Chez les Héripré, le goût, c’est une affaire de famille
La Maison Héripré a été ouverte à Amiens en 1962. Mais la famille avait déjà «sévi» sur la place amiénoise. Histoire d’une passion transmise de génération en génération.
De prime abord, on se demande quelle idée farfelue a traversé l’esprit de Daniel Héripré lorsqu’il a créé sa recette de boudin blanc au gâteau battu. Sucré, salé : pas vraiment une tradition picarde, pas plus que française d’ailleurs. L’histoire ne dit pas avec lequel Daniel s’est le plus battu - le boudin ou le gâteau ? - avant de mettre au point sa recette. Seule certitude, ce gourmand et gourmet à la fois ne l’a lancée qu’après avoir obtenu le goût qu’il cherchait. Sa patience a payé : on fait désormais la queue chez les Héripré pour acheter le boudin blanc au gâteau battu.
Gourmand et gourmet, disait-on, mais aussi affable : des qualités déjà présentes chez les parents de Daniel. Originaires du Pas-de-Calais, André et Julienne Héripré achètent une ferme de 62 ha, à Equennes-Eramecourt, en 1956. En ce lieu, le couple élève des volailles, des lapins et des dindes, qu’il vend sur les marchés. Le côté affable de Julienne, sa serviabilité et sa verve font qu’elle se distingue très vite des soixante-dix autres volaillers des Halles d’Amiens. Autre corde à son arc : pour ceux qui ne peuvent acheter une volaille entière, elle fait de la découpe.
Une nouvelle étape est franchie à la suite d’un hiver où elle se retrouve avec ses dindes sur les bras. Qu’à cela ne tienne, André transforme les dindes en rôtis, saucisses et paupiettes. C’est ainsi que les Héripré sont une des premières maisons à vendre des produits dérivés des volailles. Le succès est au rendez-vous. Dès lors, la charcuterie prend de plus en plus de place. Et, tout doucement, André et Julienne arrêtent l’élevage pour se consacrer à l’abattage et à la transformation.
Les racines des Héripré
Hors de question de négliger pour autant la qualité des produits et leur origine. Ils font le tour des fermes samariennes, comme celles des départements voisins pour sélectionner les meilleurs produits. Chez les Héripré, on ne plaisante pas avec le goût. Madame est à la vente, dans sa loge aux halles, comme au magasin, monsieur est à la fabrication et à la recherche permanente de nouvelles recettes. Un goût qu’il transmettra à son fils, Daniel. Guillaume, le petit-fils, héritera, lui, de sa grand-mère, son goût pour la clientèle et l’élevage.
C’est d’ailleurs à celui-ci qu’il pensait se consacrer au début de ses études agricoles. «J’ai toujours aimé les animaux, faire naître et bien élever. Chez moi, aujourd’hui, il y a plein de canards, même si c’est plus pour l’ornement. Mais si je le peux, je reviendrai vers l’élevage», dit Guillaume. Ce désir-là, son père,le partage également.
Les deux ont aussi la même passion pour la culture de la terre transmise par André et Julienne. Une terre qu’ils ont gardée et qu’ils travaillent toujours. «La terre, c’est mes vacances. J’adore la nature, c’est reposant. On est au calme dans cette ferme isolée et entourée de bois. Je ne peux pas m’en passer», confie Guillaume. «J’aime bien travailler la terre, voir la récolte pousser, observer le changement des couleurs des arbres, sentir les odeurs. Ce sont mes racines. C’est difficile à expliquer», ajoute Daniel. Pour cela, l’un comme l’autre se disent agriculteurs et non artisans-commerçants. «Nous disons agriculteurs, car nous sommes attachés à la production de l’élevage. On sait ce que c’est. On connaît les produits. On les sélectionne pour leur qualité, parce qu’on va travailler avec et, au final, on les mettra en valeur», résume Daniel.
Secrets de famille
Pour ce faire, la répartition des rôles chez les Héripré est réglée comme du papier à musique : Martine, la mère, est à la gestion et à la comptabilité, Daniel, le père, est à la création de recettes, et Guillaume, le fils, à la gestion des clients. Un vrai «trio infernal qui a marché du feu de Dieu durant des années», commente Guillaume. Mais, aujourd’hui, l’heure est venue pour celui-ci d’envisager le départ de son père. Aussi commence-t-il à être plus en retrait sur la gestion de la clientèle pour se concentrer sur la fabrication des produits.
Si le passage de relais se fait tranquillement, la formule, elle, ne changera pas car, chez les Héripré, on «est attaché à la région, aux bons produits et à des produits 100 % picards», affirme Guillaume. La ficelle picarde, le boudin blanc au gâteau battu, l’andouille à la ficelle, le foie gras au macaron, le pâté de canard d’Amiens, la saucisse de l’Aisne au comté (ils adorent la Franche-Comté, ndlr) trôneront toujours dans leur magasin, comme dans leur loge aux Halles. «Toutes les bases de fabrication sont celles inventées par mon grand-père. C’est le goût Héripré, disent certains. C’est aussi notre secret de famille. Nous ne dévoilons aucune de nos recettes. Ce que je peux vous dire, c’est que les produits sont 100 % naturels», raconte Guillaume. Le secret est si bien gardé, que certains de leurs produits ne sont toujours pas copiés.
Si la base est toujours la même, pour conserver et attirer le client, les Héripré passent cependant leur temps à innover. Comme son père le faisait, Daniel dévore tous les livres et magazines de cuisine pour trouver l’inspiration. De même, au volant de son camping-car, il sillonne les routes de France et d’Europe avec son épouse pour voir, découvrir et goûter les produits que font les autres. «La cuisine me passionne autant que les produits. J’aime faire des expériences en cuisine. Mais bon, ce n’est pas toujours réussi», dit-il en riant.
Que prépare-t-il en ce moment ? Secret. Martine, l’épouse, dit avoir vu de la crème de speculoos dans les parages... Et de livrer un secret de famille. «Daniel et Guillaume ne sont pas souvent d’accord. C’est un conflit de génération. Une fois cela dit, ils ont la passion du goût et la même rigueur dans le travail. Ils aiment savoir ce qu’ils ont dans leur assiette quand ils mangent. C’est pour cela qu’ils remontent à la source et que 95 % de nos produits sont faits maison.» Et ce n’est pas près de changer !