Crise du beurre : la guerre des prix fait rage
Si l’envolée du prix mondial en est l’origine, la «pénurie» dans les rayons relève de causes bien plus complexes.
Les raisons de cette situation sont multifactorielles. On peut vite écarter l’argument de la baisse de la collecte laitière. Celle-ci reste modérée à - 1,2 % pour la France depuis le début de 2017, selon FranceAgriMer, et dans les mêmes proportions pour d’autres pays de l’Union européenne comme l’Allemagne (- 1,1 %) ou les Pays-Bas (- 1 %).
Au niveau mondial, on assiste plutôt à une légère hausse aux Etats-Unis et en Nouvelle-Zélande et une stabilité en Australie. Certains mettent en avant une moindre incitation de la part des producteurs à produire de la matière grasse dans le lait.
Modes de contractualisation inadaptés
Cette crise du beurre a pris ses racines sur des «fondamentaux» du marché tout ce qu’il y a de plus classique. Le prix européen du beurre vrac connaît un pic actuel à 7 000 € la tonne, contre 4 000 € il y a un an et 2 500 € en 2015. En effet, alors que la production mondiale de beurre devrait augmenter en 2017 de 7 000 tonnes, la consommation, elle, «est attendue en hausse de 50 000 tonnes», d’où un «déséquilibre entre l’offre et la demande mondiale en matière grasse», explique Pierre Begoc, directeur des affaires internationales chez Agritel.
Dans le même temps, au niveau mondial, la production de beurre est en légère baisse (- 4 %), notamment en Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, la hausse de la consommation américaine de beurre fait que les Etats-Unis sont moins présents sur le marché mondial. Mais ce n’est pas cela qui explique la pénurie de beurre dans les supermarchés français. «La raréfaction de beurre dans les linéaires des GMS est aussi la conséquence de modes de contractualisation qui ne sont pas adaptés à la volatilité touchant les matières premières», explique Agritel. Les industriels sont incités à «aller chercher une meilleure valorisation à l’export plutôt que via des engagements à prix fixes avec la grande distribution française qui ne permettent pas d’ajustement de prix en fonction des cours mondiaux».
Grande distribution…
Depuis la loi de modernisation de l’Economie (LME), adoptée en août 2008, les fournisseurs doivent envoyer leurs conditions générales de vente (CGV) aux centrales d’achat des distributeurs avant le 30 novembre de chaque année. L’ensemble des déterminants du prix final facturé aux centrales d’achat doit être discuté avant une période limite fixée au 1er mars. «En cas de forte variation du prix en cours d’année, il est prévu des clauses de revoyure du contrat. Il y a obligation de renégociation, mais les parties ne tombent pas forcément d’accord», explique Hugues Beyler, directeur agriculture de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).
Courant 2016, le prix du beurre avait déjà commencé à augmenter, mais pas suffisamment pour que les industriels changent leur stratégie commerciale. En revanche, en 2017, la flambée des prix s’est amplifiée chaque mois. Et les industriels ont reçu une fin de non-recevoir quant à une éventuelle renégociation des prix. Un petit nombre d’enseignes a accepté de passer une hausse dans le courant de l’été, mais autour de 10 % seulement.
Fabricants de beurre
Les fabricants de beurre s’approvisionnent en crème auprès des fabricants de yaourts qui utilisent du lait ½ écrémé (dont 60 % de la crème est extraite). «Au printemps, cette crème s’est retrouvée à un prix de marché de 7 €/kg d’équivalent beurre alors que la grande distribution n’acceptait pas d’acheter le beurre davantage que 4,50 €/kg au printemps, puis 5 €/kg en été», explique Gérard Calbrix, directeur des affaires économiques de l’association de la transformation laitière française (Atla). Les fabricants de beurre ont alors assuré leurs contrats sur les marques nationales. En revanche, à partir du printemps, ils ont dénoncé leurs contrats sur les marques de distributeurs (MDD).
«Or, en France, quand on dénonce un contrat, on a une obligation de continuer à livrer pendant trois mois, ce qui nous a conduit jusqu’à l’été», poursuit-il. C’est pourquoi la crise n’est intervenue qu’à l’automne. Et les laiteries se sont tournées vers le marché spot et vers l’export, marché nettement plus rémunérateur. Ainsi, selon les dernières données des douanes disponibles, en août 2017, les exportations françaises de crème conditionnée ont augmenté de 19 %, celles de beurre de 5 % et celles de poudre grasse de 6 %, par rapport à août 2016.
«Dindons de la farce»
Cette crise du beurre fait dire à André Bonnard, secrétaire général de la FNPL, que «rien ne change, rien ne bouge. Nous sommes toujours dans la guerre des prix». Selon lui, la LME oblige les fournisseurs à fournir le marché alors que les distributeurs ont le droit de ne pas réévaluer les prix. Les industriels leur font payer sur les marques distributeurs parce qu’aujourd’hui ils sont dans un rapport de force favorable sur la matière grasse. «Au final, les dindons de la farce sont toujours les producteurs alors qu’ils sont totalement hors du jeu.»
Pour sortir de ce conflit commercial entre la distribution et les industries laitières, Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, a demandé aux distributeurs de «passer des hausses de prix auprès des transformateurs».
Une déclaration qui est «la phrase de trop» pour la FNPL. «Le ministre est en dehors des réalités, s’insurge André Bonnard, de la FNPL. L’interprofession n’a pas le droit de discuter des prix, du fait du droit de la concurrence. Il ne s’agit en rien d’un problème interprofessionnel, mais de relations commerciales entre deux types d’opérateurs.»
«Nous sommes favorables à la prise en compte du coût de production. Ceci doit s’accompagner d’une réelle transparence de la part des industriels, notamment sur le mix produit», insiste, de son côté, Hugues Beyler de la FCD, qui demande aussi d’intégrer l’interprofession laitière. C’est dans cet esprit qu’une charte devrait voir le jour, engageant les producteurs, les transformateurs et les distributeurs à respecter «l’esprit des Etats généraux» dans les prochaines négociations commerciales, faute de texte législatif. La signature serait imminente.