Ferme urbaine d'Amiens "L'île aux fruits" un an après
Des Amiénois se retroussaient les manches pour lancer un projet d’éco-lieu au sein des hortillonnages, en 2017, avec notamment une ferme maraîchère basée sur les principes
de la permaculture. Un an après, qu’ont-ils fait et où en sont-ils ?
Ce n’est pas le paradis, mais cela pourrait bien y ressembler, car une nouvelle aventure se prépare bel et bien sur l’île de Sainte-Aragone, à Amiens, pour l’association Terres Zen porteuse du projet «L’île aux fruits». Fini le temps du bricolage dans la serre de près de 1 000 m2, rue Haleine Ridoux, dans les hortillonnages, prêtée par Boris Pelosof. Finie également la sensation d’être à l’étroit sur la parcelle de 1 000 m2 jouxtant cette serre.
A présent, l’association a un nouveau «terrain de jeu» sur une parcelle de 8 000 m2 de l’île Sainte-Aragone, propriété de la mairie d’Amiens, où l’association construit, entre autres, une serre de près de 1 200 m2. La parcelle, en friche depuis le départ du maraîcher Alexandre Parmentier, était entretenue depuis en mode prairie par la mairie.
Le projet sur site
Sous la serre, qui devrait être fin prête d’ici deux semaines, les premiers semis seront réalisés. Au programme : tomates (une vingtaine de variétés), poivrons (cinq à six variétés), aubergines (cinq à six variétés). Suivront des jeunes pousses telles que le mizuna, la moutarde, la roquette, etc. Des plantes aromatiques seront aussi cultivées telles que du thym, de la sauge et du basilic. «On va aussi vendre des plants de tomates et des autres cultures d’été», précise Rémy Brasseur, en charge, pour l’association, de la ferme maraîchère. Puis, ce sera le retour des cultures d’hiver, carottes, betteraves, radis, navets, épinards, oignons, etc. Deux salariés travailleront à plein temps, Rémy et Damien.
Une forêt jardin (avec des fruits comestibles et des plantes vivaces), mise en place cet hiver, encadrera la serre sur son côté ouest, pour protéger les planches permanentes. Une mare derrière la serre complètera le «tableau» pour créer un piège à chaleur et développer la biodiversité. Tout le long de la serre, un verger permaculturel sera créé. «L’idée est de planter un pommier, puis un fixateur d’azote, puis un autre arbre fruitier, comme cela on n’aura pas besoin d’amender. Le verger sera donc autosuffisant. Puis, de l’autre côté, des buttes rondes», détaille Rémy Brasseur. Dans le prolongement de la serre, une parcelle sera cultivée en forme de mandala (cf. photo ci-dessus) pour permettre de travailler à partir de planches standarisées plus grandes, donnant ainsi la possibilité d’augmenter le mélange des cultures.
La permaculture au cœur des pratiques
Si l’association change d’échelle, le choix de la permaculture (cf. encadré), pour les pratiques agricoles, ne bouge pas d’un iota. Comme dans les hortillonnages, les cultures seront développées sur des planches plates, avec des semis associés, en jouant sur la verticalité, et sur des buttes rondes. «Les buttes rondes nous permettent d’avoir un meilleur réessuyage des sols, de mieux capter la chaleur au printemps et d’avoir une plus grande profondeur de sol meuble. Quant aux planches plantes, on peut les standariser sur nos outils tels que la campagnole et la grélinette», explique Rémy Brasseur.
Un an après les premiers essais en permaculture, le bilan est plus que positif, même si quelques ratages se sont produits faute d’être au point sur l’irrigation, de repiquages un peu serrés et de problèmes d’humidité dans la serre ayant entraîné des soucis de mildiou. Une fois cela dit, les satisfactions sont nombreuses. Sur la question des ravageurs, tant redoutée au départ, «cela a été, au final, une non-question. Nous n’avons pas eu besoin de grosses interventions, grâce au mélange des cultures et de fleurs, qui induisent une confusion pour les ravageurs», indique Rémy.
Mais la plus grande satisfaction est la qualité des légumes produits, qui s’est traduite par un chiffre d’affaires de 18 000 Ä pour une production comprise entre le 1er août et le 31 décembre 2017 sur 2 000 m2 alors qu’une production maraîchère classique sur un hectare rapporte annuellement entre 25 000 et 30 000 Ä. Et cela ne pourra qu’aller crescendo avec un meilleur système d’irrigation, plus d’outils à disposition, une meilleure maîtrise des techniques agricoles de permaculture, et une serre flambant neuf, qui pourra s’ouvrir de tous les côtés si besoin est.
«On a vraiment de la chance d’avoir, au bout d’un an, ce nouvel outil à notre disposition. Tout cela grâce à la force du collectif, mais aussi à notre marché du jeudi à l’île aux fruits qui fonctionne bien, aux réseaux multiples que nous avons construits. Nous sommes sortis de notre précarité agricole, et ce, en travaillant au maximum avec la nature, en ayant une approche plus douce à son égard», s’enthousiasme Rémy Brasseur.
Prochaine étape : 2019 verra la consolidation de la gamme de plantes annuelles et de légumes primeurs, ainsi que la commercialisation des produits avec les restaurateurs de la métropole amiénoise. Et les projets ne manquent pas. Outre la ferme maraîchère et le marché de l’île aux fruits, rue Verdun, tous les jeudis, l’association imagine aussi un restaurant guinguette, une offre culturelle, des activités de loisirs et de bien-être, des ateliers environnementaux, un lieu social et pédagogique, comme un chantier d’insertion au beau milieu des hortillonnages.
Elle rêve aussi, dans la parcelle de l’île aux fruits, de créer une mycothèque dans l’ancienne usine, ainsi qu’un laboratoire de transformation des cultures hors sol, de mise en cultures de bandes le long de la grande halle, et d’une mini-ferme avec l’installation d’un poulailler, de clapiers à lapins, de cochons, de poneys, etc.
Comme le dit Rémy Brasseur, «la permaculture est une manière holistique de voir la société, en s’attachant plus aux relations entre les éléments et les gens qu’aux éléments et gens considérés à part entière». Soit un lieu de vie au cœur de la ville à partager avec tous, et où se dessine tranquillement, mais sûrement, l’agriculture de demain.
Chiffres clés
8 000 m2 : superficie de la parcelle sur l’île de Sainte-Aragone
1 200 m2 : superficie de la serre
35 000 € HT : coût de la serre, tout compris
1 700 : nombre de familles adhérentes à l’association Terres Zen
La permaculture : quésaco ?
Méthode créée dans les années 1970 par les Australiens, Bill Molisson et David Holmgren, la permaculture est une science de l’interconnectivité. Autrement dit, c’est une approche globale visant à aménager des écosystèmes humains, éthiques, durables et robustes s’intégrant avec la nature. Ses piliers : prendre soin de la terre, mais aussi des personnes, et faire un partage équitable.
Les techniques retenues de culture sur la ferme maraîchère amiénoise sont inspirées de l’Américain Elliot Coleman, soit produire beaucoup sur un tout petit espace et en toutes saisons, avec l’utilisation d’outils tels que le semoir de précision de six rangs, la campagnole, la grélinette, et en associant tout le temps les cultures. L’expérience la plus aboutie en matière de permaculture en France est celle de la Ferme du Bec Hellouin, en Normandie.