Anaïs Dheilly : la cigogne qui dépose les veaux dans le ventre des vaches
Ils ne sont pas agriculteurs, mais sont pourtant indispensables aux exploitations. Cette semaine, nous avons rencontré Anaïs Dheilly, inséminatrice chez Gènes Diffusion.
Comme tous les matins, ce jeudi, une fourgonnette blanche au logo de Gènes Diffusion sillonne le Vimeu de ferme d’élevage en ferme d’élevage. A l’intérieur, se trouve une cuve d’azote bien fraîche (-196 °C), qui contient des paillettes de taureaux sélectionnés pour leurs qualités génétiques. Et au volant, Anaïs Dheilly est inséminatrice depuis quatre ans.
Les éleveurs ont appelé le centre d’Abbeville lorsqu’ils ont repéré une vache en chaleur, et la professionnelle a été informée dès le petit matin. Sa tournée débute vers 6h45 et elle ne terminera pas avant le début d’après-midi. «J’organise au mieux mon circuit pour pouvoir aller chez tout le monde et pour limiter les détours», précise la jeune femme. En cette période, il s’agit de troupeaux de laitières, car les allaitantes sont surtout inséminées l’hiver, la plus grosse période de travail pour les inséminateurs. «Mon métier est passionnant, parce qu’il est très varié. A chaque ferme, la situation est différente, l’éleveur est différent, les vaches sont différentes. Il faut savoir s’adapter aux façons de faire de chacun. Parfois, la vache est au cornadis, d’autres fois au licol…»
Le geste technique, lui, est toujours le même. Récupérer la paillette dans la cuve, la réchauffer dans l’eau, puis la placer sur le pistolet. Celui-ci est coincé dans le dos, pour rester à bonne température, jusqu’à ce qu’il pénètre dans la vache. Pour cela, l’inséminatrice doit introduire un bras dans le rectum et, à travers la fine paroi, attraper et maintenir le col de l’utérus. De sa main libre, elle introduit le pistolet dans le vagin et presse le piston du pistolet pour libérer la semence. «Toute la difficulté de l’opération réside dans le passage du col, qui peut être très étroit, prévient Anaïs. Il faut libérer la paillette au bon endroit, juste avant les trompes. Car enfoncer le pistolet trop profondément peut abîmer le système reproducteur de la vache.»
Rare inséminatrice
Anaïs, non issue du milieu agricole, est tombée amoureuse de l’agriculture, et de l’élevage bovin particulièrement, lors d’un contrat de professionnalisation dans une exploitation, lorsqu’elle était en BTS. «Et puis j’ai toujours voulu travailler avec des animaux. Rester derrière un bureau était inenvisageable.» Elle est désormais la seule femme parmi les douze inséminateurs du secteur. Un métier physique ? «Oui, car inséminer est un acte physique, mais la force ne prime pas. La bête peut faire 650 kg, elle sera toujours plus forte qu’un humain. Il faut surtout être calme pour la rassurer.» Pendant les deux mois de formation qu’elle a suivis chez Gènes Diffusion, elle a d’ailleurs appris à se protéger. «Toujours avertir la vache avant de l’aborder et rester un peu sur le côté pour éviter un coup de patte. Et surtout, ne jamais hésiter, sinon la vache le sent et on est foutu», avertit-elle.
La réussite est d’environ 60 %. «On est toujours un peu gêné quand une vache ne prend pas. L’inséminateur est pourtant une part infime dans le résultat.» Fortes températures estivales, état de stress de la bête et surtout alimentation… De nombreux facteurs entrent en compte. Une vache un peu grasse, par exemple, a beaucoup moins de chance d’avoir un veau qu’une vache au poids idéal. «On est aussi là pour conseiller les éleveurs. On va dans beaucoup de fermes, donc on apporte un regard extérieur qui est souvent apprécié.»
Le contact avec l’éleveur est un élément essentiel du travail d’inséminateur. «Les éleveurs se confient assez facilement. Peut-être parce que je suis une fille, ou tout simplement parce que je sais écouter», s’amuse Anaïs. Prendre le temps de boire un café de temps en temps, ou même rester déjeuner un midi est un moyen de tisser des liens et d’approfondir le travail. Car l’inséminateur n’a pas qu’un rôle de fécondateur. «On fait aussi des prises de sang, on conseille et on vend des compléments, on fait de l’accouplement, pour choisir avec l’éleveur quel taureau permettra d’améliorer au mieux leur troupeau.» Son boîtier, qui ne la quitte jamais, est alors un précieux outil. «Toutes les vaches des clients sont enregistrées dedans. Ca nous permet d’éviter la consanguinité quand on choisit un reproducteur.»
Anaïs, elle, apprécie tout particulièrement les échographies, qu’elle pratique l’après-midi, pour vérifier que les vaches soient pleines. «Je me sens alors privilégiée. Je suis la première à voir ou sentir le veau dans le ventre de sa mère. En fonction de sa taille et de son développement, je peux estimer la date de fécondation. Un veau évolue tellement vite !» La récompense d’un travail bien accompli.
L’œil de l’agriculteur
Pour Sylvie Varain, installée en Gaec avec son frère à Béthencourt-sur-mer, un bon inséminateur est d’abord un professionnel qui a de la réussite dans l’insémination des vaches. «Mais le contact est aussi important», ajoute très vite l’éleveuse laitière. Elle fait appel à Gènes diffusion pour l’insémination de ses cinquante Prim’Holstein depuis de nombreuses années et a même, depuis quelque temps, recours aux échographies. «C’est de l’argent vite récupéré, car on sait tout de suite s’il faut recommencer ou pas, explique-t-elle. On perd beaucoup moins de temps.»
L’accouplement est aussi un avantage. «J’explique à l’inséminateur que cette vache a de mauvais aplomb, ou qu’une autre a des mamelles trop proches les unes des autres… Et on cherche pour chacune le taureau qui permettra d’améliorer ses défauts.»
Des paillettes sexées sont utilisées pour les génisses. «Mieux vaut une femelle au premier vêlage, car elles sont plus petites que les mâles donc plus faciles à sortir», assure Anaïs Dheilly. Mais pour les autres, Sylvie Varain a recours aux paillettes traditionnelles. «Elles sont moins chères, et le taux de réussite est supérieur.»
«L’agriculture est un milieu encore très masculin»
A-t-elle été surprise de voir une femme inséminatrice ? «J’en suis plutôt ravie ! Les femmes ont du mal à se faire une place dans le monde de l’agriculture encore très masculin. Une fille comme Anaïs, qui fait bien son travail, prouve qu’elle a sa place autant qu’un homme.»