Consommation : «Les agriculteurs doivent s’adapter plus que jamais»
Qui sont, aujourd’hui, les consommateurs ? De quelle façon les agriculteurs peuvent-ils répondre à leurs
attentes ? Réponse avec Eric Birlouez, ingénieur agricole
et sociologue.
Quelles sont les attentes de la société française par rapport à l’alimentation ?
Avant toute chose, il est important de préciser que la société française a profondément changé ces cinquante dernières années, et pas seulement sur le plan de l’alimentation. Non seulement les modes et rythmes de vie ont été considérablement bouleversés, mais la société s’est aussi urbanisée. 80 % des Français vivent désormais dans un espace urbain. Toutes ces mutations ont eu un impact sur l’alimentation. De ce fait, les pratiques alimentaires ont évolué, mais aussi, plus généralement, un nouveau rapport à l’alimentation est apparu.
Une fois cela précisé, jusqu’aux années 1980, les attentes étaient simples. Elles portaient à la fois sur la sécurité alimentaire, la santé, le service et la satisfaction, au sens de la saveur des aliments. Depuis, les attentes se sont démultipliées et sont «éclatées», à savoir tant sur le type de produit consommé (viande ou pas, prêt à manger, frais à cuisiner, etc.) que sur les attentes d’un individu, qui peuvent varier au cours d’une même journée, de la semaine, voire du mois. Cela rend les choses difficiles pour cerner le marché, et donc les productions que les agriculteurs peuvent proposer.
Quand on évoque ces nouvelles attentes, il faut aussi prendre en compte celles en lien avec l’environnement, le bien-être animal, la volonté d’être acteur dans ses choix alimentaires… Reste que les attentes «historiques», soit le prix, la sécurité alimentaire, la praticité et le goût sont toujours importantes, voire même prioritaires.
Il n’empêche, depuis trois à quatre ans, selon les sondages réalisés par différents observatoires, les Français prennent de plus en plus conscience de la valeur de l’alimentation. Autrement dit, l’alimentation a un prix, particulièrement sa qualité. Ce qui n’est guère surprenant en sachant que manger est un plaisir en France, ce qui n’est pas forcément le cas dans d’autres pays.
Que révèlent ces nouvelles attentes ?
Celles-ci révèlent un fort besoin de réassurance, d’autant que la filière alimentaire est perçue comme une sorte de boîte noire avec tous ses intermédiaires, sa complexité, sa technologie déshumanisée et son opacité. Ce sentiment est renforcé par l’abondance du choix des produits, qui crée un effet anxiogène, et les crises alimentaires que l’on a connues ces dernières décennies. Ce qui explique aussi le regain d’intérêt des consommateurs pour les circuits courts.
Outre l’aspect rassurant pour le consommateur de privilégier les circuits courts, quelles sont ses autres motivations ?
Même si les circuits courts ne représentent que 10 % du marché agricole total, cela progresse d’année en année. C’est vraiment une tendance lourde, qui s’inscrit dans le mouvement dit «locavore». Pour les consommateurs, porter leur choix sur les circuits courts, c’est faire marcher l’économie locale, aider les producteurs locaux et faire en sorte que ces derniers aient une rémunération supérieure à celle qu’ils auraient en travaillant avec des intermédiaires. De plus, le circuit court, c’est une échelle que l’on maîtrise face à un système de mondialisation qui nous échappe totalement. Cela leur donne aussi l’impression de pouvoir mieux résister aux crises alimentaires. Manger local, cela répond enfin à une quête de sens, permettant aussi aux consommateurs de devenir acteurs de la société.
Quelles sont les attentes qui émergent dans ce contexte ?
Les consommateurs veulent connaître de plus en plus la composition des produits qu’ils mangent, ainsi que leur provenance, y compris celle des ingrédients et, dans une moindre mesure, les pratiques agricoles.
Face à tous ces changements, comment les agriculteurs peuvent-ils s’adapter pour répondre à ces attentes ?
Les agriculteurs n’ont pas le choix. Ils doivent s’adapter, et plus que jamais. Des opportunités existent telles que le bio et le local. Ce sont réellement des tendances lourdes dans les attentes des consommateurs. Soyons clairs, tous les agriculteurs ne peuvent pas s’y engouffrer, mais cela peut être une opportunité pour certains d’entre eux. Dans tous les cas, quelle que soit la stratégie retenue, les agriculteurs devront changer leurs pratiques agricoles pour accroître la qualité nutritionnelle des aliments, qui est une attente forte des consommateurs. Cela touche à la fois à l’usage des antibiotiques dans les élevages, les conditions de vie des animaux, leur transport, comme l’utilisation des produits phytosanitaires, etc.
Par ailleurs, face aux remises en cause de leurs pratiques, les agriculteurs doivent communiquer sur celles-ci. La communication doit être entendue au sens étymologique du terme, soit mettre en commun et entrer en relation avec l’autre. C’est donc proposer un dialogue, qui implique d’expliquer, mais aussi d’écouter, d’accepter la contradiction, de prendre en compte les interpellations et les remises en cause. Les agriculteurs doivent comprendre la sensibilité, les modes de pensée et les inquiétudes des consommateurs, et savoir développer des arguments positifs sur leurs pratiques, en montrant notamment la réalité de leur activité. C’est un discours de vérité qu’attendent les consommateurs.
Chiffres clés
- 80 % de la population française vit dans une zone urbaine
- 3 % : c’est le pourcentage de la population active agricole aujourd’hui. Elle était de 31 % en 1955
- 53 % des Français déclarent avoir modifié significativement leur consommation de certains aliments, selon une étude de l’Observatoire société et consommation de 2017
- 55 % des Français sont plus vigilants sur la qualité et 45 % sur le prix, selon une enquête OpinionWay de 2017