Il n’y a pas que le PIB dans la vie !
La seule mesure du progrès de la société par la croissance économique montre ses limites. Tour d’horizon pour faire évoluer cette idée.
C’est une notion encore très abstraite en France et que certains ont découvert à travers des reportages qui se passent au Bhoutan et sa notion de bonheur national brut. Ce petit État a lancé ce concept en 1972 et, depuis, les sociétés occidentales ont eu l’idée d’essayer de l’appliquer.
Des travaux et des expériences sont régulièrement entrepris à ce sujet et les Nations-Unies, à travers le Programme des Nations-Unies pour le développement, ont même créé un indice baptisé Indice de développement humain (IDH). Globalement, l’idée serait de démontrer que le progrès et la richesse ne résident pas uniquement dans la mesure de la croissance économique et que d’autres aspects de la vie en général sont à prendre en compte pour évaluer lesdits progrès et richesse.
Idée générale
Après une large consultation d’experts, de la société civile et des citoyens, France Stratégie (Commissariat général à la stratégie et à la prospective) et le Conseil économique, social et environnemental (Cese) proposent aujourd’hui «un tableau de bord d’indicateurs destinés à mieux mesurer l’état et le développement de notre pays, dans ses dimensions économiques, sociales et environnementales».
Le postulat de départ, fait par la plupart des économistes, des représentants de la société civile et du grand public, est que chacun s’accorde pour reconnaître que la croissance du pays ne peut être mesurée ni à l’aune d’un seul indicateur, le produit intérieur brut, ni dans une seule dimension, la croissance de la production. Difficulté : s’il y a consensus pour refuser le PIB comme indicateur unique, il n’existe pas de «soubassement théorique indiscutable pour construire l’alternative».
Dans leur approche de travail, les deux structures soulignent que «malgré les nombreuses initiatives tant locales qu’internationales, une approche différente de la mesure du progrès de notre société ne s’est pas encore imposée ni en France, ni dans d’autres pays. C’est pourquoi France Stratégie et le Conseil économique, social et environnemental ont engagé une démarche conjointe pour construire en concertation une proposition de nouvelle métrique». Ce premier travail ne peut donc être compris que comme une étape avant d’autres travaux pour enrichir tout cela.
Par ailleurs, il apparaît comme évident que «tout indicateur statistique est forcément imparfait puisqu’il ne peut traduire fidèlement toutes les dimensions de la réalité, dont il prétend rendre compte. Par extension, une liste d’indicateurs est forcément perfectible et la combinaison des thèmes et des indicateurs relève de choix pour partie subjectifs, même si elle s’appuie sur des arguments rationnels».
D’où le fait que les deux acteurs ont voulu privilégier un travail multicritères, ce qui les a conduits à privilégier une liste d’indicateurs, un pour chaque thème clé de la mesure du progrès. «Ces indicateurs doivent être en nombre limité - dix au maximum - de manière à ce qu’ils puissent être repris dans le débat public et par là influencer les choix de politiques publiques», note le rapport.
Thèmes spécifiques
Pour conduire leurs travaux, France Stratégie et le Cese ont également consulté assez largement la population civile. Ils ont notamment conduit une enquête qui a permis de dégager des thèmes spécifiques, apparaissant comme importants aux yeux des citoyens pour exprimer la notion de développement, de progrès et de richesse, bref, la situation de la France.
Les trois critères qui arrivent en tête des réponses sont d’ordre économique : il s’agit de l’accès à l’emploi (et non le chômage ou l’emploi lui-même), l’endettement du pays (un grand classique) et le dynamisme économique (intéressant, car comment mesure-t-on le dynamisme ?). Les trois suivants sont plutôt d’ordre social : on trouve tout d’abord la santé puis la notion de «qualité de vie et de vivre ensemble» et, enfin, la réduction des inégalités. On trouve plus loin des éléments comme l’investissement productif, l’accès à l’éducation, la sécurité, l’accès au logement, l’innovation et les start-up. Les notions de biodiversité, de recyclage des déchets, de réchauffement climatique et d’accès à la culture arrivent derrière tous ceux précédemment cités.
Au final, trois grands thèmes ont été retenus : économie, social et environnement. Le premier est composé des valeurs travail (avec comme indicateur le taux d’emploi), investissement (patrimoine productif) et stabilité financière (dette publique et privée) ; le second parle de santé (espérance de vie en bonne santé), de qualité de vie (satisfaction à l’égard de la vie), d’inégalités (écarts de revenus) et d’éducation (part des diplômés) ; enfin, le troisième regroupe le climat (consommation carbone), la biodiversité (abondance des oiseaux) et les ressources naturelles (recyclage des déchets).
En conclusion, les auteurs de ces travaux rappellent que cette idée de définir la richesse nationale de façon différente progresse : il y a d’abord eu le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi en 2009 puis, en avril 2015, l’adoption par la représentation nationale d’un texte de loi relatif à la prise en compte de «nouveaux indicateurs de richesse». Il y aura désormais aussi cette étude proposant une panoplie d’indicateurs, à discuter et à faire évoluer bien sûr.
Pour abonder dans ce sens, France Stratégie et le Cese plaident pour la création «d’un site internet dédié afin de permettre l’accès du plus grand nombre à la description des indicateurs et de leur évolution en comparaison internationale, comme l’ont fait de nombreux pays». Mais ils proposent aussi de considérer, par exemple, les futurs projets d’infrastructures et d’équipement à l’aune de ces critères. Idem pour les textes législatifs avant de suggérer qu’à terme, «les administrations pourraient présenter dans leur rapport annuel un bilan de leur action sur l’année écoulée au regard de ces objectifs de qualité de la croissance et des indicateurs associés». À suivre...
D’autres indicateurs de mesure existent
Preuve que les sociétés contemporaines ne se contentent pas du classique PIB, la construction d’indicateurs alternatifs à ce dernier fait flores. Précisons que si tous présentent certainement des aspects positifs et intéressants, aucun ne fait réellement l’unanimité. Et en aucun cas, pas un candidat ne se substitue à lui pour le moment.
Outre l’indice du bonheur national brut du Bhoutan et l’indice de développement humain (IDH) des Nations-Unies, d’autres mesures ont vu le jour depuis quelque temps. L’un des plus anciens, et malheureusement le plus connu, est celui de l’indicateur de pauvreté humaine des pays en développement, créé par les Nations-Unies.
Autre outil, l’indicateur de progrès véritable (IPV), qui est un indicateur alternatif au PIB et à l’IDH. Il ne se contente pas de mesurer la seule activité monétaire, mais il comporte un ajout et une déduction : d’un côté, il ajoute au PIB la valeur estimée des activités économiques non monétaires (travail domestique ou activités bénévoles...) et, de l’autre, il ôte du PIB la valeur estimée des richesses naturelles perdues (dommages à l’environnement, destruction des ressources non renouvelables, etc.) et des dégâts sociaux (chômage, délits, crimes, délinquances, accidents, maladies, inégalités...).
Autre variante qui cherche à intégrer des notions autres que les seules richesses monétisées, le produit intérieur doux qui, à l’image du précédent, veut comptabiliser les activités domestiques et bénévoles. C’est une notion qui est née au Québec. Plus qu’une mesure, il se veut une tentative pédagogique pour faire réfléchir les individus sur la production de richesses au sens large.
D’autres travaux ont débouché sur des notions proches de ces premières formulations : indicateur de bien être durable, bonheur intérieur net, indice de pauvreté multidimensionnelle ou encore l’indice de meilleure vie... Il existe même un indice sexospécifique du développement humain (qui tient compte de différences entre homme et femme comme l’espérance de vie, l’accès à l’éducation...).