Galiane de Poncins ne manque pas de sève
La jeune femme de 27 ans a créé EauBouLeau, de la sève de bouleau certifiée Bio, issue de son bois familial, à Méricourt-en-Vimeu.
Il suffit de la voir galoper dans la forêt en chantonnant pour comprendre que son amour pour celle-ci est profond et authentique, plus encore que cet amour ne date pas d’hier. Le premier à l’avoir emmenée dans les bois fut son grand-père. Le second fut son père. C’est lui qui lui a appris à reconnaître les différentes espèces, comme à ne jamais perdre de vue qu’une forêt doit se gérer durablement. Parmi toutes les espèces d’arbres, c’est sur le bouleau qu’elle a jeté son dévolu. Un arbre «très élégant et athlétique, au charme discret, qui se fait étouffer par les autres arbres sur le plan de sa masse corporelle, mais que l’on remarque tout de suite parce qu’il est unique», commente Galiane. Comme elle.
C’est pourtant dans les Palais de justice que celle-ci imagine sa vie active. Fascinée par celui de Paris, qu’elle découvre lors d’une visite scolaire, elle décide qu’elle deviendra plus tard une «grande avocate en ville». Ce métier, et pas un autre, car il est, selon elle, celui qui lui permettra d’exposer ses idées, de les défendre, de démêler le vrai du faux, de chercher des indices permettant d’éclairer d’un jour nouveau et juste les affaires qu’elle défendra. Aussi, une fois son bac en poche, elle s’inscrit sans hésiter à la fac de droit d’Assas, à Paris, d’où elle sortira avec un Master 2, spécialité droit du travail. «C’est très technique, mais ce qui me passionne le plus, c’est de comprendre comment marche une entreprise au regard du droit du travail», dit-Galiane.
«Je voulais donner à ce produit une image nouvelle.»
Là encore, l’influence paternelle n’est pas très loin. De lui, elle a en effet hérité ce goût de l’entreprise. Mais, comme toujours, avant de voler de ses propres ailes, Galiane décortique d’abord intellectuellement le fonctionnement de l’entreprise au travers de son métier d’avocate, qu’elle exerce dès la fin de ses études, en 2014. Les dossiers s’empilent très vite sur son bureau. La jeune femme est efficace et convaincante. Elle déborde d’énergie. Bien qu’elle n’ait pas une minute à elle, elle sent très vite qu’il lui manque cependant une «petite chose» essentielle pour son bonheur. «Je pensais qu’avec un boulot purement intellectuel, cela me suffirait pour m’épanouir. Je me suis trompée. Puis, j’avais encore beaucoup d’énergie à la fin de la journée, et je ne savais qu’en faire. Par ailleurs, la vie citadine à 600 %, cela finit par être étouffant. J’avais besoin de me ressourcer en me reconnectant à quelque chose de plus naturel», confie-t-elle. C’est la forêt familiale, où elle gambadait enfant, qui va lui apporter la solution.
La double vie de Galiane
Depuis 2013, son père a créé la société Gica biomasse, une exploitation de produits forestiers basée sur du bois de chauffage hyper-calorifique, soit des plaquettes de hêtre, de chêne et de frêne densifiées sans aucun additif. Le bois est issu de la parcelle familiale, mais aussi de forêts picardes exploitées par des forestiers ou l’ONF. Reste que sur sa parcelle, un arbre n’entre pas dans les critères pour cette fabrication : le bouleau. Le couper pour planter d’autres espèces serait la solution. Galiane se penche sur la question, et avec d’autant plus d’appétit qu’elle est en recherche d’une activité lui permettant de se reconnecter à la terre.
Comme son père le lui a appris, avant d’arriver à la coupe drastique des bouleaux, il faut chercher tous les chemins qui aboutiront à la solution durable. Un Salon bio, à Paris, où elle va par hasard, lui donne la clé. Pour sauver les bouleaux du bois familial, pourquoi ne pas se lancer dans la production de sève de bouleau, fournie généreusement par cet arbre ? De quoi assouvir, par ailleurs, son envie de monter un projet entrepreneurial, en parallèle de son activité d’avocate. Reste à convaincre son employeur d’accepter sa double activité. En cas de fin de non-recevoir, elle est prête à partir. Ce ne sera pas utile. Son projet est accueilli favorablement et ses horaires réduits pour qu’elle puisse mener de front les deux. L’aventure peut commencer.
Sa première récolte en mars 2015 s’avère prometteuse, mais l’apprentissage n’est pas aisé. «Chaque jour, la nature change. Il faut continuellement s’adapter, c’est dur, mais passionnant. On apprend tout le temps», avoue-t-elle. Son apprentissage, elle le fera en lisant toute la littérature existante sur le sujet, en faisant le tour des producteurs de sève de bouleau, mais aussi de cidre car le processus de fabrication est proche, et des laboratoires. Et qu’importe si le lundi, quand elle revient à Paris, son corps est fourbu, et, qu’entre deux dossiers, il n’est pas rare qu’elle passe ou reçoive des coups de fil en lien avec sa production de sève de bouleau.
Sans complexe ni difficulté, elle passe des escarpins aux bottes pour aller récolter la sève, comme du travail de réflexion au travail de terrain. «Le soir, je suis KO, reconnaît-elle. J’ai délaissé un peu ma vie sociale, mais grâce au soutien de mon mari, Adrien, et à celui de ma famille, je tiens sans soucis. Ce qui reste difficile, c’est de cloisonner les activités. En même temps, notre génération n’aura pas une carrière linéaire comme ont pu l’avoir nos parents. Il faut donc être prêt à vivre plusieurs expériences professionnelles en même temps et s’adapter constamment aux changements.»
C’est aussi pour cela qu’elle a mis la main à la patte pour la conception du packaging, de la bouteille, du logo et des étiquettes. «Ce produit est connu depuis le XIIe siècle. Je voulais donc lui donner une image nouvelle et dans l’air du temps», explique Galiane. Sa cible ? Les magasins bio, les bars branchés parisiens, les salles de yoga, les hôtels avec spa et les thalassos.
Branchée, la jeune femme le revendique d’autant plus aisément que son produit fait le lien entre une longue histoire et notre époque. Outre ses vertus multiples (lire aussi p. 3), la sève de bouleau produite dans le bois familial lui a fait découvrir les circuits courts d’alimentation. «Cela a changé mon mode de consommation, et pas seulement sur le plan alimentaire, mais également sur l’économie», relève-t-elle. L’intellectuelle n’est jamais loin. Mais dès qu’elle retrouve ses bois, son âme d’enfant revient au galop. Autant dire que son histoire avec le bouleau, qu’elle appelle son «petit chou», n’est pas une lubie de jeune femme branchée, mais un projet inscrit dans le temps, «si la nature le permet».