Droit : créance de salaire différé du descendant
Bien souvent dans les familles d’agriculteurs, certains enfants travaillent avec leurs parents sans percevoir aucune rémunération. Pour rétablir l’équilibre entre les enfants, le législateur a instauré la créance de salaire différé.
La créance de salaire différé est une créance dont est susceptible de bénéficier le descendant resté sur l’exploitation de ses parents, qui a participé de façon effective, directe et désintéressée à la mise en valeur de l’exploitation familiale.
Pour bénéficier de ce droit d’ordre public, le bénéficiaire doit néanmoins remplir certaines conditions : il ne doit pas avoir été associé aux bénéfices, ni aux pertes de l’exploitation, et il ne doit pas avoir perçu de rémunération en contrepartie de sa participation ; être âgé de plus de dix-huit ans ; avoir participé directement et effectivement aux travaux de l’exploitation, et non pas de manière occasionnelle.
Les coups de mains du week-end ou des vacances scolaires ne valident pas le droit au salaire différé, et ne doivent pas avoir été rémunérés d’aucune manière. Bien entendu, le fait d’être nourri, logé et de recevoir de l’argent de poche ne font pas obstacle au versement de la dette.
Montant du salaire différé
Pour les descendants, le salaire différé est égal à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le Smic horaire, soit 10,03 € au 1er janvier 2019. Par exemple, pour un an de salaire différé, le montant est égal à : 2 080 x 10,03 € x 2/3 = 13 908 €. Le Smic retenu est celui au jour du règlement de la créance. L’autre tiers correspond au principe suivant : logé, nourri, blanchi et argent de poche. La loi prévoit que le bénéficiaire ne peut réclamer le paiement du salaire différé au maximum dix ans, sans exigence de continuité.
En cas de succession, le salaire différé est plafonné au montant de l’actif de la succession. Par exemple, un exploitant envisage de céder son exploitation à son fils au 1er octobre prochain, lequel a été aide familial deux ans sur l’exploitation de ses parents de 2017 à 2019. Les parents décident de lui verser la totalité de son salaire différé au moment de son installation en contrepartie de biens cédés. Dans ce cas, le salaire est évalué à 13 908 x deux ans = 27 816 €. Il pourra être déduit du résultat fiscal des parents, et le fils sera taxé à l’impôt sur le revenu.
Si les parents ne souhaitent pas verser cette créance de leur vivant, lors d’une donation-partage ou d’une installation, la créance de salaire différé, qui est un droit propre, devient une dette de la succession. Ce salaire s’ajoute aux droits successoraux de l’enfant qui a fait prospérer l’exploitation familiale sans tirer de revenus de son travail. Le paiement du salaire différé peut être réalisé en numéraire ou par l’attribution d’un bien de la succession.
Pour éviter les conflits lors de la succession, il est donc parfois intéressant de payer ce salaire différé de son vivant dans le cadre d’une installation ou d’une donation-partage. Le conjoint survivant du chef d’exploitation peut aussi prétendre à une créance de salaire différé, s’il y a eu rédaction d’un contrat de mariage avec séparation de biens. Pour le conjoint survivant du chef d’exploitation ou de l’associé, son montant est fixé forfaitairement à trois fois le Smic annuel au jour du décès, dans la limite de 25 % de l’actif successoral.
Attention à la fiscalité
Le salaire différé correspond au paiement a posteriori de la participation gratuite d’un descendant à la mise en valeur de l’exploitation familiale. Pour pouvoir percevoir, ce salaire différé, il faut participer «directement et effectivement à l’exploitation, sans être associé aux bénéfices et ni aux pertes» selon l’article L 321-13 du Code rural. Bien entendu, il ne faut percevoir aucun salaire.
Ces sommes étaient exonérées d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux jusqu’au 30 juin 2014. A compter du 1er juillet 2014, les sommes versées dans le cadre d’un salaire différé ne sont plus exonérées d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, pour les héritiers d’exploitants agricoles et leurs conjoints, percevant un salaire différé après le 30 juin 2014, à condition qu’ils ont toujours le statut d’aide familial. Le versement du salaire différé après le 30 juin 2014 à un «ancien aide familial» pourra toujours bénéficier de l’exonération d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, à condition que son statut s’est arrêté avant le 30 juin 2014. Le versement du salaire différé peut être versé au moment de l’installation ou à un autre moment. Dans le cas où il n’a pas été versé, il peut le réclamer lors de la succession de l’exploitant.
Cinq ans pour réclamer
Le cadre strict, et néanmoins difficile en indépendance financière, doit toujours être prouvé pour que le salaire différé soit versé, en donation ou en succession. Mais la personne intéressée doit faire vite pour recouvrer ses droits. En effet, le délai de prescription pour l’action en paiement du salaire différé a été réformé par la loi du 17 juin 2008. Il a été réduit de trente à cinq ans. Maintenant, suite au décès d’un parent exploitant agricole, le bénéficiaire d’une créance de salaire différé en qualité d’aide familial se doit de réclamer dorénavant cette créance dans les cinq ans de son décès, même si le conjoint est toujours en vie et dispose de l’usufruit. En vertu de cette prescription dite «extinctive», l’aide familial ne pourra plus réclamer son dû lorsqu’il laisse écouler les cinq ans sans faire valoir ses droits auprès de la succession de l’exploitant ascendant. La succession de l’exploitant défunt, débitrice de la créance, est tout simplement libérée de cette créance après ce délai, faute pour le bénéficiaire ou l’ayant droit d’avoir réclamé judiciairement cette somme.
Cette réduction du délai de prescription de trente ans à cinq ans est souvent mal comprise dans le cadre des successions agricoles. Il n’est pas tenu compte du fait qu’il est «légitime» d’attendre le décès du second conjoint pour régler la succession du premier des parents. En pratique, cette prescription de créance de salaire différé se prescrit par cinq ans à compter des prescriptions faites depuis le 18 juin 2008. Cela signifie que toutes les créances nées entre le 18 juin 1983 et le 18 juin 2008 ont ainsi été prescrites le 18 juin 2013 (article 2222 du Code civil).
L’urgence est d’interrompre par la voie judiciaire ce très court délai de cinq ans et de se renseigner au plus vite dès lors que, en présence de parents co-exploitants, il est acquis que le descendant-aide familial, qui dispose d’un contrat de salaire différé unique, peut toujours réclamer sa créance à l’une ou l’autre des successions. Il reste à escompter, en liaison avec les volontés du défunt et l’exercice du notaire, un partage équitable de la succession.