Jean-Claude Morgand : le goût de l’intérêt général
A notre époque où le temps file entre nos doigts à une vitesse vertigineuse, pouvoir le suspendre un instant pour se remémorer tout ce que l’on a accompli dans sa vie est un luxe, comme un moment émouvant. Ce luxe et cette émotion, Jean-Claude Morgand les a vécus le 13 novembre dernier, lorsqu’il a reçu des mains de l’ancien sénateur de la Somme, Marcel Deneux, la cravate de commandeur du Mérite agricole. Une médaille bien méritée pour ses actions menées au sein des Maisons familiales rurales (MFR), de sa commune et de la Fédération départementale d’énergie de la Somme.
Dans toutes ses fonctions (directeur de MFR, maire de Villers-Bocage et président de la Fédération départementale d’énergie), Jean-Claude Morgand a toujours été motivé par le sens de l’intérêt général, le partage de valeurs et de connaissances, ainsi que l’esprit de groupe. Sa vie, il l’imaginait enfant à la tête de l’exploitation de ses parents, à Forceville-en-Vimeu. Il se souvient encore des jeudis passés à travailler la terre aux côtés de son père, quand il n’avait pas classe.
«Ô cette terre, c’est tout mon passé. Ce sont mes racines. C’est mon oxygène. J’ai appris à la travailler en la respectant. Parfois, avec les outils qui forcent un peu trop sur la terre, on la maltraite, et cela me gêne beaucoup. A présent, ce sont mes fils qui la cultivent. Moi, j’ai arrêté l’an dernier, mais si je vois que la terre est en souffrance, je ne peux pas m’empêcher d’appeler mes fils pour leur demander qu’ils s’en occupent ou que je m’en occupe avec eux. Cette terre, ça me reste. Je l’ai toujours travaillée», confie-t-il.
Sur cette terre de 20 ha, ses parents cultivent des céréales, des fourragères, des pommes de terre, des betteraves... Ils élèvent aussi des vaches laitières, quelques volailles et des lapins. A cette époque, la ferme fourmillait de monde, avec entre autres la venue des salariés de l’usine de textile voisine. Mais la taille de l’exploitation, puis le déclin progressif de l’activité de l’usine amenant moins de clientèle sur la ferme, ne permet pas à Jean-Claude Morgand, après son certificat d’études, de s’installer comme il le désire tant. Par ailleurs, le système de reprise, propre à la culture samarienne, est un frein économique insurmontable pour lui.
Au service des jeunes
Sur les conseils du directeur de l’usine, ami de la famille, il prend contact avec le Crédit agricole, qui lui conseille de suivre des cours au sein du centre de formation sociale à Maltot, près de Caen. Il fonce. L’autodidacte a soif d’apprendre. «On travaillait comme des dingues, mais on apprenait plein de choses. C’était passionnant.» Il enchaîne ensuite par un centre technique pour passer un nouveau diplôme, qui lui ouvre les portes du centre de gestion de Seine-Maritime. Outre sa terre, Jean-Claude Morgand a, il est vrai, une autre passion : les chiffres. Il ne reste cependant pas très longtemps dans ce poste. Cap est mis de nouveau sur la Somme. C’est après un stage au Crédit agricole que son destin va se sceller.
Envoyé à la Maison familiale rurale de Villers-Bocage, il en prend la direction six ans plus tard, en 1974. Durant près de trente ans, son travail, avec les autres employés de la structure, consiste à «remettre sur les rails» les jeunes accueillis, dégoûtés du système scolaire et un peu à la dérive. «A cette époque, on faisait tout. On leur donnait des cours d’agronomie, de mathématiques, de physique, de phyto-techniques. On allait également avec eux sur le terrain. On faisait tout pour leur trouver des stages, parfois même du travail, tout en leur inculquant des valeurs et la vie en groupe», raconte-t-il. L’autodidacte, qui a toujours soif d’apprendre, met tout en œuvre pour susciter chez ces jeunes la même envie et leur donner les clés qui leur permettront de réussir dans leur vie.
«Nos jeunes pensaient pouvoir tous s’installer. Or, avec le système de reprise qui se pratique dans la Somme, c’est impossible sans moyens conséquents, puisqu’il induit une surévaluation des biens. Je me disais qu’il fallait en parler, comme mettre à leur connaissance ce système pour qu’ils n’aillent pas droit au mur», explique-t-il. A 40 ans, il décide alors de préparer un diplôme universitaire (DUEPS) sur ce sujet mais, faute de temps, il ne terminera pas sa recherche.
Au service des administrés
Cette âme de formateur, qui cherche toujours à faire aller de l’avant chacun, en fera tout autant au sein de sa commune. D’abord adjoint au maire, il devient maire quand son prédécesseur lui demande de prendre la suite. Jean-Claude Morgand accepte de relever le défi. Comme à la Maison familiale rurale, il construit son conseil municipal autour de valeurs communes et d’une vie de groupe. «Pour faire une cordée solide, il faut travailler ensemble», dit-il. Avec un même cap pour tous : l’intérêt général, qui passe par l’essor économique et démographique de la commune.
«Tout le monde disait que l’on était bien comme ça. Moi, j’étais convaincu qu’il fallait aller de l’avant. Pour ce faire, nous avons installé une station d’épuration, ce qui n’a pas été facile à faire comprendre aux habitants, mais ce qui a drainé une zone d’activités, avec des emplois à la clé. Nous avons aussi fait construire des logements locatifs pour attirer la population. Cela a marché», se souvient-il. L’école, bien sûr, n’est pas oubliée.
On l’imaginerait s’arrêter là. Eh bien, non. Son mandat de maire le met en contact avec le syndicat local en charge de l’électricité. L’homme, à l’esprit de groupe et au sens de l’intérêt général, propose de rationaliser le travail en regroupant tous les syndicats locaux en une Fédération départementale d’énergie. La mise en place est difficile, mais il y parvient. A présent, 771 communes composent cette fédération.
Reste que cet «empêcheur de tourner en rond», ainsi qu’il se définit, a besoin parfois de faire une pause et de «s’oxygéner». Sa recette ? Quelques heures de tracteur sur la terre familiale. Cette terre, sa terre, Jean-Claude Morgand n’est pas près de s’en éloigner. Si elle incarne son lien au passé, elle est aussi celle qui l’amène à se préoccuper des questions environnementales et agricoles. Ce qui le conduira à aller écouter ce qui se dira à la COP 21. Il n’arrête jamais...