Cancer et pesticides : les agriculteurs en première ligne ?
Le docteur Pierre Lebailly présentait les résultats de l’enquête Agrican (agriculture et cancer) au CHU d’Amiens le 19 octobre. Les liens de causalité sont avérés, mais
une exposition aux pesticides serait moins dangereuse que de fumer.
Quelle que soit la cause du décès (cancers, maladies cardiovasculaires, maladies respiratoires, maladies digestives, accidents…), les agriculteurs français sont «en meilleure santé que le reste de la population française», affirme le docteur Pierre Lebailly. Le chercheur présentait les résultats de l’étude Agrican (agriculture et cancer), dont il est le coordinateur, vendredi 19 octobre, au CHU d’Amiens.
Cette étude, débutée fin 2005 et qui se poursuit jusqu’en 2020, vise à préciser le lien entre cancers et activités agricoles. Elle est menée sur 180 000 personnes affiliées à la MSA dans douze départements «représentatifs des activités agricoles de la France métropolitaine» : Calvados, Côte d’or, Doubs, Gironde, Isère, Loire-Atlantique, Manche, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Somme, Tarn et Vendée.
Et le résultat peut surprendre : «Les hommes et les femmes de la cohorte ont respectivement 27 % et 19 % moins de risque de mourir d’un cancer que la population générale du même département et du même âge», assure le professionnel. Les agriculteurs et agricultrices auraient en fait deux ans d’espérance de vie en plus que la population du même âge. Le risque de cancer serait même divisé par deux pour le cancer du poumon ou des bronches pour les hommes (et - 40 % pour les femmes).
Curieux, lorsqu’on constate que 3 millions de tonnes de produits phytosanitaires sont commercialisés chaque année dans le monde, qu’environ 80 000 t le sont en France, pour un chiffre d’affaires de 1,9 MdÄ… Et que les agriculteurs sont les principaux exposés à ces produits chimiques. S’agissant des expositions professionnelles : 9 % des femmes de la cohorte sont utilisatrices de pesticides contre 48 % des hommes, selon l’étude. La palme de l’utilisation la plus élevée est décernée à l’arboriculture fruitière.
Des agriculteurs non fumeurs
La raison de cette plus grande espérance de vie ? Les exploitants agricoles fumeraient beaucoup moins que le reste de la population française. 76 % des femmes et 42 % des hommes de la cohorte Agrican disent ne pas consommer de tabac. Or, «le tabagisme est un facteur risque très important des cancers, des maladies cardiovasculaires et respiratoires». Les agriculteurs seraient également moins sédentaires et bénéficient d’une meilleure prise en charge des pathologies.
Mais ces résultats sont à relativiser. «L’écart entre le nombre de fumeurs et la qualité de vie d’un agriculteur par rapport à un non agriculteur est si important que le risque de maladie devrait être encore plus faible chez l’agriculteur. Il ne l’est pas, car les produits phytosanitaires ont un impact», analyse Pierre Lebailly. Certaines atteintes sont d’ailleurs plus élevées dans le milieu agricole.
Plus de cancers de la peau
Les décès par mélanome malin de la peau sont légèrement supérieurs à la population générale (+ 1 % pour les hommes, + 6 % pour les femmes). «Les facteurs de risque tels que l’utilisation des pesticides et l’exposition à l’ensoleillement expliquent certainement ce constat.» Chez les femmes, les décès par cancer de l’œsophage (+ 8 %), de l’estomac (+ 5 %), du sang (+ 2 %) sont également plus fréquents.
L’étude révèle aussi que la récolte de pois fourragers entraînerait un excès de risque de ces cancers (poumons), que les personnes victimes d’intoxications aux pesticides, de même que celles qui cultivent des pommes de terre, présenteraient plus de risques de développer une bronchite chronique. Pour l’asthme, sont plutôt menacés ceux qui travaillent dans les prairies, en viticulture ou en arboriculture.
Alzheimer et Parkinson observées
Pendant deux ans, la vingtaine de chercheurs impliqués dans Agrican va poursuivre ses travaux pour préciser les impacts des produits phytosanitaires, notamment pour mesurer le lien de causalité des maladies dégénératives du type Alzheimer et Parkinson. «Et là-dessus, nous avons de sérieuses suspicions. Les agriculteurs sont très concernés par ces maladies», s’inquiète Pierre Lebailly.
Les pesticides domestiques souvent oubliés
«Il ne faut pas toujours prendre le champ voisin pour coupable d’avoir engendré une maladie.» Le docteur Pierre Lebailly, coordinateur de l’étude Agrican (Agriculture et cancer) souhaitait remettre les pendules à l’heure lors de sa conférence au CHU d’Amiens, le 19 octobre.
Car, des pesticides, il y en a parfois plus à l’intérieur de la maison que dans les cultures. Produits de traitement antiparasitaire du chien et du chat, bombes désodorisantes, fleur autocollante anti-mouche collée à la fenêtre, ou encore produit de traitement des cheveux appliqués à même le crâne, sont autant de produits nocifs pour la santé.
«Les carbamates, interdits depuis longtemps en milieu agricole, étaient des molécules très toxiques encore en vente libre dans les pharmacies sous forme de produit anti-poux», donne comme exemple le professionnel. Une communication auprès du grand public est donc encore nécessaire.