Céréales
La France affronte l’impérialisme russe
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie renforce sa domination sur le marché mondial du blé. Elle a face à elle la France, une concurrente qui sait se rendre inévitable et coriace.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie renforce sa domination sur le marché mondial du blé. Elle a face à elle la France, une concurrente qui sait se rendre inévitable et coriace.
«La Russie utilise les céréales pour déstabiliser notre pays jusqu’à expédier des grains sur le marché européen et pour imposer son impérialisme», a déclaré Franck Riester en ouvrant la conférence «La filière céréalière française face à la menace russe». Organisée par Intercéréales et Agro Paris Bourse, elle a accueilli 650 acteurs professionnels et du négoce. «Si l’ex-empire des tsars gagne la guerre en Ukraine, il contrôlera plus d’un quart du commerce mondial du blé, a enchaîné Jean-François Loiseau, président d’Intercéréales. Il sera alors en mesure d’imposer ses prix à l’ensemble de la planète.»
Pratiques opaques
Depuis deux ans, la Russie tente d’évincer sa rivale des marchés de l’export (Indonésie, Maroc, Égypte, Chine, etc.) en bombardant ses ports sur la mer Noire tout en donnant à ses propres échanges commerciaux une connotation géopolitique. Sur la scène internationale, la Russie privilégie ses relations diplomatiques et commerciales avec la centaine de pays qui n’a pas pris de sanctions à son égard lorsqu’elle est entrée en guerre contre l’Ukraine. L’émirat de Dubaï est ainsi devenu la plaque tournante du commerce mondial de nombreux produits russes, dont les céréales font partie. En vendant du blé à l’Arabie saoudite, la Russie renforce ses liens stratégiques avec elle sur le marché du pétrole. En fait, les deux pays ont l’obligation de s’entendre pour maintenir le cours du baril de pétrole autour de 80 $ (72 €). Leurs exportations d’hydrocarbure financent la guerre russe en Ukraine et l’économie saoudienne. Pour vendre ses grains, la Russie a aussi recours à des pratiques commerciales très opaques et risquées (prix bradés, absence de garanties de dettes de crédit). Elle est devenue le seul partenaire commercial de l’Égypte – qui s’approvisionnait en partie en Ukraine avant la guerre - et de la Tunisie qui achète toujours le blé le moins cher. «En Afrique, la Russie ne ménage aucun effet pour faire sortir la France de ses marchés», affirme Yann Lebeau Responsable du Bureau France Export d’Intercéréales. «Elle veut être le chantre du combat contre le néocolonialisme.»
L’Algérie séduite par ce discours a adapté le cahier des charges de ses appels d’offres pour importer majoritairement du blé russe bon marché (40 % des grains achetés) aux dépens de l’origine française.
Atout diplomatique
«Mais la France a les moyens de réaffirmer une grande ambition de puissance», a déclaré Jean-François Loiseau. De nombreux pays refusent d’être sous l’emprise de la Russie. Depuis février 2022, la Chine a pris soin de limiter ses échanges commerciaux (importations de produits pétroliers, exportations de biens industriels) avec sa voisine. Pour ses céréales, Pékin a diversifié ses importations. En Union européenne, la Chine a choisi la France pour s’approvisionner en blé. «La qualité du blé russe n’est pas comparable à celle du blé français», a déclaré Zao Yu Li correspondant d’Intercéréales en Chine.
En Russie, la Chine ne compte pas sur les sept millions de km2 de terres russes, mises à la disposition de ses investisseurs par le Kremlin à l’extrême est du pays, pour réduire sa dépendance aux importations de blé. En effet, les conditions climatiques ne sont pas propices à la culture de céréales. Le Maroc se détourne sciemment de la Russie trop risquée et trop compliquée à approcher. Le royaume importe massivement du blé français mais aussi polonais cultivé en Pologne ou importé d’Ukraine. En Afrique subsaharienne, la francophonie constitue l’atout diplomatique de la France sur lequel elle s’appuie pour y exporter des céréales. Notre pays propose aussi, à ses entreprises exportatrices et à leurs clients, des outils assuranciels (assurance crédits adaptée, couvertures de risques, garanties de paiements) que la Russie ne dispose pas pour soutenir ses propres compagnies. En conséquence, peu de blé a été exporté. Détournés, ses dons de 200 000 tonnes de l’automne passé ont été un échec commercial.