Céréales
La Russie joue les trouble-fête sur le marché mondial des céréales
Selon Agritel et Argus, l’abondante récolte mondiale de maïs plombera les cours de l’ensemble des grains pendant encore de longs mois. Mais sur le marché du blé, le chef d’orchestre reste la Russie.
Selon Agritel et Argus, l’abondante récolte mondiale de maïs plombera les cours de l’ensemble des grains pendant encore de longs mois. Mais sur le marché du blé, le chef d’orchestre reste la Russie.
Lors de la nouvelle édition de l’Argus Agritel Paris Grain Conférence (AAPGC), qui s’est déroulée fin janvier à Paris, Arthur Portier, consultant sénior à Agritel, a dévoilé ses perspectives pour les marchés mondiaux des céréales. En Union européenne, des centaines de milliers d’hectares n’ont pas été emblavés l’automne passé en raison des très mauvaises conditions climatiques. En France, seuls 4,2 millions d’hectares (Mha) ont été semés, soit 400-500 000 ha de moins que l’an passé. Même élevé, le rendement ne pourra compenser la production des centaines de milliers d’hectares qui manquent. Aussi, la prochaine récolte française de blé n’excédera pas 30 Mt, selon Arthur Portier.
Priorité au soja
En Ukraine, seules 20 millions de tonnes (Mt) de blé pourraient être récoltées l’été prochain car les agriculteurs diversifient leurs assolements en se lançant dans la culture de pois, de colza, de soja et de betteraves sucrières. Aux États-Unis, 14 millions d’hectares (Mha) ont été semés l’automne passé, soit 12 Mha de moins qu’en 1984. En fait, le blé est détrôné depuis des décennies par le maïs. Mais cette année, ni le maïs, ni le blé n’ont la côte. La priorité sera au soja.
Quant à la Russie, plusieurs experts présents à l’AAPGC anticipent une récolte de blé de 90 Mt. Pour avancer ce chiffre, ils se réfèrent entre autres aux rapports publiés par l’USDA, le Conseil international des céréales et par la Commission européenne. Or, les chiffres avancés diffèrent les uns des autres de plus de 10 Mt !
Mais les organismes de statistiques s’appuient sur différentes méthodes de calcul pour faire ces prévisions. Imprévisible, la Russie joue aussi les trouble-fête en communiquant ses propres prévisions. Toutefois, les marchés céréaliers ont appris à s’en méfier. Les moyens déployés par la Russie pour exporter ses grains (prix de vente, taxe ou quota à l’export, etc.) révèlent davantage la situation du pays et l’état de son marché intérieur. Mais en employant ses outils agressifs pour remporter des appels d’offre, la Russie parvient à orienter les cours mondiaux des grains sur la plupart des places de marché. Ces dernières semaines, sa politique de prix très offensive vise à vendre 22 Mt de blé d’ici la fin du mois de juin. Elle tire durablement les cours du blé vers le bas. Or, la Russie n’a pas le monopole du marché mondial du blé ! Elle n’exporte que 30 % des volumes échangés dans le monde.
Risque géopolitique
Les principaux pays exportateurs de blé de la planète achèveront leur campagne de commercialisation avec des stocks très tendus (60 Mt), équivalents à 15 % de la consommation des principaux exportateurs. Mais l’évolution de ses cotations est liée à celle du maïs. Or, sa production mondiale annoncée comme record (941Mt hors Chine) permettra aux principaux pays exportateurs d’achever leur campagne avec des stocks là aussi record (environ 82 Mt), équivalents à 12 % de leur consommation. Tant que les marchés auront un sentiment d’abondance, les prix des grains resteront faibles. Les places de marché sont encore insensibles aux signaux d’alerte parvenus d’Union européenne notamment. En fait, la géopolitique représente dorénavant un risque plus élevé que le climat. Les opérateurs appréhendent mieux la survenue d’une sécheresse et ses conséquences qu’un conflit. Cette année, ils ont su anticiper la chute de 10-12 Mt de la production australienne de blé liée au retour d’El Niño. Mais ils ont tous été surpris par les attaques des cargos dans le Golfe d’Aden ou, en 2022, par l’embargo russe imposé sur les exportations de céréales ukrainiennes. Dans les prochains mois, le retour de Donald Trump à la tête des États-Unis, les résultats des élections européennes ou l’émergence d’un nouveau conflit au Venezuela sont très redoutés par les marchés céréaliers mais aussi pétroliers.