Comment dynamiser le commerce des agneaux AOP des prés salés ?
Les agneaux AOP des prés salés de la Baie de Somme sont un produit d’exception de la région. Mais leur commerce n’est pas une mince affaire…
Des agneaux qui se régalent de puccinelle, de salicorne et d’aster maritime, fruits d’une chair rose groseille et d’un goût exceptionnel en bouche. Depuis 2006, ces agneaux des prés salés de la Baie de Somme bénéficient d’une AOP (Appellation d’origine protégée). Une vraie reconnaissance pour un produit authentique et intimement lié au terroir picard. Ils devraient s’arracher comme des petits pains. Seulement voilà, des broutards peuvent souvent rester sur les bras des éleveurs.
Premier constat : le commerce se fait presque uniquement dans les Hauts-de-France et à 75 % en Baie de Somme. «Pour mon commerce, j’ai beaucoup misé sur l’agneau des prés salés. Sans lui, je perds un sacré chiffre d’affaires, assure Frédérique Farand, gérant de la charcuterie «Au coin goûteux» de Saint-Valéry-sur-Somme. Or, la Baie de Somme attire les touristes de court séjour, principalement en avril, mai et juin, alors que l’agneau des prés salés, lui, n’est commercialisé qu’à partir de début juillet.» Au printemps, tout le monde réclame de l’agneau, et le marché ne suit pas. L’été, il y a plus d’agneaux que de mangeurs.
Un cahier des charges strict
Délicat de faire autrement, d’après les onze éleveurs de la Baie de Somme, coincés entre un cahier des charges très strict et des conditions climatiques parfois défavorables. «L’agneau doit rester au maximum quatre-vingt-dix jours en bergerie, puis doit brouter au minimum soixante-quinze jours dans les Mollières (prés salés en picard, ndlr). Un coefficient de marée supérieur ou égal à 102 nous oblige à ramener les moutons en zones de repli», explique Roland Moitrel, président de l’Association de défense de l’AOP prés salés de la Baie de Somme.
Actuellement, les moutons sont à la bergerie depuis le 1er décembre et jusqu’au 15 mars environ. Pour les éleveurs, des agneaux sortis trop tôt, alors que la flore n’est pas encore développée, mourraient de faim. Certains lots d’herbage attribués aux éleveurs (puisque les prés salés appartiennent à l’Etat), les plus reculés de la baie, pourraient, cependant, permettre d’avancer une partie de la production de quinze jours.
Gagner le marché parisien
Guy Lagache, distributeur grossiste de Friaucourt, dresse le même constat. Lui, a bien essayé de vendre la viande à Paris, où les locaux sont prêts à payer le prix fort pour un produit de qualité. Mais les agneaux samariens sont trop gros pour les fins gourmets : «Ils pèsent souvent plus de 20 kg. Alors que pour les acheteurs parisiens, le poids idéal est de 16 kg !» Là encore, le sujet est délicat. «Les éleveurs sélectionnent génétiquement les béliers à produire de grands agneaux, assez forts pour pouvoir sauter les trous d’eau. Pour qu’ils aient assez de viande, ces moutons doivent atteindre au moins 20 kg. Il faudrait travailler sur le choix des races», explique Bruno Leclerc, technicien de l’Association ovine Nord Picardie (AONP).
Le pari n’est pourtant pas impossible. En atteste Yannick Frain, président de l’association voisine des éleveurs d’agneaux des prés salés du Mont-Saint-Michel, eux aussi AOP. «Je sais que les conditions ne sont pas les mêmes ici que chez nous, mais nous avons travaillé à produire une partie de nos agneaux plus petits, à 16 ou 18 kg, pour satisfaire le marché parisien. Et ça marche. Nous manquons même d’agneaux !» Les Normands et les Bretons parviennent également à sortir une partie des troupeaux plus tôt en saison, pour commercialiser les premiers agneaux au 10 ou 15 juin.
Ils sont aussi parvenus à régler le problème de l’apport d’eau douce, en obtenant l’autorisation de disposer des bacs à eau dans les prés salés. «Ce serait une bonne solution pour nous, acquiesce Roland Moitrel. Car nos agneaux peuvent s’épuiser à parcourir des centaines de mètres pour trouver l’eau douce qui se fait de plus en plus rare.» L’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité), en charge du dispositif des Siqo (Signes officiels de la qualité et de l’origine), dont l’AOP, se dit ouvert aux discussions pour des éventuelles modifications du cahier des charges.
Des subventions à la clé ?
Une meilleure communication pourrait, enfin, booster le produit d’exception encore trop peu connu hors région. Site internet, présence sur les réseaux sociaux, flyers, présence dans les foires et salons agricoles… Tout est à faire. La fête du mouton a été relancée en 2017, après une dizaine d’années sans édition, et devrait l’être à nouveau en 2018. La Région Hauts-de-France souhaite justement développer et soutenir les Siqo existantes et émergentes. Ne reste qu’à établir une présentation d’un projet pour tenter d’obtenir une subvention pour trois ans.
Les éleveurs doivent se réunir prochainement pour déterminer les changements de pratique à adopter… Pour que les gigots d’agneaux des prés salés puissent être, un jour, dégustés dans toutes les assiettes de France !