Christian Saint Etienne :
«Des raisons de craindre, des raisons d’y croire»
Christian Saint Etienne, professeur d’économie connu pour son engagement politique et ses ouvrages littéraires et venu exposer son analyse du contexte de crise que traverse le pays. Il en propose une lecture scientifiquement lucide, ce qui lui vaut de se faire régulièrement qualifier de pessimiste.
Une crise dans une crise
Selon lui, la crise française tire la complexité de son positionnement du fait d’être imbriquée au sein d’une crise européenne. Car, comme le montrent les chiffres de la croissance dans différents pays ou bassins mondiaux, la zone euro ne parvient pas à se redresser de la crise de 2007. Et ne pas se redresser en cinq ans d’une crise économique est inédit depuis la seconde guerre mondiale.
Quelles sont les difficultés qui font que la zone euro ne parvient pas à se redresser ? En premier lieu, cette zone pourrait se lire selon trois catégories : une zone «nord» qui comprend l’Allemagne, les Pays-Bas, la Belgique, l’Autriche et la Finlande. Une zone «sud» qui comprend la France, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Enfin, une zone «intermédiaire», les sept autres pays (Irlande, Luxembourg, Estonie, Slovaquie, Slovénie, Malte, Chypre). Si la zone nord représente 37,3% de la population, elle concentre 42% de Produit Intérieur Brut, alors que la zone sud, avec 58,5% de la population n’en crée que 54,5%.
En résumé, la zone nord est 20% plus productive que la zone sud, et rien n’est fait pour pouvoir avancer malgré ces écarts. Au contraire, la zone euro s’est certes dotée d’une monnaie unique, mais elle n’a respecté aucun des trois critères essentiels à sa réussite : une gouvernance économique, un budget fixe et une convergence fiscale et sociale en son sein.
D’ailleurs, Christian Saint Etienne souligne qu’en terme social, la zone euro est le théâtre d’une des plus féroces concurrences sociales au monde, prenant pour exemple le niveau des salaires dans le secteur de l’abattage.
Trois scénarios pour la zone euro
Sur ce constat, Christian Saint Etienne évoque trois scénarios d’évolution. Le moins favorable est celui de la fédéralisation des Etats autour d’un noyau dur. Cela achèverait le processus de gouvernance économique et constituerait un ensemble puissant. Le peu probable est celui d’une séparation de la zone euro en deux sous-entités.
Enfin, le plus probable est celui du prolongement de la stagnation actuelle durant le temps nécessaire pour que la zone sud épure son déficit extérieur. Même si c’est le scénario le plus probable, il n’en demeure pas moins long (pas de temps supérieur à 18 mois) et douloureux, car dans ce temps, un Etat comme la France risque de comptabiliser 50 000 chômeurs de plus tous les mois.
Et la France ?
Dans ce tableau, la France attire tous les regards. D’abord, les regards des économistes, car au vu de son endettement (qui est de 90% du PIB), la France porte un réel risque au sein de la zone euro qui redoute l’extension de 503 milliards d’euros d’aides déjà apportés aux pays en difficultés (240 en Grèce, 85 en Italie, 78 au Portugal et 100 en Espagne). D’ailleurs, l’Italie, l’Espagne et la France ont un endettement cumulé de 5 000 milliards d’euros, soit deux fois plus que le PIB allemand. De plus, les indicateurs français de rebond sont faibles. Alors que l’Espagne et l’Italie sont en train de reconquérir des parts de marché dans les échanges commerciaux, la France ne se ressaisit pas : en douze ans, elle a perdu 42% de ses parts de marché à l’export au plan mondial et 25% au sein de la zone euro, conséquence d’une vision stratégique de «post industrialisation», qui a régné dans les années 90 et a conduit à une constante régression de l’industrie manufacturière.
Le rebond est-il possible ?
La France peut-elle se relever de cette situation et si oui à quelles conditions ? Selon Christian Saint Etienne, la vraie question sera celle de l’acceptation du peuple, ou plutôt quelle sera sa capacité d’encaissement, entre un effort nécessaire ou l’annonce de 50 000 chômeurs de plus tous les mois durant l’année 2013. Si dans l’histoire de France, il a toujours fallu un drame pour se réajuster, l’effort nécessaire aujourd’hui ne porterait que sur deux ou trois points du pouvoir d’achat. Rien à voir avec la «contribution humaine» durant la première ou la seconde guerre mondiale.
L’acceptation passe par trois sphères de compréhension : la politique, les médias et l’éducation. Les deux premières laissent peu d’espoir, vu le faible traitement des sujets majeurs comme le rapport Gallois en comparaison d’autres sujets plus secondaires. Quant à l’éducation, les premiers thèmes des programmes scolaires d’économie sont «chômage» et «faillite»… Cette analyse amène Christian Saint Etienne a attendre en 2013 un basculement brutal, probablement davantage subi que choisi.
Quant aux leviers, la France en a clairement : nous formons les ingénieurs les plus prisés en Allemagne ou les biologistes les plus prisés aux Etats-Unis… Mais chez nous, ils ne peuvent pas exprimer leur potentiel sous le poids du réglementaire, du social ou du fiscal.
Quant aux secteurs «fleurons», la France vit encore dans un sérieux paradoxe. Christian Saint Etienne rappelle que «parmi les secteurs nationaux les plus forts au plan mondial, on trouve les céréales et la banque, mais qu’il n’est pas bien vu d’être céréalier ou banquier…».
Enfin, l’Etat doit s’astreindre à sa volonté : son budget représente 56% du PIB, soit 1 150 milliards d’euros (9 points de plus que dans la zone euro). Le réduire de 50 milliards pour désendetter de 20 et en réinvestir 30 dans des programmes structurants est-il inenvisageable ? Selon Christian Saint Etienne, non bien évidemment. Le problème de la France n’est pas un manque de moyens, c’est un déficit de stratégie et de volonté, a-t-il conclu !