Politique
Européennes : les intentions de vote des agriculteurs
Sciences-Po Paris, l’Institut national polytechnique AgroToulouse et le groupe Réussir ont rendu publics le 28 mai les résultats d’un sondage sur les intentions de vote des agriculteurs aux prochaines élections européennes.
Sciences-Po Paris, l’Institut national polytechnique AgroToulouse et le groupe Réussir ont rendu publics le 28 mai les résultats d’un sondage sur les intentions de vote des agriculteurs aux prochaines élections européennes.
Le dernier sondage* rendu public à l’occasion du grand débat organisé sur les prochaines élections européennes par Sciences-Po Paris, l’INP AgroToulouse et Réussir le 28 mai à Paris, est riche d’enseignements. Il pointe en premier lieu un réel intérêt des agriculteurs pour ces élections. En effet, à la question, «quel est votre niveau d’intérêt pour les prochaines élections européennes de 2024 ?», ils sont 75,9 % à se déclarer intéressés, voire très intéressés. Seuls 6,2 % d’entre eux ne «trouvent aucun intérêt» à cette élection. En comparaison de la moyenne française (6,5/10) et des ruraux (6,2), ces chiffres sont plutôt bons et même supérieurs avec un score de 6,7/10 de moyenne. C’est en partie ce qui explique qu’ils ont l’intention d’aller voter. Ainsi 61,3 % des personnes interrogées ont affirmé être sûrs à
100 % d’aller voter. Sur une échelle de 0 à 10, 91,3 % des sondés ont déclaré vouloir aller voter, ce qui là encore marque un civisme réel de la part du monde agricole. Les agriculteurs se situent entre 15 et 16 points de plus que la moyenne des Français (45,1 %) et celle des ruraux (44,8 %) sur la certitude d’aller voter.
Coude-à-coude
Sur les intentions de vote, les agriculteurs semblent refléter à quelque chose près les intentions de la plupart des Français en marquant une nette préférence pour la liste de Jordan Bardella (RN). En effet, plus d’un cinquième des exploitants interrogés (20,9 %) déclare vouloir voter pour ce dernier et ses colistiers, devant la liste de la majorité présidentielle conduite par Valérie Hayer (11,4 %) au coude-à-coude avec celle de François-Xavier Bellamy (LR – 11,3 %).
Les intentions de vote sont tout aussi proches chez les agriculteurs pour la liste des Écologistes de Marie Toussaint (7,2 %), celle d’Alliance rurale (6,2 %) conduite par Willy Schraen et Jean Lassalle et la liste Reconquête (5,9 %) de Marion Maréchal. Ils ont tout autant (7,1 %) déclarer ne pas savoir pour qui voter ou à déclarer voter blanc ou nul (5,9 %). Enfin, une poignée d’entre eux s’apprête à déposer un bulletin dans l’urne pour la liste PS-Place publique de Raphaël Gluscksmann (5,2 %) ou celle de La France insoumise (LFI) pilotée par Manon Aubry (3,9 %).
Ce qui déterminera le vote des agriculteurs, toutes listes confondues, tiendra autant aux questions de politiques générales (46,7 %) que des questions agricoles (53,3 %) elles-mêmes.
Influence de l’Europe
Autre enseignement de ce sondage : les agriculteurs n’aiment majoritairement pas les Écologistes et LFI. Ils les considèrent comme les partis défendant «le moins bien le monde agricole durant ces élections européennes». D’ailleurs, une grande majorité des partis de gauche recueillent des scores négatifs sur cet item : 54,4 % pour Les Écologistes ; 51,7 % pour la France insoumise ; 46,1 % pour Lutte Ouvrière ; 41,7 % pour le Nouveau parti anticapitaliste. Plus étonnant est l’assez mauvaise opinion (32,5 %) de Renaissance sur cette défense du monde agricole qui résonne comme un vote sanction à l’égard de la politique gouvernementale et que l’on pourrait relier aux manifestations de l’automne et de l’hiver.
Interrogés sur l’influence de l’Europe sur différentes politiques menées et secteurs d’activités, une très grande majorité d’exploitants sondés estiment que l’Europe n’a pas eu d’influence ou bien négative sur le chômage (79,9 %), sur les impôts et taxes en France (81,7 %) sur la dette et les déficits en France (77,4 %), sur l’immigration en France (77,3 %),
sur le changement climatique (74,7 %). Les avis sont tout aussi tranchés sur l’impact des politiques européennes sur l’agriculture en France (74,3 %). Ils sont surtout 31,7 % à estimer que Bruxelles a eu un impact très négatif. En ce sens, les perceptions des agriculteurs ne sont pas très éloignées de celles des Français et des ruraux. Interrogés sur un choix à faire entre priorité totale à la croissance économique et priorité totale à l’environnement, les agriculteurs tranchent majoritairement en faveur de la première (63,2 %).
Vote contestataire ?
Quant à leur positionnement politique, les exploitants agricoles affirment se situer très majoritairement (83,2 %) au centre et à droite : 15,8 % se positionnent clairement très à droite, 33,1 % à droite et 33,3 % au centre et centre droit, ce qui les situent à droite, au-dessus de la moyenne des ruraux et de l’ensemble des Français. D’ailleurs, ils déclarent se sentir proches des Républicains (23,6 %), du Rassemblement national (20,4 %), de Renaissance (11,1 %), de Reconquête (5,1 %), du MoDem (4,9 %) d’Horizons (4,8 %), de Debout La France (3,7 %) et de l’UDI (3,7%), LFI ne recueillant que 6,1 % des suffrages, le PS 5,2 % et Les Écologistes 8,4 %.
Cette propension des agriculteurs à choisir un vote contestataire, protestataire alors même que celui-ci s’est exprimé de manière plus modérée au cours des scrutins tout le long de la Ve République est-il le signe de l’exaspération, d’un ras-le-bol ? C’est ce que le sondage a tenté d’analyser en leur demandant les cinq principales raisons des manifestations de janvier à mars. Sans aucune surprise, ce sont les règles liées de près à l’Union européenne qui sont leur première cible : arrive en tête une demande de «plus de cohérence entre les réglementations» (56,6 %), devant la protection des nationaux de la concurrence hors-Europe (50,3 %**).
Cette demande précède «l’allègement des normes environnementales» (49,2 %) et la simplification des procédures administratives liées à la Pac (47,8 %).
Les agriculteurs qui ont déclaré avoir participé à une ou plusieurs manifestations (39,6 %)***, réclament aussi le «strict respect de la loi Egalim» (47,3 %) et une «meilleure reconnaissance par la société» (40,3 %).
Poussée de fièvre ?
Les sondeurs se sont également intéressés aux intentions de vote en fonction de l’âge et du mode de production : conventionnel ou certifié bio. Sur le premier item, il est étonnant de remarquer que ce sont les plus jeunes (40 ans et moins) accordent leur préférence à la liste Jordan Bardella (37 %). «Si l’on ajoute les intentions de vote pour les listes Reconquête, Debout la France et les Patriotes, ce chiffre grimpe à 46 %», indique le sociologue François Purseigle. Cette sensibilité des jeunes agriculteurs pour l’extrême-droite est-elle le reflet d’un mouvement d’humeur, d’une poussée de fièvre ? Ou bien le signe d’un malaise beaucoup plus profond. Pour les sociologiques, il est encore trop tôt pour dégager une tendance…
Quoi qu’il en soit, les partis de gouvernement que sont notamment LR et Renaissance résistent assez bien et peuvent cependant compter des électeurs stables. Pas moins de 12 % des 40 ans et moins votent pour Renaissance, un chiffre qui grimpe à 14 % sur la même tranche d’âge pour LR. Ces chiffres sont stables pour les 41-55 ans et varient un peu pour les 56 ans et plus : 18 % pour Renaissance et toujours 14 % pour LR. «C’est parmi les plus âgés que l’on rencontre le plus d’agriculteurs souhaitant apporter leur vote aux listes de gauche (hormis LFI) et notamment la liste Les Écologistes», a ajouté François Purseigle.
L’avenir
Enfin, sur l’avenir, les agriculteurs sondés**** affirment clairement parmi leurs priorités que la Pac et le Plan stratégique national doit soutenir la production, les revenus et les investissements (54 %) et prendre des mesures en faveur des petites exploitations (45,7 %). Assez curieusement, les mesures en faveurs de l’installation (27,6 %) et celles visant une meilleure définition des actifs agricoles (30 %) leur semble moins prioritaires. Les 1 258 agriculteurs interrogés estiment majoritairement que les trois stratégies les plus efficaces pour soutenir l’agriculture européenne est de protéger le marché européen (65,2 %), de limiter les normes environnementales (44,4 %) et de leur garantir des prix planchers (38,6 %). Ce qui constitue autant de réflexions à méditer que de pistes à explorer.
* L’enquête a été menée du 8 avril au 29 avril 2024 sur un échantillon de 1 258 exploitants agricoles après consultation par courriel sur 130 000 adresses d’exploitants agricoles.
** Plusieurs réponses étaient possibles dans le questionnaire
*** 43,8 % n’ont pas manifesté mais ont soutenu le mouvement. 13,6 % n’ont pas manifesté et déclaré être en désaccord avec le mouvement.
**** Le sondage complet est à retrouver sur le site : www.sciencespo.fr/cevipof/fr.html