Christophe Buisset (Groupama) : «La gestion des risques mérite mieux»
Agriculteur à Aveluy, président de Groupama 80 et membre du conseil de la fédération nationale du premier assureur du monde agricole, Christophe Buisset revient sur la gestion du risque en agriculture en appelant à une réforme du système en vigueur.
Agriculteur à Aveluy, président de Groupama 80 et membre du conseil de la fédération nationale du premier assureur du monde agricole, Christophe Buisset revient sur la gestion du risque en agriculture en appelant à une réforme du système en vigueur.
En tant qu’agriculteur samarien et élu de la caisse régionale de Groupama Paris Val de Loire, quel état des lieux dressez-vous localement de l’épisode de gel qui s’est abattu sur la France en milieu de semaine dernière ?
Dans les départements proches de nous, c’est-à-dire l’Oise et la Somme, tout porte à croire aujourd’hui que les dégâts en grandes cultures sont moins importants qu’ailleurs. Dans l’Oise, par exemple, il est encore trop tôt pour dire s’il y aura des pertes. Pour les céréales, nous n’en sommes qu’au stade 1 nœud, donc il n’y a pas d’inquiétude à avoir pour le moment. En colza, on peut s’attendre à quelques avortements, mais le pouvoir de compensation de la plante est important. Il faudra seulement être vigilant sur des colzas déjà mal en point avant l’épisode de gel. En betteraves, les semis ont été réalisés dans de très bonnes conditions. Les premiers ont l’air d’avoir bien résisté. Pour les semis réalisés entre le 22 et le 25 mars, on est au stade cross cotylédon. Il faudra donc voir dans les prochains jours. Pour les semis réalisés après cette date, il n’y a pas d’inquiétude. Dans la Somme, les dommages semblent moins présents, avec des semis plus tardifs en betteraves. Sur les cultures d’hiver, il n’y avait pas de pertes constatées fin de semaine dernière. Le lin d’hiver a déjà souffert en début d’année. Pour le lin de printemps, il n’y a pas de problème particulier puisqu’il n’est pas encore levé. En ce qui concerne les orges de printemps, il faut rappeler qu’il n’y aura pas de prise en charge si les dates contractuelles n’ont pas été respectées. Enfin, pour le colza, on s’attend quand même à quelques dégâts qui vont s’ajouter à des problèmes parasitaires.
Depuis la fin de semaine dernière, comment se mobilise la caisse régionale pour répondre aux demandes sans doute nombreuses des sociétaires ?
Tous nos salariés, qu’ils soient experts ou conseillers, sont sur le pont. S’il y a des dégâts, il faut les déclarer au plus vite. La priorité est portée sur les betteraves pour permettre des ressemis quand cela est nécessaire. Mais cela ne veut pas dire que nous ne nous préoccupons pas des autres cultures. Pour faire face à l’afflux d’appels, la fédération de la Somme a d’ailleurs proposé que ses experts aillent en renfort, dans d’autres départements.
Comment accueillez-vous les déclarations récentes du gouvernement sur la prise en charge des dégâts ? Le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie puis le Premier ministre Jean Castex ont d’abord évoqué l’activation du fonds national de garantie des calamités agricoles, avant d’évoquer la création d’un fonds supplémentaire exceptionnel de solidarité. Qu’en est-il ?
Depuis quelques jours, l’État explique qu’il est au côté des agriculteurs sinistrés et qu’il va mobiliser de l’argent. Pour ce qui est du fonds national de garantie des calamités agricoles, ne peuvent en bénéficier que les cultures qui ne sont pas assurables. Quand l’État annonce qu’il va ouvrir le fonds des calamités agricoles, il faut rappeler que c’est l’argent des agriculteurs qui va être distribué puisque ce fonds est alimenté par une part des contrats d’assurance souscrits par les agriculteurs. Chaque année, c’est 5,5 % des cotisations d’assurance que les agriculteurs paient qui y vont. Sur le papier, la mise en place d’un fonds exceptionnel de solidarité est une bonne chose, mais je m’interroge sur la manière dont il va être alimenté. Je crains aussi que cela décourage ceux qui assurent leurs cultures. Celui qui est assuré et qui intègre la notion de gestion des risques dans son exploitation doit être mieux couvert que celui qui n’assure pas son activité. C’est une question de logique.
Plusieurs voix ont souligné au cours des derniers jours que les agriculteurs n’assuraient pas suffisamment leurs cultures, notamment contre l’aléa climatique. Qu’en est-il et comment l’expliquer ?
C’est un fait, encore beaucoup (trop) d’agriculteurs sont frileux quand on leur parle d’assurance pour leurs futures récoltes. Pourtant, depuis plusieurs années, on voit bien que les accidents sont de plus en plus nombreux, sous l’effet du changement climatique. Le problème, c’est que nous n’intégrons pas suffisamment ce risque dans notre profession. Quand j’étais jeune agriculteur, c’est un sujet qui était déjà évoqué. J’ai 57 ans et j’ai l’impression que nous n’avons pas beaucoup avancé. Il faut travailler à une autre façon de faire. Si on ne change pas le système, il ne tiendra plus longtemps.
La présidente de la FNSEA, Christiane Lambert, plaide pour une politique de gestion des risques plus ambitieuse. Qu’en pensez-vous ?
Je suis évidemment d’accord, mais encore faut-il que les actes suivent. Il faut des moyens, mais où va-t-on les chercher ?
"Je sais que cela fait grincer, mais il faut aller chercher une petite partie dans le premier pilier de la Pac de ces fonds nécessaires aux agriculteurs"
Comment rendre plus incitatif le recours à des dispositifs assurantiels pour protéger les cultures contre d’éventuels dégâts ? La politique agricole commune a-t-elle un rôle à jouer ?
La gestion des risques mérite mieux que ce qu’elle est aujourd’hui. Je sais que cela fait grincer, mais je pense qu’il faut aller chercher une petite partie dans le premier pilier de la Pac ces fonds nécessaires aux agriculteurs pour qu’ils s’assurent plus facilement. Pour certains, il ne faut pas toucher au premier pilier, mais je trouve au contraire qu’il s’agirait d’un bon levier économique plutôt que de conditionner ces aides à plus de verdissement.
Ce n’est pourtant pas l’orientation qui semble être prise aujourd’hui quand on évoque l’avenir du premier pilier ?
La réforme de la Pac 2023-2027 est encore en discussion. Il y a donc encore la possibilité de faire des propositions. Mais il est vrai qu’on ne ressent pas un grand engouement. On en est encore à attendre que le risque nous tombe dessus.
Assurer ses récoltes à venir doit-il devenir obligatoire ?
Je n’y suis pas favorable. Cela doit être volontaire, mais il faut donner un coup de pouce à celui qui accepte de s’assurer.