Anne Poupart : le safran, c’est sa vie
Dans le cadre de l’Automne fermier, organisé par la Chambre régionale d’agriculture de Picardie, Anne Poupart ouvrira sa ferme de Romiotte, à Ponthoile, aux visiteurs, ce vendredi 16 octobre.
Il y a des passions que, bien des années plus tard, l’on peine toujours à expliquer. Ainsi en a-t-il été pour Anne Poupart avec le safran. En 2008, Anne découvre la culture du safran, un soir, au cours d’une émission de télévision sur France 5. C’est le coup de foudre immédiat. «Je suis tout de suite tombée amoureuse de la fleur. Elle est belle et sa couleur est magnifique», commente-t-elle. Réflexe de styliste-modéliste (sa formation initiale), fascinée par la forme et les couleurs. Peut-être…
Sans plus réfléchir, elle en parle à son mari, agriculteur à Ponthoile, qui cultive des légumes, des betteraves, des pommes de terre, du lin et du blé. Henri connaît sa femme. Il fait confiance à son intuition. «Il m’a toujours fait confiance. J’ai beaucoup de chance», dit-elle avec un sourire qui en dit long sur cette autre passion. Les voilà partis dans une nouvelle aventure des plus singulières en terre picarde. Il n’y a alors aucun autre producteur de safran. Ils achètent cinquante bulbes, qu’elle plante dans son jardin sur un mètre carré «pour le fun». Ces cinquante bulbes donneront vingt-cinq fleurs, soit 50 % de l’investissement, mais, en même temps, une goutte d’eau dans l’océan.
Un dur labeur
La culture se révèle très prenante. Et pour cause. Non seulement, «c’est toute l’année et le désherbage se fait à la main, ainsi que l’émondage, et, bien sûr, la cueillette. Tout se fait à la main, en fait», dit-elle. Le travail est dur, physiquement et psychologiquement. Il faut tenir le coup quand on enchaîne six heures de désherbage sous la pluie. «Ce n’est pas un travail agréable en soi, mais il y a tous les autres moments, le soir, quand le soleil se couche, qu’il fait bon alors que l’on cueille les fleurs dans un calme absolu tout autour. C’est si beau», s’émerveille-t-elle.
L’émerveillement, capacité toujours intacte chez elle, la pousse à aller plus loin. De cinquante bulbes, elle passe à mille, l’année suivante. Total de la récolte : 33 gr de safran. «Normalement, pour faire tourner cette culture, il faut commencer avec 10 000 bulbes, mais comme je m’occupais de notre magasin de vente directe des légumes, je n’ai pas voulu me précipiter. J’avais aussi besoin de vérifier si ce chemin-là était le bon», raconte-t-elle. Aucun «business plan» en tête ou couché sur papier, aucune idée précise non plus, d’ailleurs, juste l’intuition que c’est son chemin.
La main de l’homme
L’intuition s’avère être des plus justes. Sans même avoir réfléchi à la commercialisation du safran, les restaurateurs de la Baie de Somme viennent frapper à la porte pour en commander. Sa soif de communiquer sa passion au travers des visites de sa safranière apporte à Anne de nouveaux clients. «Nos visiteurs étaient si enchantés de la visite qu’ils réservaient du safran de la récolte à venir», dit-elle.
2010 : il est temps de franchir le cap. Anne cultive 10 000 bulbes. Si, au départ, elle se fournit chez un producteur près de Toulouse, aujourd’hui, elle utilise sa propre production. «Les bulbes se multiplient dans la terre. Il suffit de les arracher, de les calibrer, de les mettre en pépinière, puis de les planter. Ce qui a d’extraordinaire dans cette plante, c’est que le safran se développe grâce à la main de l’homme, car la fleur est stérile», conte-t-elle.
Autre magie de la plante : on ne sait jamais combien de fleurs pousseront d’un jour à l’autre. «C’est toujours une surprise. Hier, nous en avions 900, la veille 1 517, aujourd’hui 1 560. Et, demain, ce sera la surprise. La seule chose que l’on sait, c’est que dès qu’il y a des nuits fraîches, on va avoir plein de fleurs», ajoute-t-elle.
Ces fleurs sont rendues à la nature, une fois le safran récupéré. Ne reste plus qu’à sécher ce dernier et à en faire «bon usage». De sa récolte, Anne fait du safran pur en stigmates, des sirops, des confitures, des vinaigres, des gelées, des bulles safranées à la méthode champenoise, des pâtes de fruits… Là encore, point de réflexion, juste des choix opérés à la demande des visiteurs et des clients, à qui Anne raconte les origines et les légendes du safran, comme la transformation de cette épice, la façon de la cuisiner et de la déguster.
Aujourd’hui, Anne plante entre 250 000 et 300 000 bulbes sur 6 000 m2. Elle espère produire cette année 1 kg de safran. L’an dernier, elle a produit 500 gr. Tout ça pour ça, peuvent se dire certains. «Patience et longueur de temps sont les maîtres-mots pour le safran», répond Anne, toujours tout sourire. Il n’y a pas un moment qui ne la passionne pas. Pourquoi ? Elle peine à le dire.
Sa passion a été récompensée cette année, avec l’obtention de la médaille de bronze au Concours général agricole, à Paris, et le prix des Talents gourmands décerné par le Crédit agricole et le Bottin gourmand. Ce que sera l’avenir ? «Je ne me pose pas de questions. Je me contente de suivre mon chemin», conclut-elle. Mais ce qu’elle sait, au plus profond d’elle, c’est que le safran est devenue toute sa vie, et ce, grâce aussi à son mari qui la suit les yeux fermés.
Ferme de Romiotte
Route de Forest-Montiers
80060 Ponthoile