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Julien Denormandie : première année rue de Varenne

Cela fait un an que Julien Denormandie est à la tête du ministère de l’Agriculture. Un mandat  marqué par deux décisions emblématiques : la réautorisation temporaire des néonicotinoïdes en betterave et une déclinaison française de la Pac volontairement stable. 

Au vu des opinions exprimées par les organisations professionnelles et les parlementaires agricoles, le bilan de Julien Denormandie paraît tendre plus à droite que ceux de ses deux prédécesseurs.
Au vu des opinions exprimées par les organisations professionnelles et les parlementaires agricoles, le bilan de Julien Denormandie paraît tendre plus à droite que ceux de ses deux prédécesseurs.
© Gouv.fr

Pour prendre la bonne mesure de l’action de Julien Denormandie, replaçons-là dans le contexte où il a été nommé, il y a un an. À l’été 2020, la France sort tout juste du premier confinement (du 17 mars au 11 mai) et le monde traverse, depuis six mois, une crise sanitaire qui va renouveler brutalement la façon dont est abordée l’agriculture dans les médias et par les pouvoirs publics. Craintes de pénuries, manque de main-d’œuvre... Une angoisse monte, qui se traduit dans les discours du pouvoir en place par l’émergence du thème de la souveraineté. En mars, Emmanuel Macron déclare que «déléguer l’alimentation est une folie». En avril, il plaide pour «rebâtir une souveraineté agricole». 

Dans les débats agricoles, une bascule semble s’opérer vers davantage de protection de l’outil de production agricole français. Début juillet, la FNSEA passe à l’offensive avec ce concept de souveraineté. Le ministre de l’Agriculture de l’époque, Didier Guillaume suivra le mouvement, plaidant pour une «grande conférence» sur la «souveraineté agricole». C’est dans ce contexte que, le 6 juillet 2020, ce jeune haut fonctionnaire presque inconnu du monde agricole succède à Didier Guillaume Rue de Varenne, en provenance du ministère du Logement. À ce moment, les organisations professionnelles agricoles savent peu de choses de Julien Denormandie, si ce n’est qu’il est issu des bancs de l’Engref et des cabinets de Bercy de l’ère Hollande. C’est là-bas qu’il a rencontré Emmanuel Macron, dont il est réputé très proche, pour avoir co-fondé avec lui le mouvement En Marche. On devine déjà qu’il devra clore le quinquennat d’Emmanuel Macron, et donc boucler son bilan en vue de la présidentielle. 

 

Un agenda très dense 

Un an passe, son action rue de Varenne est désormais connue, enserrée dans un agenda très dense : alerté dès juillet d’une crise de jaunisse en betterave à sucre, il obtient la réautorisation temporaire des néonicotinoïdes quelques mois plus tard. Il doit gérer en parallèle les aides de crise liées au confinement : Matignon lui accorde 1 Md€ du plan de relance pour l’agriculture, dont 200 M€ pour un plan protéines. Il déclenchera deux plans d’aides de crise, pour l’influenza aviaire en hiver, et le gel au printemps, respectivement pour 115 M€ et 1 Md€. Il présentera en fin d’hiver une déclinaison française de la future Pac marquée par sa continuité avec la précédente. Et il soutiendra deux propositions de loi, l’une pour encadrer le marché des parts sociales d’exploitations agricoles (loi Sempastous), l’autre pour réformer de nouveau l’encadrement des relations commerciales (Egalim 2). 

Qu’en retiennent les professionnels et les parlementaires spécialistes du secteur agricole ? Sur la forme, tous reconnaissent un changement, celui d’un vrai effort de concertation – en trompe-l’œil, estiment certains – et une connaissance technique des dossiers – qui vire parfois à l’argument d’autorité, regrettent d’autres. Quant au fond, il fait naturellement des insatisfaits, mais les jugements positifs de certaines organisations dessinent en creux une réorientation plus à droite, que d’aucuns lisent comme une tentative de reconquête de l’électorat agricole par le gouvernement. 

 

Un engagement reconnu 

Après un an de mandat, Julien Denormandie est perçu comme travailleur et technicien. Quitte à agacer, notamment dans les rangs de FNE où l’on reçoit les fréquentes allusions à sa formation professionnelle – ingénieur agronome – comme un argument d’autorité pesant. Beaucoup de parlementaires lui attribuent aussi une autre qualité, celle de la concertation, là encore par opposition à «son prédécesseur qui était dans un rapport conflictuel avec l’opposition», note le député LR Marc Le Fur. «C’est un ministre à l’écoute de l’opposition», étaye le député LR Julien Dive. 

Tous ont gardé en tête que Julien Denormandie a mis en place une réunion régulière avec les parlementaires durant les négociations de la Pac et de sa déclinaison française. «C’est du billard de travailler avec Julien, l’ensemble des parlementaires n’a jamais été aussi associé», l’encense Jean-Baptiste Moreau. «Nous avons son numéro», assure également Bernard Lanne. Le communiste André Chassaigne échange également sans filtre avec le ministre dont il loue une «une forme de proximité, sans tricher». 

Une concertation qui ne serait que de façade, critiquent certains plus à gauche, comme la députée LREM Sandrine Le Feur, qui a récemment ferraillé avec le ministre sur la Pac et le projet de loi Climat. «Certes, il a toujours écouté, nous avons eu des visioconférences sur la Pac, mais notre point de vue n’a pas toujours été pris en compte.» Pour FNE, l’appréciation de cette méthode est encore plus amère : «La concertation est là pour nous dire que l’on fait attention à nous, mais le mépris n’en est que plus grand, car on vous fait perdre votre temps», estime Cécile Claveirole. Malgré cet effort de concertation, Julien Denormandie fut ces derniers mois au bord de la rupture avec les organisations de la Plateforme pour une autre Pac (Confédération paysanne, Fnab, ONG...), notamment lors de la présentation de la déclinaison française de la Pac.

 

Satisfecit de la FNSEA et la CR 

Le fond du bilan de Julien Denormandie, lui, satisfait clairement la FNSEA, «parce qu’il y a du pragmatisme et des décisions», explique Christiane Lambert. «Il est arrivé au moment de la jaunisse, il apprend vite, il a vu qu’il fallait faire quelque chose», étaye- t-elle. Pour la FNSEA, Julien Denormandie a aussi «participé à faire sortir le thème de la souveraineté alimentaire des cercles agricoles», grâce à une aura plus grande que ses prédécesseurs dans les médias. 

Ce jeune ministre séduit d’autant plus qu’il remporte «ses arbitrages» auprès de l’Élysée et de Matignon, se félicite-t-on à la FNSEA. Pour le député LR Marc Le Fur, il apparaît clairement que Julien Denormandie a été envoyé à Varenne pour «sauver» le bilan du gouvernement auprès des agriculteurs. «C’est évident qu’il est en mission pour gagner le vote des campagnes après les Egalim et l’épisode du glyphosate», abonde Christiane Lambert. Mission réussie, assure-t-elle, puisqu’«il a la cote auprès des agriculteurs». 

Contrairement à ses prédécesseurs, Julien Denormandie a d’ailleurs réussi à obtenir le satisfecit du plus conservateur des trois syndicats agricoles, la Coordination rurale : «C’est un écologue pragmatique», estime Bernard Lanne, en référence notamment à sa décision sur les néonicotinoïdes. La déclinaison française de la Pac est un autre motif de satisfaction pour le syndicat, qui plaidait pour la stabilité. «Il a préservé les équilibres, la bio est une agriculture parmi d’autres, il a eu un discours pragmatique.» 

Pour corroborer l’hypothèse d’une réorientation à droite, il faut noter que son arrivée a marqué une dégradation des relations avec la Confédération paysanne et les ONG environnementales, avec pour point d’orgue la présentation de la déclinaison française de la Pac, au cours de laquelle le ton est monté. Pour FNE, son arrivée «marque un renforcement de la ligne productiviste, et son bilan n’est pas à la hauteur des enjeux climatiques et environnementaux». Selon la fédération, il est «un ministre à la botte du syndicalisme majoritaire. La nouveauté, c’est que c’est clairement affiché». 

Pour l’ensemble des observateurs, le vrai bilan sera à tirer au printemps prochain. D’ici là, Julien Denormandie est essentiellement attendu sur la présidence française de l’UE. Jean-Baptiste Moreau, notamment, attend beaucoup de la réforme de la politique commerciale de l’UE, espère une réforme du droit de la concurrence au sein de l’UE, et des avancées en matière d’harmonisation des salaires minimums européens... 

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