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Jean-Louis Étienne : «Chacun est porteur de solutions pour le changement climatique»

Le médecin et explorateur Jean-Louis Étienne est l’invité de l’assemblée générale du groupe coopératif Noriap, le 10 décembre prochain, à Amiens, où il viendra évoquer la réalité du changement climatique telle qu’il l’observe et évoquer des pistes pour l’atténuer. 

© Premium Communication

On vous présente régulièrement comme un «aventurier de l’extrême». Est-ce que ce terme vous plait et vous correspond ? 

Je suis plutôt un entrepreneur d’expéditions lointaines. J’ai eu la chance de participer à des expéditions extrêmes qui m’ont marqué. La première d’entre elle fut une expédition en solitaire qui m’a amené au Pôle nord en 1986. Cette expérience aurait pu être une forme de consécration, mais j’ai continué à en faire : en 1989-1990, j’ai participé à une traversée de l’Antarctique avec d’autres scientifiques. En 2002, j’ai effectué une mission de plusieurs mois au pôle nord pour étudier le réchauffement climatique… J’ai aussi réalisé des voyages en Patagonie, sur l’Himalaya. Chacune de mes expéditions doit avoir un caractère pédagogique. 

 

De votre participation à ces expéditions, vous avez développé une sensibilité particulière au climat et à son dérèglement. Comment l’expliquez-vous ? 

J’ai toujours voulu comprendre les choses par moi-même, à mon rythme. La préparation de mon expédition de 1989 a été un tournant. C’est à partir de ce moment-là que j’ai pris conscience que les choses ne tournaient pas rond. J’ai embarqué avec d’autres scientifiques, de plusieurs nationalités et nous avons réussi à faire en sorte que la protection de l’Antarctique devienne une priorité des grands de ce monde, pour la Terre. Cette expédition a été mon premier engagement, et un déclencheur. 

 

Vous n’en avez visiblement pas fini puisque vous préparez une expédition baptisée Polar Pod Expédition pour 2024 dans les mers australes ? En quoi va-t-elle consister ? 

Nous allons utiliser un navire vertical, ce qui est déjà révolutionnaire. Les eaux qui entourent l’Antarctique sont difficiles d’accès, mais elles sont d’une importance capitale car elles absorbent la moitié du CO2 produit sur la planète. Elles sont un acteur majeur du climat de la Terre et une immense réserve de biodiversité marine encore méconnue. Polar Pod Expédition, c’est un grand projet international qui va permettre plusieurs choses : se pencher sur cette immensité d’eau froide qui sert de puits de carbone à notre planète ; calculer la performance climatique de cet océan ; réaliser un inventaire de la faune sous-marine et, enfin, analyser l’eau en effectuant un certain nombre de recherches. 

 

Sans votre expérience de globe-trotter, votre conscience du bouleversement climatique aurait-elle été la même ? 

La Terre a vécu plusieurs périodes d’alternance entre des épisodes chauds et des épisodes froids. Cela est dû à son inclinaison axiale, mais l’on constate quand même une accélération de son réchauffement depuis 150 ans, ce qui a des conséquences sur le climat. Il est vrai que j’ai compris pas mal de choses en participant à diverses expéditions et c’est pour cela que j’ai eu envie de m’investir pour cette cause. Mais les gens doivent prendre conscience qu’ils sont aussi acteurs et qu’ils peuvent être porteurs de solutions.

 

Comment mettre fin au problème de dérèglement climatique ? 

Cela est loin d’être simple. Il n’y a pas un bouton ON-OFF sur lequel il suffit d’appuyer. On ne peut pas laisser penser aux gens que cela est facile. Mais avant d’apporter des solutions, il faut expliquer la situation dans laquelle on se trouve. Je parle d’abord de la complexité des choses pour que chacun s’en imprègne. Malheureusement, bien souvent ailleurs, ce n’est pas la méthode qui est retenue. Le conflit et la polémique sont plus vendeurs que la pédagogie. Les occasions d’être pédagogues sont rares. Si on aborde les choses de manière frontale, on crée des frustrations. Il faut donc expliquer les choses. Si on ne fait qu’appréhender un phénomène, on se sent rapidement impuissant. En passant par l’explication, on peut en revanche capter davantage l’attention et avancer vers des solutions. Les gens comprennent quand on leur explique, mais encore faut-il prendre le temps et avoir l’envie de le faire.

 

Face à un public d’agriculteurs, confrontés à des aléas climatiques plus fréquents et intenses, quelles solutions pouvez-vous leur préconiser ? 

Je vais essentiellement leur parler de l’arbre et de son rôle. Dans le travail de préparation de mon livre «Aux arbres citoyens», j’ai découvert beaucoup de vertus à l’arbre et à l’agroforesterie. L’agroforesterie inquiète les céréaliers, mais cela dépend en fait de la manière dont on la pratique. Elle entretient la biodiversité, maintient l’hygrométrie, retient le sol. Dans un contexte de réchauffement climatique, avoir des arbres au milieu de la plaine peut être utile. L’arbre vient perturber l’exploitation, mais on ne peut plus être dans le déni. 

 

Vous évoquez régulièrement le rôle des mers et océans dans la captation du carbone. Mais qu’en est-il de celui des arbres ? 

Les arbres ont aussi un rôle important à jouer. Ils font le même boulot que la mer. En 2019, l’humanité a généré 43 milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère. 45 % de ces émissions restent dans l’atmosphère, 35 % sont captés par les mers où il se dissout naturellement. 25 % sont absorbés à la surface de la terre par les haies, les prairies, les champs. C’est pour cela qu’il faut planter des haies, mettre du vert partout où cela est possible pour que le pigment de chlorophylle fasse son œuvre. Il n’existe pas d’aspirateur à CO2. Une fois qu’il est dans la nature, c’est trop tard. Si l’on veut donc limiter l’impact de l’activité humaine sur l’environnement, il faut maintenir et planter des arbres. 

 

Si vous vous intéressez beaucoup au climat, le sujet des énergies semble aussi vous passionner… 

Les deux sont liés, mais j’ai surtout eu la chance d’intégrer l’Académie des technologies qui me permet de participer à des réflexions sur les énergies. Au sein de cette organisation, nous travaillons notamment sur la ressource énergétique.

 

En parallèle à la plantation et l’entretien d’arbres, quel autre moyen déjà existant pourrait être également mis en œuvre à l’échelle d’une exploitation agricole ? 

Je crois beaucoup au développement des panneaux photovoltaïques. Beaucoup d’agriculteurs s’en sont déjà équipés, mais il en faudrait encore plus. Dans le département du Tarn, dont je suis originaire, les agriculteurs en ont installé dans des zones peu fertiles, sur les toits de leurs bâtiments. Ils en tirent un revenu, mais ils participent aussi à leur manière à produire une énergie décarbonée, avec moins de nuisances que s’il s’agit d’éoliennes. C’est un bon exemple de ce que l’on peut faire. 

 

L’activité économique et la sauvegarde de l’environnement sont-ils compatibles ? Selon certains observateurs, il faudrait prendre la voie de la décroissance. Cela vous convient-il ? 

La décroissance, c’est quelque chose qui est compliqué. Nous avons déjà du mal à partager les produits de la croissance alors comment peut-on imaginer réussir à partager ceux de la décroissance ? Il faut tendre vers l’économie circulaire et faire en sorte que ce que l’on fait soit le plus recyclable possible. Mais on a besoin pour cela de technique et d’ingénierie. 

 

Explorateur du changement climatique

Jean-Louis Étienne sera l’invité de la coopérative Noriap pour échanger sur le thème «Agriculture et réchauffement climatique, quels défis, quelles solutions pour demain ?», le vendredi 10 décembre, à partir de 14h30, à Mégacité Amiens.

Inscription par téléphone au 03 22 50 44 16 ou par mail : communication@noriap.fr 
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