Un engagement des agriculteurs préexistant au concept d’agro-écologie, comme le rappelle Christiane Lambert, vice-présidente de la Fnsea : «avant l’agro-écologie, il y a eu l’agriculture durable, l’agriculture raisonnée, l’agriculture de conservation, l’agriculture HVE… Aujourd’hui on donne un coup d’accélérateur mais le secteur a travaillé, les pionniers ont été très nombreux». D’où l’agacement aussi de Xavier Beulin, président de la Fnsea, vis-à-vis de ce terme «An 1» qui laisse à penser «qu’avant ce 30 janvier, les agriculteurs n’ont rien fait, ont travaillé n’importe comment et sans considération pour l’environnement» «Alors que nous avons beaucoup participé à cet effort collectif», ajoute-t-il.
Ecophyto 2
Ce que redoutent beaucoup d’agriculteurs, c’est surtout la multiplication des contraintes et de la réglementation que risquent d’entraîner ces nouveaux objectifs, avec au final un impact sur la compétitivité de l’agriculture française dans un contexte déjà tendu. Et cela sans atteindre pour autant les résultats, comme en témoigne l’échec du premier plan Ecophyto.
La nouvelle version, présentée le 30 janvier, réajuste le calendrier sans changer les seuils à atteindre : réduction de 25 % des phytosanitaires d’ici 2020, et de 50 % d’ici 2025. Un objectif «extrêmement élevé», juge Christiane Lambert, «qui donne l’impression d’être inatteignable et suscite beaucoup d’inquiétude chez les professionnels de tout bord».
Pour y parvenir, le financement ajoute 30 millions d’euros aux 40 millions actuels, l’incitation à diversifier les cultures se poursuit tout comme l’accélération du retrait des substances nocives et ce, à l’échelle de l’Union européenne pour éviter les distorsions de concurrence.
Développement du biocontrôle
Le ministre compte également sur les nouvelles technologies, les certificats d’économie de phytosanitaires (voir encadré) et l’agroéquipement. Pour Xavier Beulin, «derrière agro-écologie, il faut aussi entendre des mots comme innovation, recherche, investissement», un point que n’oublie pas Stéphane Le Foll. Le ministre veut aussi mettre l’accent sur la recherche, et le développement du biocontrôle : «si interdire consiste ensuite à laisser les agriculteurs sans solution, ça n’a aucun sens».
Les initiatives présentées au cours de la journée montrent que les résultats peuvent être au rendez-vous, à l’exemple des 2 000 fermes Dephy, où la réduction des phytosanitaires a été clairement effective.
Stéphane Le Foll souhaite étendre cette expérience à 3 000 fermes, avec l’espoir que ces pratiques se diffusent massivement sur le terrain à l’échelle de quatre ou cinq ans. Les agriculteurs y sont prêt : «On est en mouvement» explique Xavier Beulin juste avant d’ajouter que «c’est l’An 1, sachant aussi que dans l’histoire y’a eu un An 2, celui de la Terreur».
Les certificats d’économie de phytosanitaires
La mise en place de certificats d’économie de phytosanitaires est une nouveauté du plan Ecophyto 2. L’objectif est d’engager une démarche de réduction des phytosanitaires de 20 % sur cinq ans en s’appuyant sur les distributeurs qui sont incités, au lieu de vendre des produits, à développer du conseil et du service. Si les résultats ne sont pas atteint au bout des cinq ans, une pénalité financière (11 euros par Nodu) leur sera appliquée, tandis que ceux qui auront été plus loin que les 20 % attendus pourront vendre à 11 euros le Nodu à ceux qui n’auront pas atteint l’objectif. Pour le ministre, cette stratégie globale «est une incitation collective avec obligation de résultat, sans jugement sur les moyens». «On souhaite passer de la norme au contrat, du contrôle a priori sur les moyens au contrôle a posteriori sur les résultats», explique-t-il. Les professionnels restent tout de même sceptiques quant à cette approche qui pour Christiane Lambert, vice-présidente de la Fnsea, «est trop coercitive, il faudrait mettre l’accent sur le biocontrôle d’abord». La Fnsea regrette en effet que l’on mette l’accent en France, sur la réduction des volumes au lieu de privilégier la réduction des impacts (sur la santé, sur l’environnement), comme dans la majorité des autres Etats européens. Dans le plan Ecophyto 2, «usages et impacts sont liés», rappelle de son côté Stéphane Le Foll qui ne veut pas concentrer uniquement les efforts sur la réduction des produits qui ont le plus d’impact, au risque de voir augmenter les usages des produits jugés moins nocifs.
REACTIONS
Orama : «privilégier la technologie»
Les producteurs de grandes cultures ne sont pas hostiles à une réduction de l'usage des phytos, mais à condition de trouver des solutions de remplacement grâce à l’innovation technologique. «Réduire arbitrairement les quantités de produits phytosanitaires est illusoire tant que les solutions prônées pour y parvenir ne sont pas disponibles. L’objectif doit être avant tout de mettre en œuvre des mesures pour parer les impacts indésirables que peut avoir l’indispensable utilisation des produits phytosanitaires», soulignait Orama à la veille de la présentation du plan Ecophyto 2, le 30 janvier.
L’Uipp : «une politique d’écologie punitive»
L’Union des industries pour la protection des plantes (Uipp) a regretté, dans un communiqué du 30 janvier, «une politique d’écologie punitive, instaurant des systèmes de pénalité».
Elle déplore également «le maintien d’un objectif de réduction quantitative» au lieu d’un objectif qualitatif de réduction des impacts sur la santé et l’environnement.
Les distributeurs estiment qu'ils sont les «boucs émissaires»
Dans un communiqué diffusé le 2 février, Coop de France Métiers du grain et la Fédération nationale du négoce regrettent en particulier que le mécanisme de Certificat d'économie de produits phytosanitaires ne concerne que les distributeurs, et estiment que, par conséquent, la responsabilité financière de la réalisation de l'objectif Ecophyto ne repose que sur eux.
Selon eux, «les distributeurs ont un rôle à jouer en matière de conseil, mais ne peuvent être tenus responsables des décisions des agriculteurs». Ils ajoutent que ces mesures vont inciter «un nombre croissant d'agriculteurs» à aller acheter des produits phytosanitaires «hors des frontières».