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Bien que jugé «illégal», l’affichage de l’origine du lait reste plébiscité

Le 11 mars dernier, le Conseil d’État a annulé l’obligation d’indication de l’origine du lait après avoir été saisi sur le sujet par Lactalis. L’entreprise s’attire depuis les foudres de la profession et suscite l’incompréhension, y compris chez ses propres fournisseurs. 

Pour Valentin Crimet, installé au sud d’Abbeville, vouloir remettre en cause l’affichage de l’origine France compromet les efforts des éleveurs français.
Pour Valentin Crimet, installé au sud d’Abbeville, vouloir remettre en cause l’affichage de l’origine France compromet les efforts des éleveurs français.
© Vincent Fermon

Producteur de lait à Huchenneville, au sud d’Abbeville, Valentin Crimet est aussi le président de l’Union des producteurs de lait de Picardie (UPLP) et l’admet sans détour : «Si j’étais à la place d’un producteur Lactalis, je serai très en colère.»

S’il s’exprime sur l’affaire de l’étiquetage de l’origine du lait, c’est donc en tant que syndicaliste et il n’est pas tendre avec le géant laitier : «C’est une drôle d’attitude, mais finalement, c’est dans la logique de cette entreprise. Étant donné sa position, Lactalis entend faire ce qu’il veut, comme il l’entend.» Valentin Crimet considère que la remise en cause de l’étiquetage de l’origine, «c’est se mettre une balle dans le pied».

Il espère ainsi que «Lactalis va reconnaître son erreur» et le fait «qu’il s’agit d’un mauvais signal». «Ne serait-ce que d’avoir l’idée de remettre en cause l’étiquetage, c’est incompréhensible et c’est se moquer des producteurs, poursuit-il. En tant qu’éleveur, je suis capable de fournir tout le suivi sanitaire de mon troupeau, la génétique de mes vaches, les produits de trempage que j’utilise pour la salle de traite… Et là, on ouvre la porte à une remise en cause de tout cela.» Derrière le logo «France», «c’est une agriculture familiale. C’est le souci d’une alimentation de qualité, à la fois sur les plans gustatif et sanitaire. Avec la réglementation française, on va plus loin que ce qui se pratique ailleurs en Europe. C’est donc normal que l’on cherche à le mettre en avant».

Enfin, rapporte Valentin Crimet, le logo France est aussi une manière de défendre un prix plus rémunérateur pour la production laitière française : «On l’a bien vu dernièrement lors des échanges que nous avons eu avec les consommateurs. Ils sont prêts à payer le lait quelques centimes de plus, mais il faut que ce soit du lait français et que cela profite aux producteurs. Si on ne l’indique plus sur l’emballage, comment fait-on pour le justifier ?»

Colère des organisations syndicales 

Au plan national, plusieurs organisations professionnelles ont fait part de leur mécontentement, dès le 12 mars. Dans un communiqué commun, FNSEA, JA et Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) ont qualifié la décision du Conseil d’État de «retour en arrière inacceptable» et de «très mauvais signal». Les trois organisations agricoles «dénoncent l’attitude irresponsable d’un acteur économique qui va à l’encontre de la reconnaissance du travail des éleveurs laitiers français». Pis, «en donnant raison à Lactalis, le Conseil d’État empêche les consommateurs de connaître la provenance de leur alimentation, et de choisir librement les produits qu’ils consomment. Cette décision est à contre-courant de l’Histoire puisqu’un certain nombre d’autres États membres ont entre-temps rejoint la France dans sa démarche», accusent-elles. 

FNSEA, JA et FNPL comprennent d’autant moins une décision juridique «qui mine (…) les efforts de longue date, engagés par les agriculteurs français pour répondre aux attentes des citoyens». En conséquence, les trois organisations syndicales demandent notamment à l’État de «tout mettre en œuvre pour remettre en place cette nécessaire obligation d’étiquetage», de «maintenir les dispositions du décret concernant les viandes en tant qu’ingrédients». «Plus que jamais la transparence est une nécessité du producteur au consommateur !» 

Une démarche malheureuse  

Pour les producteurs du département de la Somme livrant à Lactalis, plusieurs faisaient part de leur incompréhension en ce milieu de semaine et expliquaient «ne pas avoir plus d’explications» sur les motivations du géant laitier.

Au Gaec Saint-Gérard, à Saint-Fuscien, Grégoire Leleu regrettait mardi «un vieux dossier qui fait parler, mais pas forcément en bien…». Avec une pointe de regret, il juge «dommage» cette affaire, «alors que les relations entre Lactalis, et nous, les éleveurs, se sont améliorées. Il y a plus d’écoute aujourd’hui qu’il y en avait il y a quelques années». La décision du Conseil d’État «ne changera pas forcément les choses, mais il est dommage d’avoir engagé une procédure sur un sujet comme celui-là. Si les commerciaux de Lactalis étaient aussi bons que leurs juristes, nous n’aurions pas à nous plaindre du prix du lait…».

L’éleveur revient dans le même temps sur le «combat» mené plusieurs années en arrière pour «faire reconnaître l’origine France (…) Une enseigne a le droit d’avoir des produits de différentes origines, mais cela doit être clairement identifié». 

Pour le président de l’Association des producteurs de lait ouest picard, Bernard Mancaux, cette décision du Conseil d’État n’est pas non plus «un bien pour la production laitière». «Afficher l’origine France est quand même un moyen de mieux valoriser le lait. Enlever la mention d’origine, c’est un contresens et c’est contraire à ce que recherche le consommateur», constate-t-il. Et ce dernier de s’interroger : «C’est sûr, cette affaire fait parler de Lactalis, mais qu’en pensent les autres industriels ? Est-ce qu’ils ne vont pas en profiter finalement ?»

 

Lactalis défend le statu-quo

Sitôt la décision du Conseil d’État connue, le groupe Lactalis a affirmé dans un communiqué, le 12 mars, «prendre acte» de la décision de la juridiction administrative. Et de préciser que «Lactalis indique sur l’ensemble des emballages de ses marques l’origine des produits et cette indication perdurera». Une façon de rassurer après le déferlement de critiques et d’appels à maintenir l’indication de l’origine. Quoi qu’il en soit, des questions demeurent : quelle mouche a piqué le géant laitier et quelles sont ses motivations ?

Dans le même communiqué du 12 mars, Lactalis explique avoir voulu «obtenir l’annulation du décret relatif à l’indication de l’origine du lait pour qu’il ne soit pas porté atteinte à la circulation des marchandises via une multiplication de décrets Origine en Europe». Pour le premier groupe laitier mondial, «le marché européen doit rester un marché unique afin de préserver les exportations de produits laitiers français, la France exportant 50 % de sa production laitière».

Les producteurs français d’abord, comme les consommateurs de plus en plus soucieux de l’origine de ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, promettent dans tous les cas d’être vigilants dans les mois à venir. 

 

L’appel de la FDSEA au gouvernement


Via une motion à l’initiative de la FDSEA de la Somme relative aux difficultés de la mise en œuvre de la loi de modernisation de l’économie et de la loi Egalim, la question de l’étiquetage de l’origine du lait s’est invitée lors de la dernière session de la Chambre d’agriculture de la Somme. Le texte, tel qu’il a été adopté à l’unanimité, demande «le rétablissement immédiat par décret gouvernemental de l’obligation de l’étiquetage de l’origine du lait». Lorsqu’il a appris la décision du Conseil d’État, le président de la FDSEA 80, Denis Bully a «bondi», et rappelle encore aujourd’hui que la production laitière est «concurrentielle» et «difficile». Plus largement, mais toujours en lien avec l’actualité, la motion adoptée par la Chambre d’agriculture de la Somme demande la parution des décrets permettant l’application de l’article 44 de la loi Egalim – il s’agit de cet article qui doit limiter la concurrence déloyale sur les normes de production des denrées utilisées dans l’élaboration des produits agroalimentaires -, ainsi qu’une «saisine des ministères de l’Agriculture et de l’Economie pour résoudre les difficultés d’application conjointe des loi LME et Egalim». Car il y a, selon la profession agricole, «urgence».  
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