Des faisans nourris aux larves vivantes
Les larves de mouches d'Innovafeed étaient jusque là à destination de l'aquaculture. L'entreprise du Pas-de-Calais espère développer ses marchés. Une expérimentation a été menée dans un élevage de faisans de la Somme.
Dans la nature, un faisan consomme 40 % de larves. C'est ce constat qui a incité la société Innovafeed à expérimenter une nouvelle formule d'alimentation pour les faisans d'élevage. L'entreprise, basée à Gouzeaucourt (62) et à Nesle (80), est spécialisée dans l'élevage de l'hermetia illucens (mouche soldat noir), pour en tirer une source de protéine destinée à l'alimentation animale. «Jusqu'ici, nous produisons de l'huile, surtout à destination de l'aquaculture. Les larves vivantes pourraient être un nouveau débouché», explique Grégoire Belegaud, chef de produit.
Les heureux élus sont 2 500 faisans communs de Nicolas Dassonville, gérant de la société d'élevage Pipra à Rumingy, au sud d'Amiens. Il s'agit d'un élevage de faisans communs et vénérés, ainsi que de perdrix rouges et grises, vendues pour le repeuplement ou pour des lâchers lors de la saison de chasse. Entre 10 000 et 100 000 oiseaux en haute saison sont répartis par petits lots, dans des volières. «L'expérimentation a débuté le 12 août, sur un lot né le 14 juillet, et a duré quatre semaines», précise l'éleveur. Les larves représentaient 10 % de la ration quotidienne, et étaient distribuées au sol, suffisamment espacées pour que chaque oiseau puisse en picorer. Un vrai festin : «L'appétence pour ces larves était impressionnante. C'était même trop, pour des animaux sauvages, car ils me voyaient arriver du bout de la volière et courraient vers moi.»
D'après Nicolas Dassonville, «cet âge est une période sensible dans la croissance de l'oiseau. Ils grossissent beaucoup et développent leur plumage. Ils ont donc un gros besoin d'apports de glucides pour l'énergie et de protéines pour le développement musculaire.» Le résultat de quatre semaines de larves est remarquable, notamment pour la qualité du plumage. «C'est une souche sensible au piquage» (cannibalisme, ndlr). Or, à huit semaines, tous sont très bien plumés. «Les plumes ont poussé rapidement, et comme ils n'avaient aucune carence, ils n'étaient pas tenté de piquer les autres.» Un mois après le test, les bienfaits de cette alimentation sont encore visibles, car le lot de faisans est plus beau que les voisins. Si c'était à refaire ? Il modifierait simplement la méthode de distribution, avec un système automatisé ou en rentrant les oiseaux dans le bâtiment, le temps de verser les larves, pour qu'ils n'associent pas la nourriture à l'homme.
Un équilibre financier à trouver
L'éleveur aimerait réitérer le test, cette fois sur des poussins, avec des larves plus jeunes d'1 cm. «À quatre ou cinq jours, c'est vraiment l'étape déterminante. Le besoin en protéines est très élevé.» De là à convertir tout l'élevage, l'équilibre financier reste à trouver. «Les larves sont très onéreuses, mais le calcul est à faire à long terme. Si le taux de mortalité est réduit, ainsi que les charges liées aux médicaments ou aux compléments alimentaires, comme les acides aminés, et que les larves sont utilisées à des stades clés, la balance peut peut-être s'équilibrer.»
Du côté d'Innovafeed, l'expérience est une réussite. «Nous avons cependant encore une certain logistique à mettre au point. Les larves ont une durée de vie de cinq jours et ne doivent pas être trop empilées pour pouvoir survivre. Nous pourrions livrer des élevages à proximité», note Grégoire Belegaud. Autre essais que l'entreprise a mené, en juin 2020 : la commercialisation de 4 400 volailles dans les supermarchés Auchan du Nord, nourries à l'huile d'insectes. «Les bienfaits de l'huile dans l'alimentation ont été notables : peu de piquage, des animaux moins stressés donc un rendement et une qualité de viande supérieure.» L'objectif, désormais, est de pérenniser la filière. Pour cela, une évolution de la législation sur l'alimentation des animaux d'élevage monogastriques (volailles et porcs) et nécessaire.