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Campagne 2021 : à qui vont profiter les hausses ?

Les exploitations où l’on cultive céréales et protéagineux devraient mieux s’en sortir que les autres malgré un rendement décevant compte tenu du potentiel. Les exploitations d’élevage subissent, quant à elles, de plein fouet l’augmentation des coûts de l’aliment.

Bien que la conjoncture soit favorable en production laitière et viande bovine, laissant entrevoir une progression du résultat, «cela n’est pas suffisant pour contrer la hausse du coût alimentaire et celle du coût de revient en général», constate Christian Boddaert, expert conseil au Cerfrance PNS.
© Émeline Bignon

Comme chaque année à la même époque, après la moisson et tandis que les campagnes d’arrachage de pommes de terre et de betteraves battent leur plein, le Cerfrance Picardie Nord de Seine a dévoilé les principaux chiffres de la campagne 2021. Basés sur un échantillon de 1 000 fermes dans le département de la Somme, ces chiffres permettent d’avoir une estimation des performances de la «Ferme Somme» en fonction d’un contexte donné. Premier élément à faire l’objet d’une analyse et de commentaires, les marges provisoires de plusieurs cultures de vente couramment cultivées dans les plaines samariennes : blé, escourgeon, pois protéagineux, orge de printemps, colza, pois vert, lin textile, betterave sucrière, pommes de terre de consommation et fécule. En 2021, on constate ainsi un niveau de marge brute (MB) par hectare «en hausse pour toutes les cultures», rapportait Sébastien Daguenet, responsable du développement du marché agricole au Cerfrance Picardie Nord de Seine, le 22 septembre : 1 185 €/ha pour le blé avec un rendement de 84 qx et un prix de 200 €/t ; 1 073 €/ha pour l’escourgeon (83 qx, 190 €/t) ; 568 €/ha pour le pois protéagineux (35 qx, 250 €/t) ; 889 € pour l’orge de printemps (60 qx, 210 €/t) ; 1 301 € pour le colza (38 qx, 500 €/t), 1 250 € pour le pois vert, 2 358 €/ha pour le lin, 1 383 €/ha pour la betterave, 4 539 €/ha pour la pomme de terre de consommation (45 t/ha, 160 €/t). Seule la fécule, sur la base d’un rendement 49 t/ha et un prix de vente de 70 €/t voit sa marge brute être inférieure à 2020. 

 

Dur pour l’élevage

Alors que les cours des céréales progressent, ce qui profite aux exploitations qui en font leur cœur d’activité, les fermes d’élevage subissent cette hausse via l’augmentation du coût de l’aliment pour animaux. Bien que la conjoncture soit favorable en production laitière et viande bovine, laissant entrevoir une progression du résultat, «cela n’est pas suffisant pour contrer la hausse du coût alimentaire et celle du coût de revient en général», constate Christian Boddaert, expert conseil. Le résultat ? «Une baisse des marges brutes ainsi que des résultats des systèmes d’élevage». En termes de chiffres, le Cerfrance Picardie Nord de Seine table sur un produit brut total de 412 €/1 000 l en 2021 ; ce qui est plus qu’en 2020 (404 €/1 000 l) mais moins par exemple qu’en 2014 où le produit brut atteignait 422 €/1 000 l. La marge brute qui s’en dégage atteindrait 207 €/1 000 l, sur la base d’un produit lait de 350 €/1 000 l et d’un niveau de charges de 205 €/1 000 l ; ce qui est inférieur à 2020 où la marge brute était de 211 €/1 000 l.

En élevage porcin, conséquence de la hausse du coût alimentaire et du ralentissement de la demande chinoise, la situation n’est pas rose pour les éleveurs : le revenu par porc serait en effet négatif (- 5 €/animal), ce qui, logiquement, «ne permettra pas de rémunérer la main-d’œuvre familiale et les capitaux investis», constate le Cerfrance. Pour parvenir à l’équilibre, les exploitations porcines devront utiliser (dans la mesure du possible) les réserves réalisées en 2019 et 2020. 

 

Pas de fanfaronnade

Tous systèmes confondus, en termes de revenus, les experts de Cerfrance Picardie Nord de Seine tablent sur un revenu moyen 2021 de 62 000 € par exploitation. Ce chiffre, ils l’obtiennent sur la base d’une exploitation comptant 176 ha de SAU, un produit brut de 544 000 €, des charges réelles de 482 000 € et un EBE de 137 000 €. Derrière ce chiffre global, des disparités apparaissent en termes de revenu selon les systèmes. En tête du classement par le revenu agricole, on retrouve le système «pommes de terre de consommation», suivi par le système «plantes sarclées», puis «céréales». En queue de peloton, on retrouve sans grande surprise, et compte tenu du contexte cité précédemment, l’exploitation laitière.

En définitive, si l’année 2021 devrait être «bonne en moyenne sur le plan économique» pour tous les systèmes d’exploitation à l’exception des exploitations laitières et porcines, l’heure n’est donc pas à la fanfaronnade : «Les résultats économiques prévus permettront de couvrir les besoins financiers de l’année sans difficultés, même s’ils sont aussi en progression», rappellent ainsi Christian Boddaert et Sébastien Daguenet. Mais il faut d’ores et déjà penser à l’avenir : «La situation favorable de l’année ne doit pas occulter la prochaine réforme de la Pac (…) Même si elle ne prévoit pas une baisse automatique et drastique des aides, elle va les conditionner à des pratiques plus vertueuses pour la transition écologique.» Et va donc devoir s’accompagner de changements (donc de prises de risques) et d’investissements.

 

Investissements : vers une année record pour l’agriculture ?

Les crédits accordés par le Crédit agricole étaient en forte hausse sur le premier semestre 2021. Si la dynamique se poursuit, la banque s’attend à une année record en investissements. Le montant des crédits accordés aux agriculteurs français par le Crédit agricole a été en «très forte progression» sur le premier semestre 2021, rapportait ainsi la «banque verte» le 14 septembre. Les prêts ont atteint la somme de 4,1 milliards d’euros, soit 14,6 % de plus qu’au premier semestre 2020. «Si le rythme de progression se maintient, 2021 pourrait être une année record en termes d’attribution de crédit», prédit même le Crédit agricole. Le phénomène peut être étendu à l’ensemble du marché, compte tenu de la place du Crédit agricole dans le financement des agriculteurs (taux de pénétration de 82 % en 2020). Toutes les filières sont concernées à l’exception de la filière volaille (- 1,78 %), précise la banque. Les légumes représentent les filières les plus dynamiques (+ 40,48 %), devant les céréales (+ 21 %) et le porc (+ 19 %). Cet essor est en partie à mettre au crédit du volet agricole du plan de relance gouvernemental, dont les guichets ont été ouverts aux agriculteurs depuis la fin 2020. «Il y a certainement un effet plan de relance, mais cela n’explique pas que le montant des investissements se maintienne à un tel niveau depuis plusieurs années», analyse Jean-Christophe Roubin, directeur de l’Agriculture de Crédit Agricole SA. Les crédits se maintiennent à un niveau supérieur à 7 milliards d’euros depuis huit ans, s’enorgueillit en effet la banque. 

 

«Changement de modèle» 

Pour Jean-Christophe Roubin, la dynamique est à mettre au crédit d’un changement accéléré des pratiques agricoles, notamment sous l’effet des relations avec les industriels. «Il y a une prise de conscience du changement de modèle, qui se manifeste notamment au travers de la contractualisation», explique-t-il. «Derrière, il y a des revenus supplémentaires, sans quoi les agriculteurs n’investiraient pas. C’est cette meilleure visibilité que nous appelons depuis longtemps de nos vœux». Symboles de cette mutation, les investissements dans l’irrigation ou les bineuses. Une analyse qui porte à croire que le phénomène pourrait durer, même si les éléments d’incertitude ne manquent pas. «Cet essor est aussi dû en partie à un effet conjoncturel de rattrapage. L’année 2019 a été plutôt bonne, et les agriculteurs en ont profité pour investir», nuance Jean-Christophe Roubin. Autre élément d’analyse baissier : les coûts des matières premières, comme l’azote en grandes cultures ou l’alimentation animale en élevage, dont le prix a explosé cette année. Ils pourraient grever les capacités d’investissement. 

M. R. 

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