Erosion hydrique des sols : quelles solutions pour l’éviter ?
Des spécialistes présentaient, lors de la 3e journée
thématique sol à l’Inra, à Estrées-Mons, leurs recherches sur l’érosion des sols : constater les dégâts, évaluer les risques et proposer des solutions.
L’érosion hydrique d’un sol se voit à l’œil nu : de la terre arrachée par le ruissellement de l’eau. «Mais ce qui manque aux agriculteurs, c’est la quantification de ce ruissellement», explique Aurore Degré. Cette ingénieur agronome a mené des expériences dans un bassin versant expérimental, dans une ceinture limoneuse de Belgique. Y sont collectés les données météorologiques, les débits instantanés et matières en suspension au niveau de quatre exutoires imbriqués, qui couvrent des superficies de 4, 85, 120 et 400 hectares.
Une cartographie du bassin versant avait été réalisée en 1956. A l’époque, 66 % de la zone ne présentait aucun signe d’érosion. En 2015, à peine 17 % sont encore intacts. L’altitude va de - 120 à + 120 cm. «Ces données permettent de déterminer les zones d’érosion et les zones de dépôt», précise Aurore Degré.
L’ampleur de l’érosion constatée est à mettre en relation avec les pratiques agricoles, du parcellaire (des parcelles de plus en plus grandes au fur et à mesure des années) et de la gestion interparcellaire qui a été reconstituée sur base de documents historiques. «Elle pourrait compromettre la productivité des terres à moyen terme dans certaines zones.»
La lutte contre l’érosion
Romain Armand, auteur d’une thèse sur les effets du travail du sol sur le ruissellement et le transport de sédiments, présentait les résultas de ses recherches. «Dans la lutte contre l’érosion des sols, un des premiers leviers concerne la formation du ruissellement et de l’érosion au sein des parcelles agricoles», assure-t-il.
Son étude a été menée en Alsace, dans des collines limoneuses, similaires aux terres picardes, où la problématique de ruissellement agricole survient lors des orages de printemps.
L’objectif : comparer l’impact des états de la surface du sol sur la production de ruissellement et de dépôt de sédiments. Les résultats ont été récoltés sous pluie naturelle, dans des parcelles de 22 m2, avec des pratiques culturales avec labour, sans labour et en semis direct.
Les résultats montrent une baisse nette des volumes de sédiments (diminution d’un facteur 5 à 10) en techniques sans labour et semis direct. Les volumes ruisselés présentent aussi une diminution (d’un facteur de 2 à 5) (cf. graphique). «Clairement, la perte de terre est la plus importante en système de labour.»
L’étude des états de surface démontre que la couverture du sol par des résidus de culture précédente a un impact prépondérant sur la réduction du ruissellement et de l’érosion. Cet impact est d’autant plus marqué dès lors que la proportion de surface couverte dépasse les 30 %. «On conseillera donc aux agriculteurs d’opter pour une couverture de la surface proche de 30 %.»
Une autre technique agronomique a été évoquée pour lutter contre l’érosion : «Des bandes enherbées en pied de parcelle pour capter le ruissellement et provoquer son infiltration.»
Les solutions peuvent aussi résider en des aménagements d’interfaces tampons (mares, diguettes, bassins de rétention…). Mais ils consistent surtout à protéger les communes en contre-bas.
Des haies herbacées en solution
Du non labour plus efficace contre l’érosion ? Il n’est pourtant pas évident de changer de pratique du jour au lendemain. Michel-Pierre Faucon, qui effectue aussi des recherches sur le sujet, présentait une solution intéressante d’aménagement permanent : des haies herbacées.
Deux types de haies sont régulièrement utilisées : les haies arbustives et arborescentes, «mais elles présentent un frein hydrique faible» ; et les haies fascines, une association de bois mort et vivant, «qui présentent une forte viabilité de dépôt, de 0,5 à 25 t de dépôt de sédiments, mais dont le prix onéreux (80 € le linéaire) et leur durée de vie assez courte (quelques années), sont les limites».
Les haies herbacées, elles, augmentent la rugosité hydraulique et, donc, favorisent le dépôt de sédiments. Quatorze espèces végétales, d’une hauteur d’une vingtaine de centimètres, ont été étudiées pour leur pérennité, leur densité de couverture, leur haute amplitude écologique, pour pouvoir les implanter sur tous types de sols, et le fait qu’elles ne soient pas des adventices. «Nous avons voulu plusieurs espèces, certaines avec beaucoup de feuilles, d’autres avec de larges tiges, car nous pensons leur complémentarité intéressante.»
Cette étude, qui est la première caractérisation des traits fonctionnels aériens impliqués dans la rugosité hydraulique, permettra de sélectionner des espèces candidates pour construire des infrastructures herbacées pérennes anti-érosives.
Comparaison agriculture conventionnelle et biologique
Xavier Morvan, de l’université de Reims, a mené une étude en Seine-et-Marne, avec pour objectif de déterminer l’influence d’une récente conversion à l’agriculture biologique sur la stabilité structurale de sols battants et ses conséquences sur le ruissellement, la perte en sol et la formation de croûtes de surface.
Les expérimentations consistent en des mesures physiques et des simulations de pluie avec différentes intensités. Elles ont été conduites dans deux parcelles voisines, avec un même sol, une même pente, et cultivées par le même agriculteur.
Résultat : la stabilité du sol est plus importante dans la parcelle cultivée en agriculture biologique (aucun ruissellement constaté) que dans la conventionnelle (coefficient de ruissellement de 4,8 et 6,9 % pour des intensités de 25 et 40 mm/h d’eau). Seul un léger ruissellement apparaissait quand l’intensité de pluie atteignait 50 mm/h en agriculture biologique. Une croûte de battance se développe en fait plus facilement sur le sol en agriculture conventionnelle.
«Ces résultats mettent en évidence les bénéfices d’une conversion en agriculture biologique pour un sol limoneux battant», analyse Xavier Morvan.