L’Allemagne : un adversaire aux reins plus solides
La France pèse bien plus lourd que l’Allemagne sur les marchés céréaliers, mais la réforme de la Pac suscite des inquiétudes liées à un différentiel d’aides européennes.
La vente de biogaz à prix garanti contribue à stabiliser le revenu des agriculteurs d'outre-Rhin.
Dans le secteur européen des céréales, le fauteuil de leader n’est pas le plus confortable.
Les producteurs français donnent cette impression au lendemain de la réforme de la Pac.
Y aurait-il une menace de l’autre côté du Rhin ? Orama ne cesse de pointer les distorsions de concurrence liées aux futures aides de l’UE. Reste à en mesurer les conséquences. Aujourd’hui, il y a peu de différence entre la France et l’Allemagne dans le soutien aux producteurs de céréales et d’oléo-protéagineux. Mais en 2019, les scopeurs français verront leurs paiements découplés tomber à 220 euros/ha en moyenne, contre un relatif maintien pour leurs homologues allemands à 295 euros/ha. Cela représente un écart de 10 à 15 euros/t de céréale, d’après les calculs d’Orama.
Le biogaz stabilisateur du revenu
«Dans l’hypothèse d’un marché mondial ramené à 150 euros/t de blé, le handicap de compétitivité avec l’Allemagne pourrait atteindre 10 %. La situation serait moins gênante en cas de prix élevés», calcule Pierre Pagesse, vice-président du Gnis (Groupement national interprofessionnel des semences et plants). Une autre différence est liée au développement de la méthanisation. L’Allemagne compte environ 7 800 installations de biogaz, surtout à partir de maïs mais aussi de colza et un peu de betteraves. Cela mobilise 18% des terres cultivées, d’après les chiffres collectés lors du déplacement. Les agriculteurs bénéficient de contrats à prix de rachat garanti sur vingt ans. «Les équipements en biogaz jouent un rôle de stabilisateur des prix céréaliers par rapport aux fluctuations sur le marché mondial, considère-t-il. On estime à plus de 200 euros/tonne la valorisation du grain via l’énergie. Cette filière représente 5 Mds d’euros d’investissements pour 8 Mds de recettes».
Peu de concurrence frontale
Avec de tels atouts, l’Allemagne peut-elle damer le pion à la France ? Un coup d’oeil aux bilans céréaliers permet de mesurer l’écart entre les deux leaders européens.
Rien qu’en blé, l’Hexagone pèse environ 35 Mt de production, son challenger moins de 25 Mt. Le leadership français apparaît encore plus nettement à l’export, avec 17 à 19 Mt contre 6 à 9 Mt pour le concurrent allemand.
«Ce n’est pas le même blé, avance le président de France export Céréales Jean-Pierre Langlois-Berthelot. L’Allemagne se situe plutôt à 12 où 12,5 % en taux de protéine, quand la France affiche entre 11 et 11,5 %. Résultat, les débouchés sont le plus souvent distincts. Le blé allemand est exporté vers l’Iran, le Soudan, l’Afrique du Sud, parfois l’Afrique de l’Est. Il est en revanche peu présent au sud de la Méditerranée. Or, l’origine française représente de gros volumes à destination de l’Afrique de l’Ouest».
Les dividendes de la balance commerciale
Dans une étude comparative entre la France et l’Allemagne sur 2012, Michel Ferret (FranceAgriMer) note par ailleurs l’impact du développement de l’élevage outre-Rhin sur le bilan national en céréales et oléoprotéagineux. Il en ressort de grosses importations de céréales, soja, colza. Autre élément souligné, une balance commerciale allemande excédentaire de 188 Mds d’euros tous secteurs confondus. La France a beau être dans le vert pour l’agroalimentaire (11,6 Mds), son solde global est déficitaire de 67,1 Mds. «L’excédent commercial allemand a des retombées sur l’agriculture, via des aides à l’investissement, observe Pierre Pagesse, qui relève de moindres charges d’amortissements pour les exploitations. C’est frappant de voir le dynamisme, la modernisation du secteur».
Davantage de pragmatisme
L’expert n’imagine toutefois pas un large développement du secteur. Même s’il bénéficie de conditions favorables. «La déclinaison nationale des règlements européens semble plus pragmatique outre-Rhin, juge le président de France export Céréales. Chez nous, elle a des conséquences directes sur le volume, le coût de production».
Pierre Pagesse confirme : «L’état d’esprit n’est pas le même. Il y a certes des contraintes écologiques en Allemagne. Mais à en juger par les rendements plutôt supérieurs et les taux de protéine élevés, de bons apports d’azote sont autorisés».
La vulnérabilité du modèle
Quelques ombres au tableau apparaissent néanmoins dans l’étude de FranceAgriMer. Michel Ferret met en évidence des menaces structurelles à plus long terme, une certaine «vulnérabilité agricole», certes plus marquée dans les secteurs autres que céréaliers, avec par exemple les crises sanitaires assez fréquentes ces dernières années, une méfiance grandissante de la population vis-à-vis de l’élevage.
Une forte inflation des prix du foncier apparaît côté oriental. elle est liée à l’expiration des baux de 1992 à l’est, à l’essor de la méthanisation, aux investissements venus de l’Ouest. En 2010, les prix des terres ont bondi de 21 %. Ils se situent en 2012 à 13 760 euros/ha dans l’ex-RDA, soit une hausse de 8,9 % en un an.