La menace d’une baisse de budget Pac se rapproche
Ce 23 février, les dirigeants des Vingt-sept participent au premier débat sur le cadre financier pluriannuel post-2020 de la Pac.
«Quel niveau d’ambition pour une Pac efficiente», dans le cadre d’un budget qui, après 2020, sera amputé de la contribution britannique et devra répondre à de nouvelles priorités (migrations, protection aux frontières, défense) ?
Telle est l’une des questions posées par la Commission européenne en tant que contribution à un premier débat sur le cadre financier pluriannuel de l’UE après 2020, prévu ce 23 février, entre les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-sept.
Trois options sont envisagées dans ce document : la première serait de maintenir les dépenses agricoles à leur niveau actuel de quelque 400 millions d’euros sur sept ans (dont 7 % destinés au Royaume-Uni), soit 37 % du cadre financier actuel 2014-2020, ce qui permettrait, grâce à un meilleur «ciblage», d’accroître le soutien en particulier pour les petites et moyennes exploitations ; la deuxième serait de réduire cette enveloppe de 30 % (environ 120 M€, soit 11 % du cadre actuel), ce qui pourrait provoquer une chute de «plus de 10 %» du revenu agricole dans plusieurs Etats membres ; la troisième serait de réduire l’enveloppe de 15 % (environ 5,5 % du cadre actuel), ce qui entraînerait une réduction plus limitée du revenu, mais aurait encore «un impact notable dans certains secteurs en fonction des choix opérés».
Ces scénarios, souligne la Commission, «ne peuvent être vus de façon isolée». Toute réduction des paiements directs serait en effet accompagnée par «un meilleur ciblage du budget restant», par exemple, une concentration accrue sur les petites et moyennes exploitations, et une meilleure coordination avec les mesures de développement rural.
Des discussions sont en cours sur la façon de «faire un meilleur usage des paiements directs» et une «suggestion notable» est de «les réduire et mieux les cibler», relève-t-elle à ce propos, insistant sur le fait que, «aujourd’hui 80 % des paiements directs vont à 20 % des agriculteurs». Les moyens de «réduire les différences de soutien entre les Etats membres» sont aussi en discussion, note-t-elle de même.
Lors de leur dernière réunion, le 19 février à Bruxelles, les ministres de l’Agriculture de l’UE ont eu, au déjeuner, un échange de vues informel sur les «choix stratégiques» pour la prochaine Pac.
Pas de «coupe brutale»
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, a réaffirmé qu’il était opposé à toute «coupe brutale» dans les fonds destinés aux régions les moins avancées de l’UE et à l’agriculture. Il a estimé qu’il «faudra réduire en chiffres les politiques de cohésion et la Pac». «Mais je m’inscris en faux contre cette volonté stupide, passagère, irréfléchie qui consiste à organiser un attentat contre (ces deux politiques)», avait-il ajouté.
«La Commission proposera une baisse des crédits agricoles entre 5 et 10 %», a, pour sa part, averti l’eurodéputé français, Michel Dantin. Selon lui, «si cela est effectivement proposé, c’est par an entre 500 millions et 1 milliard EUR de moins pour les agriculteurs français, baisse équivalente aux coupes déjà concédées sur 2014-2020».
Brexit et nouvelles priorités
L’enjeu du prochain cadre financier de l’UE est double : combler le manque de fonds créé par le départ du Royaume-Uni (12 à 13 Md€) et faire face aux nouvelles priorités (une dizaine de milliards d’euros par an). Le commissaire européen au budget s’est déjà prononcé pour une augmentation du plafond des dépenses à un peu plus de 1,1 % du revenu national brut (RNB), contre 1 % actuellement. Parallèlement, il faudra, selon lui, combler le trou dû au Brexit à 50 % par des économies et 50 % par de l’argent frais, et financer les nouvelles priorités à 80 % avec de l’argent frais et 20 % avec un redéploiement de crédits.
Et, selon Günther Oettinger, tous les fonds et programmes européens devront faire l’objet de coupes budgétaires, ceux alloués à la jeunesse et à la recherche devant toutefois en être exemptés.
Le budget actuel de l’Union est de l’ordre de 155 M€ pour un revenu national brut des 28 Etats membres de 14 791 Md€, alors que les budgets nationaux atteignent 6 906 Md€, soit 47 % du RNB.
Bruxelles veut aller vite
«Nous ne devons pas répéter l’expérience malheureuse de 2013, où l’actuel budget de l’UE avait été approuvé avec un retard considérable», a tenu à souligner Günther Oettinger. Jugeant essentiel de parvenir rapidement à un accord politique sur le cadre financier pluriannuel post-2020, la Commission compte maintenant soumettre ses propositions formelles en la matière le 2 mai prochain, «ou plus tôt», et non plus le 29 mai comme envisagé initialement.
Cette adaptation du calendrier ne modifie pas l’échéancier prévu pour la présentation des propositions législatives de l’exécutif pour la prochaine Pac, qui sont toujours attendues après celles sur le budget. Phil Hogan, le commissaire à l’agriculture, s’est en effet engagé à les soumettre immédiatement après que le Parlement européen ait voté, probablement lors de sa session du 11 au 14 juin, le rapport du député italien Herbert Dorfmann (PPE) sur la communication de la Commission de fin novembre dernier consacrée à «L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture».
Trois questions à...
Jean Bizet, président de la commission des Affaires européennes du Sénat
«Il faut sanctuariser la ligne budgétaire de la Pac»
Emmanuel Macron a exprimé, le 25 janvier, son souhait que la Pac «n’ait pas un budget moins ambitieux» à cause du Brexit et des nouvelles missions allouées à l’Union européenne. Vous n’y croyez pas ?
Il y a ce que l’on entend et ce que l’on sous-entend... c’est souvent le plus important. Jusqu’ici nous n’entendions rien de décisif au plus haut niveau de l’Etat. Il y a une forme d’indifférence. Les quelques déclarations d’Emmanuel Macron jusqu’ici allaient dans le sens d’une modernisation et d’une meilleure utilisation de la Pac.
Je crois qu’Emmanuel Macron risque d’être le premier président français qui n’affiche pas de ligne rouge à la baisse des crédits budgétaires de la Pac. Les autres pays ont le sentiment que la France, qui était jusqu’ici très déterminée en la matière, ne l’est plus. Ce serait une rupture historique et une erreur stratégique.
Il faut sanctuariser la ligne budgétaire Pac. Les dépenses supplémentaires liées aux nouvelles politiques de défense et de sécurité des frontières doivent être alimentées par de nouvelles ressources propres.
Vous craignez donc une baisse du budget Pac ?
Oui, surtout après la fuite - peut-être organisée - du commissaire européen au Budget, Günther Oettinger, qui laisse entendre une réduction de 10 %. Mais aussi après les trois propositions de la Commission européenne. Au moment où l’Union européenne doit afficher sa puissance, il faut réaffirmer que l’agriculture est une activité hautement stratégique. Quand les Etats-continents, qui sont nos concurrents, augmentent leurs budgets alloués à l’agriculture, nous prenons le chemin inverse.
Je ne suis pas a priori hostile à l’action d’Emmanuel Macron, je soutiens toutes les décisions qui sont prises dans l’intérêt de la France, mais il est dangereux de fragiliser une activité qui est stratégique. D’autant plus au moment où l’on ouvre nos marchés au travers d’accords de libre-échange, accords auxquels je suis favorable, à condition qu’ils soient équilibrés, comme l’est le Ceta. En ce qui concerne le Mercosur, il convient qu’il soit débattu dans les parlements européen et nationaux avant de porter un jugement définitif ; en l’état actuel, la filière viande rouge est trop fragilisée. C’est peut-être l’occasion qu’elle se réforme. Le président n’a-t-il pas promis 5 milliards d’euros aux filières agricoles pour qu’elles s’engagent dans une modernisation et une restructuration ?
Comment expliquez-vous un tel revirement de position, alors que la France reste, elle, un pays fortement agricole et bénéficiaire de la Pac ?
C’est difficile à comprendre. Sans doute le président ne connaît-il pas assez les hommes et les femmes des territoires ruraux ; peut-être est-il trop ouvert aux domaines industriels ou numériques et trop fermé à ces territoires ruraux. Or, la France, c’est un ensemble. On ne peut pas désespérer ainsi l’agriculture, car c’est toute la ruralité qui serait fragilisée. «La désespérance commence quand les yeux se taisent». J’invite donc le président de la République à venir regarder les agriculteurs dans les yeux.
Propos recueillis par Mathieu Robert