Ces exploitations qualifiées à tort de "fermes-usines"
L’ONG Greenpeace a lancé, le 26 novembre, une pétition contre l’argent public à destination des «fermes-usines». Plus d’une centaine de ces exploitations seraient dans la Somme… Mais les chiffres étaient erronés.
«Fermes-usines» : «Symbole de l’élevage industriel. Elles se définissent par un grand nombre d’animaux élevés sur une surface trop petite pour produire leur nourriture ou pour épandre sans risque le fumier qu’ils ont produit.» Voilà la définition que donne Greenpeace France des 4 413 exploitations qu’elle a décidé de pointer sur une carte, mise en ligne sur son site internet le 26 novembre. Une recherche par commune suffisait pour recueillir les noms des exploitants. Le but : inviter les personnes à signer une pétition contre l’argent public à destination de ces «fermes-usines».
Et, sur cette carte, la Somme apparaît en orange foncé : elle fait partie des départements comptant le plus de «fermes-usines» (entre cent et trois cents), après le Finistère, les Côtes d’Armor, le Morbihan et la Vendée (entre trois cents et six cent soixante fermes-usines chacun). Mauvaise surprise pour la plupart des élevages samariens ciblés, qui ne se reconnaissaient pas dans la description fournie sur le site.
D’où sortent ces données ? «Nous avons eu recours à la base de données la plus complète et disponible à ce jour, celle des installations classées du ministère de la Transition écologique et solidaire, explique l’ONG. Elle représente toutes les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) en bovins, porcins et volailles qui sont soumises à autorisation et en fonctionnement.»
Ils s’agirait donc des élevages qui dépassent les seuils suivants : plus de 750 emplacements pour les truies, 2 000 emplacements pour les porcs de production (de plus de 30 kg), de 40 000 pour les volailles, 400 vaches laitières et 800 animaux pour les élevages de veaux de boucherie et/ou bovins à l’engraissement. «Cela correspond à des fermes gigantesques au regard des moyennes françaises, qui étaient en 2014 de 40 vaches laitières, 665 porcs et en 2013 de 215 truies», précise Greenpeace.
Les conséquences de ce type d’élevage seraient nombreuses, tant sur l’environnement (concentration des pollutions, odeurs désagréables, importation d’importantes quantités de soja qui contribue à la déforestation au Brésil et en Argentine), que sur la santé (sur-utilisation d’antibiotiques), et que sur le volet économique (ces «fermes-usines» sont très souvent contrôlées par des entreprises ou coopératives, ce qui entrave notre souveraineté alimentaire).
Mais les fermes de la Somme qui dépassent les chiffres énoncés peuvent se compter sur les doigts de la main, ou presque. L’exploitation d’Hubert Bonvallet, à Tours-en-Vimeu, fait même partie de la liste des «fermes-usines»… Alors que l’élevage est inexistant depuis deux ans. «Nous avions quatre-vingt vaches laitières, et cent cinquante bêtes au maximum, en comptant les élèves», assurent les agriculteurs. La carte est en réalité truffée d’erreurs.
Des excuses présentées
Ce 4 décembre, Greenpeace faisait d’ailleurs part d’une note : «Suite à la publication de cette carte des «fermes-usines», nous avons reçu des messages nous signalant des incohérences entre les fermes référencées et les seuils actuellement en vigueur pour ICPE soumises à autorisation que nous voulions identifier. Nous sommes actuellement en train de recenser les modifications à apporter.» La fonction de recherche par commune est désormais désactivée.
Des excuses sont présentées «aux agricultrices et agriculteurs dont la ferme s’est retrouvée sur cette carte alors qu’elle n’aurait pas dû y être, et qui se sont sentis injustement pointés du doigt.» Quand bien même, pour ces agriculteurs, «le mal est fait».
Luc Vermersch, à la tête d’une porcherie de six-cents places, à Domart-en-Ponthieu, dont l’installation n’est plus classée depuis 2004, suite au départ des truies, n’a qu’un mot à la bouche : «honteux». «Ce qu’ils ont fait est honteux. On se fout de leurs excuses. Le plus important n’est pas de les avoir ou non, ces deux mille cochons, c’est qu’on puisse dénigrer cette activité !»
L’éleveur assure que le métier d’éleveur porcin est de moins en moins rentable, et que l’augmentation du cheptel, qui occasionne une charge de travail supplémentaire, n’est qu’une conséquence de cette perte de revenu. «De plus, la France n’est plus autosuffisante en viande de porc depuis 2012. Si les éleveurs se font taper dessus quand ils essaient de regrouper leurs élevages pour survivre, on le sera de moins en moins…»
«Un fonctionnement délétère»
Joseph Petit, lui, a d’abord pris cette «fausse accusation» à la rigolade. Avec 160 vaches laitières, il est loin du compte annoncé par Greenpeace. «Mais au fil des heures, j’ai eu une prise de conscience. Leur mode de fonctionnement est délétère !»
Coup de téléphone au ministère de la Transition écologique et solidaire. Plusieurs transferts de postes. Attente. Et, finalement, au bout du fil, une chargée de communication qui n’était pas au courant de l’affaire, et qui se dit contre cette carte. Malgré les excuses, Joseph Petit reste en colère contre Greanpeace. «Ils nous montrent du doigt sans savoir ce que l’on fait chez nous. On a beau avoir des fermes plus grosses que nos grands-parents, le bien-être animal est bien meilleur. Elles ne sont plus attachées, elles ont de l’espace…»
Greenpeace, elle, entend bien pouvoir mettre à jour sa carte. «Cet épisode prouve qu’aucune structure publique n’est aujourd’hui en mesure de donner aux citoyens une liste fiable des structures dépassant véritablement les seuils des ICPE soumises à autorisation (...). Cette opacité est inacceptable. Nous demandons plus de transparence sur ces données.»