Christophe Buisset : «Comment anticiper la Pac en Hauts-de-France ?»
Christophe Buisset, président de la Chambre d’agriculture régionale des Hauts-de-France, réagit aux premières orientations de la Pac.
Les premières orientations de la Pac ont été formulées par le commissaire européen Phil Hogan. Que vous ont-elles inspiré ?
D’abord du flou. La Pac a eu à sa création une vraie fonction multiple : nourrir le peuple européen, assurer une stabilité politique au lendemain d’une deuxième guerre épouvantable, et assurer une indépendance face aux autres puissances. On n’est certes plus sur ces prérequis, mais ce qui m’inquiète, c’est que c’est difficile de lire ce qu’est le projet européen actuel incarné par la Pac. Si les pays ont des attentes différentes, la Pac ne peut ni être forte, ni être lisible, tant pour les agriculteurs que pour les citoyens. La deuxième réaction a été une forme de crainte : faute d’avoir une zone commune forte, l’Europe propose une forme de latitude à chaque Etat membre, qu’on va appeler subsidiarité ou renationalisation… Pour moi, cette latitude laissée aux Etats Membres ne présage rien de bon pour la France, encore moins pour les Hauts-de-France. Je m’explique : renationaliser suppose que l’Etat mène une politique agricole forte. Ça n’est pas le cas en France à l’heure actuelle ; quant à l’usage de fonds, je n’ose plus croire qu’ils repartiront à l’agriculture. Enfin, toutes ces latitudes creusent les différences entre les pays qui misent sur leur agriculture comme levier de développement économique et social, et ceux, comme nous, qui sont en atermoiement permanent. En un mot, je préfère quand la Pac est vraiment commune, et qu’elle laisse peu d’espace aux fantaisies locales.
Vous n’êtes guère optimiste…
C’est une analyse simple des grandes lignes. Elles ne sont pas figées. De plus, on croirait que la Pac est aujourd’hui devenue une charge, une contrainte pour l’Europe. Le seul souci, c’est le budget. Moins 3, moins 4, moins 5, moins 10 %. On entend tout, et quand on sait que le revenu est inférieur aux aides aujourd’hui, on a du mal à y voir clair. Ajoutez à cela la convergence des aides… notre région a déjà donné. Plus que le curseur du budget, ce qui compte à présent, c’est ce qu’on va en faire. Et là, on voit d’autres leviers apparaître, moins directs.
Vous pouvez détailler ?
Les principes de convergence des aides, et à présent de plafonnement, quand on les replace dans le contexte économique actuel, ça a une conséquence directe : qu’on le veuille ou non, avec les aides à l’hectare, depuis 1992, l’Europe a financé au travers de la PAC une restructuration de l’agriculture par l’agrandissement. Aujourd’hui, l’équation n’est plus solutionnable par la taille : les aides ne suffisent plus à sécuriser un schéma d’agrandissement, alors que ça a été, qu’on le veuille ou non, la solution la plus simple et la plus sécurisée, et ce durant une génération. Du coup, il faut reprendre les fondamentaux : la valeur ajoutée de chaque entreprise.
Quel rapport avec la Pac ?
Il est direct par le second pilier, et les aides au développement des exploitations. C’est à ça que les aides doivent servir. On a le choix : entretenir avec les aides les comptes de résultat des fermes, avec des lignes d’aides qui sont en tendance baissières, ou utiliser une partie de ces fonds pour moderniser, intensifier, développer verticalement chacune des exploitations. C’est un discours de vérité que nous devons tenir. Même si c’est plus ardu, compliqué, parfois pas aidé par telle ou telle administration, c’est une voie que l’on se doit d’emprunter.
Vous parlez de valeur ajoutée, mais aujourd’hui la Pac incarne la volatilité des prix, et donc une réelle difficulté à valoriser son produit…
Regardons les choses en face : les consommateurs veulent davantage choisir leur mode d’agriculture. Les actions syndicales de cette semaine résument bien ce changement, car les consommateurs reprennent à leur compte le slogan «n’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas». Avec 80 millions d’êtres humains parmi les plus fortunés de la planète à
300 km, notre bassin de production garde un avantage concurrentiel, et d’une façon ou d’une autre, il faudra bien que notre production tire avantage par le prix ou par la préférence de notre responsabilité sociale et environnementale. Manger «Hauts-de-France», ça a une valeur, dans les deux sens du terme. Le consommateur peu à peu y est prêt. Ca finira par se ressentir. Et entre les filières traditionnelles, comme dans les nouvelles filières ou l’énergie, il y a de la valeur ajoutée à reconquérir, en adaptant nos fermes.
Quelle peut-être l’implication des chambres d’agriculture dans cette perspective ?
Le rôle des chambres, c’est d’aider les agriculteurs à faire du développement économique sur leurs territoires. C’est leur raison d’être. Et pour cela, face au second pilier, il y a deux axes. L’un vis-à-vis des agriculteurs, l’autre vis-à-vis de la construction des programmes. Pour les programmes, nous aurons achever une mue. Avec d’un côté l’arrivée des Conseils régionaux aux commandes de l’administration des programmes européens en interaction avec l’Etat, et de l’autre la fusion des Régions, rien n’a été simple pour la Pac précédente : deux programmes de développement ont coexisté, parce que le pas de temps était ainsi fait, et leur rapprochement est laborieux, parfois source d’inégalités sur le territoire. Lors de la prochaine mandature, les règles de travail seront établies avec nos interlocuteurs. C’est un plus. Ensuite, côté agriculteurs, il faut être facilitateur de la construction et du financement du projet. C’est simple, mais crucial !
L’Etat n’aura-t-il plus son rôle à jouer ?
Si, bien sûr, car les programmes sont codifiés «à deux mains», donc cofinancés et correctement articulés. Mais on a par ailleurs du mal à voir là où l’Etat engage ses compétences publiques au service des agriculteurs. On entend partout que l’Etat veut réduire ses coûts de fonctionnement, et même certains préconisent le transfert de missions de service public sur les chambres d’agriculture. Ce serait une façon de faire porter une charge de plus aux agriculteurs, tout en étant moins impliqué au niveau national. Si ça se résume à un transfert de charges, je ne l’accepte pas. Pire encore si on transférait aux chambres des missions de contrôle sur des sujets qui ont été arbitrés sans une parcelle de bon sens. En revanche, si on peut par certaines missions aider à accélérer les processus d’autorisations pour les projets agricoles, pourquoi pas. On constate aujourd’hui des différences de traitement de dossiers administratifs d’un département à l’autre parce que les doctrines, pour ne pas dire les humeurs de certains agents diffèrent… C’est inacceptable, contreproductif et démoralisant pour les agriculteurs. Si on revient à la Pac, tout doit être polarisé pour aider les agriculteurs, de l’émergence du projet jusqu’à sa réalisation, en passant par le financement et les autorisations.
Dans cette Pac, quelles sont les autres clés de réussite pour les agriculteurs ?
Pour moi, c’est autant dans la Pac que dans l’époque dans laquelle on vit. Nos réseaux changent, et hors d’un réseau, on fait du surplace, donc on recule. Pour qu’un agriculteur se développe, quelle que soit son mode de production ou de commercialisation, il doit rester en curiosité de ce qui se passe autour de lui. Il nous faut activer de nouvelles formes de réseau, moins géographiques, moins physiques, mais tout aussi en éveil. Des réseaux entre agriculteurs, mais aussi entre intervenants techniques, économiques et mêmes sociaux qui travaillent avec les agriculteurs. Je pense que la Pac doit pouvoir permettre le financement de cet environnement des agriculteurs, et que les Chambres d’agriculture doivent pouvoir permettre de bâtir et de faire vivre ces réseaux.