«Il n'y a pas de marché captif à l'export»
Questions de rentrée à Jean Pierre Langlois Berthelot et François Gâtel, respectivement président et directeur de France Export Céréales.
Reconquérir des parts de marché cédées en raison de l’épisode 2014-2015 est un objectif de la filière : quels sont les principaux pays concernés ? Quelles démarches ?
Le travail de France Export Céréales repose en partie sur nos quatre implantations permanentes à l’étranger : dans des pays culturellement sensibles aux rapports humains et aux contacts directs, nos bureaux de Casablanca, Alger, Le Caire et Pékin assurent une présence durable de la filière céréalière française, indépendante des aléas du marché, et nous permettent d’entretenir des rapports étroits et de confiance avec les acheteurs publics et privés.
Compte tenu de la qualité de la récolte française de blé en 2014, nous n’avons pas été en mesure de fournir assez de blé répondant au cahier des charges de certains pays comme l’Algérie : en considérant les déchargements sur les ports algériens entre le 1er juin et le 31 mai (campagne céréalière algérienne) l’origine française est ainsi passée de près de 5 MT (sur un total de 5,5) en 2013-2014 à 3,6 MT (sur un total de 6,2) en 2014-2015. L’Algérie s’est donc naturellement tournée vers d’autres origines comme l’Allemagne, la Suède ou la Pologne.
Après l’accident de 2014, nous retrouvons cette année une qualité qui répond au cahier des charges de l’Office algérien ; la compétition entre la France et les autres origines se jouera, comme toujours, sur le prix.
Le plan protéine améliore-t-il ou améliorera-t-il, dans quels délais, la position des blés français à l’export ? Comment évoluent les marchés internationaux sur ce sujet ?
Si l’on fait abstraction de la récolte 2014, l’un des principaux points faibles du blé français est sa teneur en protéine, à la fois trop basse pour répondre à certains cahiers des charges ou à certaines conditions d’utilisation, et décalée par rapport à ce que peuvent offrir nos principaux compétiteurs, à prix égal. C’est ce qui a poussé France Export Céréales à soutenir et à participer à l’élaboration du plan protéine.
Les résultats définitifs de l’enquête sur la qualité de la récolte 2015 ne sont pas encore connus, mais la teneur en protéines sera sans doute assez proche de celle de l’an passé, avec un peu plus de la moitié des blés avec une teneur en protéine supérieure à 11 %.
C’est déjà une bonne nouvelle, compte tenu du rendement exceptionnel enregistré cette année, (supérieur aux prévisions et aux rendements historiques qui servent de base au calcul de la fertilisation) et des conditions climatiques de ce printemps (la sécheresse enregistrée dans certaines zones a pu réduire l’efficacité des apports azotés). Mais cela reste insuffisant pour améliorer notre compétitivité sur les marchés mondiaux : l’effort pour remonter la teneur en protéines des blés français devra être poursuivi.
Certains pays font figure de nouveaux pays à conquérir comme l’Iran ou encore l’Arabie Saoudite. Qu’est-ce que cela représente comme opportunité pour l’export français ? Comment intéresser ces deux pays ? Y en a-t-il d’autres ?
La production record de cette année (c’est la première fois dans l’histoire que nous franchissons la barre des 40 MT) rapportée à la stagnation de notre marché intérieur, et à la baisse tendancielle de nos exportations vers l’Union Européenne nous pousse à trouver de nouveaux débouchés. L’Afrique subsaharienne de l’Ouest, où nous sommes déjà présents, constitue un marché en croissance, mais qui suppose que nous soyons capables d’offrir, à prix compétitifs, de plus grandes quantités de blé à 11,5 ou 12 % de protéines.
Au Moyen-Orient, le marché privé égyptien est aussi un énorme marché, également appelé à se développer, mais dont nous sommes absents, en partie pour les mêmes raisons. L’Arabie Saoudite n’est importateur de blé que depuis quelques années, et fait ainsi l’objet de toutes les convoitises. France Export Céréales a des échanges avec l’Arabie saoudite depuis 2010 (missions sur place, accueil en France de délégations saoudiennes) et a organisé deux séminaires à Riyadh en septembre 2012 et septembre 2014, pour permettre à la partie saoudienne de mieux identifier le blé français et ses possibilités d’utilisation. Et nous serons bien évidemment présents lors du Forum franco-saoudien organisé les 12 et 13 octobre prochains à l’occasion de la visite de Manuel Valls, Laurent Fabius et Emmanuel Macron.
Parallèlement au développement de leurs importations, les autorités saoudiennes ont échangé avec France Export Céréales et les autres origines potentielles pour faire évoluer leur cahier des charges, et finalement choisi de segmenter les approvisionnements du pays en deux catégories. Compte tenu de la qualité de notre production, nous ne pouvons cependant répondre qu’aux appels d’offre «blé soft», qui représentent environ 10 % des achats, soit 300 000 tonnes.
L’Iran est un pays qui produit du blé, mais dont la production est extrêmement variable, d’où un recours aux importations très fluctuant d’une année à l’autre, entre 2 et 6 MT. Nous avons toujours maintenu les contacts avec la filière iranienne, en nous rendant régulièrement sur place pour présenter notre récolte et rencontrer les importateurs et les meuniers : le dernier séminaire que nous avons organisé à Téhéran remonte à mai 2014, et nous prévoyons d’y retourner en octobre prochain. Le retour de ce pays sur la scène internationale devrait faciliter les échanges, mais ne nous dispensera nullement de l’obligation de répondre au cahier des charges, là encore exigeant en matière de protéines.
Enfin, il ne faut pas évacuer des destinations plus opportunistes, comme cela a été le cas en 2014-2015 ou cet été en Asie : pour cela, il est nécessaire que le marché soit approvisionné régulièrement pour que les sociétés de commerce puissent trouver à tout moment la marchandise nécessaire, et que nos offres présentent un rapport qualité prix attractif par rapport à celles de nos concurrents.
Un mot sur la Chine et son économie en difficulté : quels impacts déjà constatés ou potentiels, notamment sur l’orge brassicole ?
Quelles que soient ses difficultés économiques, la Chine devra nourrir sa population, et la sécurité alimentaire fait et fera toujours partie de ses priorités, soit en produisant la majeure partie des matières premières de base, comme le blé et le riz, ou en s’assurant l’accès au marché international, comme en témoigne la prise de contrôle récente de deux grandes sociétés de commerce international. Mais tous les aliments n’ont pas la même importance.
Ainsi, après plusieurs années de hausse, la production chinoise de bière stagne, avec un marché qui arrive à saturation. Cela signifie que la concurrence entre les différentes origines d’orge brassicole continuera et s’intensifiera avec l’entrée en jeu de nouveaux pays autorisés à exporter de l’orge brassicole en Chine.
Quant à l’orge fourragère, l’engouement auquel on assiste aujourd’hui relève d’abord d’une compétition entre matières premières, domestiques ou importées, destinées à l’alimentation animale. On ne dispose pas à ce jour d’éléments permettant de prévoir l’évolution des productions et de l’alimentation animales sur les années à venir.
Un mot de conclusion ?
Nous disposons aujourd’hui d’une très grosse récolte de céréales à paille, qu’il va falloir maintenant, pour une large part, vendre à l’export sur pays tiers. Au-delà de cette constatation, et même s’il est normal de vouloir tracer des lignes générales, le commerce international des céréales restera fait de l’addition d’un grand nombre de marchés et chaque couple destination-produit doit être analysé en particulier. Souvenons-nous enfin qu’il n’y a pas de marché captif à l’export, et que c’est à chaque vente que nos produits doivent se montrer compétitifs.