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Biodiversité et agriculture : la ligne proposée par le CGAAER
Les hauts fonctionnaires du CGAAER souhaitent intégrer une notion de «souveraineté alimentaire» dans la doctrine d’usage des terres en France, pour établir des bornes à la protection de la biodiversité.
Les hauts fonctionnaires du CGAAER souhaitent intégrer une notion de «souveraineté alimentaire» dans la doctrine d’usage des terres en France, pour établir des bornes à la protection de la biodiversité.
La France n’est pas le monde. Si les terres agricoles se développent à travers la planète, où la déforestation domine, elles reculent dans l’Hexagone, où l’artificialisation, la reforestation et l’enfrichement l’emportent. Sur les dix dernières années, l’agriculture française perd chaque année en moyenne 60 000 ha «dont un tiers est artificialisé, un tiers passe à un usage forestier et le dernier tiers est abandonné, sans usage», selon un récent rapport du CGAAER.
Alors que le débat faisait – et fait encore – rage entre scientifiques sur la meilleure stratégie de protection agricole de la biodiversité, entre «land sharing» (désintensification/intégration) et «land sparing» (spécialisation/intensification), l’ancien directeur de cabinet du ministre de l’Agriculture, Fabrice Rigoulet-Roze, avait saisi les hauts fonctionnaires du CGAAER pour établir une doctrine française d’usage des terres. Leur bref rapport ne tranche pas le débat. D’un côté, il met en avant une approche «binaire et très simplificatrice» des partisans du «land sparing», entachée de biais méthodologiques (faible nombre de groupes taxonomiques étudiés), et excluant notamment «les enjeux de pollution par les pesticides et les fertilisants, prélèvements d’eau pour l’irrigation». Côté «land sharing», les auteurs estiment que les scénarios reposent sur «des hypothèses tranchées incertaines et controversées».
«Trop volontaristes»
Parmi ces hypothèses, on retrouve les clauses miroir ou de la baisse de la consommation de produits animaux, considérées par de nombreux scientifiques comme le levier le plus efficace de protection de la biodiversité et du climat. Les auteurs s’attardent notamment sur la viande. Même si la réduction de la consommation de protéines animales – par l’allègement de la pression foncière qu’elle induit – est le «facteur le plus souvent introduit comme la clé» de cette conciliation, reconnaît le CGAAER, elle «nécessite des politiques publiques très volontaristes qui ne peuvent en faire à court terme un facteur clé».
Pour expliquer leur appréhension, les auteurs arguent que «cette injonction ne fait pas encore l’objet d’un consensus social» et que «l’élevage traditionnel fait face à des interrogations sur son devenir». Parmi ces politiques «très volontaristes au niveau national et européen», le rapport cite une «TVA différenciée selon les produits alimentaires», ou une «segmentation des marchés nationaux et internationaux en fonction de critères de qualité ou des modes de production...». Autant de mesures «difficiles à mettre en œuvre», estiment les auteurs.
Et de conclure que la lutte contre le gaspillage alimentaire apparaît «à court terme comme une voie plus opérationnelle». Le gaspillage est aussi, notent-ils, le levier souvent privilégié par la FAO – où des anciens cadres ont récemment dénoncé des pressions pour taire les effets néfastes de l’élevage. Le rapport du CGAAER est publié alors que le gouvernement doit faire paraître dans quelques semaines sa proposition de révision de la Stratégie nationale alimentation nutrition climat (Snanc), et réviser prochainement les recommandations nutritionnelles à destination de la restauration collective.
«Non-régression de souveraineté alimentaire»
Finalement, la principale orientation donnée par le CGAAER est d’intégrer la notion de «souveraineté alimentaire» dans le corpus juridique «afin que cet objectif de politique publique acquière une consistance opérationnelle». Dans le viseur, des politiques nutritionnelles comme la Snanc, ou foncières, sans toutefois de mesures précises à mettre sur la table.
Les auteurs proposent ainsi d’engager une «réflexion», avec les régions et les intercommunalités, autour de l’inscription dans la loi d’un «principe de non-régression de souveraineté alimentaire» afin de «préserver le potentiel de production alimentaire» dans les arbitrages fonciers locaux. Inspirés par le principe de «non-régression environnementale», inscrit dans le Code de l’environnement, les auteurs la déclineraient par «la préservation des surfaces agricoles à usage alimentaire» à un «niveau local (supra-communal)». Ils ne détaillent pas davantage les contours de leur proposition, reconnaissant qu’un «certain nombre d’objections de nature juridique ou économique» peuvent être invoquées, qui «ne doivent pas être sous-estimées».
Pour asseoir ce principe, les auteurs proposent également de préciser, dans le Code rural, la définition de la «souveraineté alimentaire», constatant des acceptions assez diverses dans les expressions publiques de l’exécutif. Dans son avant-projet de loi d’orientation et d’avenir, le ministère de l’Agriculture proposait d’inclure l’objectif de «souveraineté alimentaire» dans le Code rural.
2,7 à 3 Mha de «terres délaissées» en France
Dans son rapport, le CGAAER donne de premières estimations des surfaces de terres dites «délaissées» sur le territoire français, résultats préliminaires d’une autre mission de prospective des hauts fonctionnaires, toujours en cours. Ces terres agricoles «sans usage, donc hors artificialisation ou reboisement» représenteraient «2,7 à 3 millions d’hectares» (Mha), soit l’équivalent de plus 10 % de la surface agricole utile (SAU) de la France. Selon des données recueillies sur les dix dernières années par la mission de prospective, elles représentent un flux d’environs 20 000 hectares par an. Ainsi, sur cette période, l’agriculture française «perd chaque année en moyenne 60 000 ha dont un tiers est artificialisé, un tiers passe à un usage forestier et le dernier tiers est abandonné, sans usage». Pour le CGAAER, la donnée est à intégrer «dans le débat sur les usages des sols, en particulier en faveur de la biodiversité mais aussi compte tenu de l’évolution des zones d’élevage traditionnel où les terres sans usage agricole devraient progresser et susciter des projets d’installation de production d’énergie renouvelable (photovoltaïque)». Selon une étude de Stanford parue en 2008 – entachée selon ses auteurs d’une forte incertitude –, les terres agricoles abandonnées représenteraient 386 Mha à l’échelle mondiale, soit trois fois la surface agricole utile de la Chine.